« Tant quâun fait nâest pas jugĂ© totalement, il
devient une injustice.  »
Abidjan, le 8 décembre 2025
Ivoiriennes, Ivoiriens, chers amis de la CĂŽte dâIvoire, En 2000, lâĂ©lection prĂ©sidentielle a eu lieu le 22 octobre. ProclamĂ© vainqueur par la Cour SuprĂȘme, jâai prĂȘtĂ© serment le 26 octobre et, le 27 octobre, je prĂ©sidais mon premier Conseil des ministres.
Câest au cours de ce Conseil quâon mâa annoncĂ© la dĂ©couverte dâun charnier Ă Yopougon. ImmĂ©diatement, jâai dĂ©pĂȘchĂ© sur les lieux le ministre de lâIntĂ©rieur, le ministre de la DĂ©fense et le ministre de la Justice.
Beaucoup accusaient un certain nombre de gendarmes.
Jâai ouvert un procĂšs contre eux et le tribunal les a relaxĂ©s, ce qui mâa rĂ©confortĂ©.
Deux mois plus tard, les 4 et 5 janvier, le pays subissait sa premiĂšre attaque avec un
commando venu du Nord.
Ce commando a été vaincu et les survivants ont replié à la frontiÚre burkinabÚ.
Deux annĂ©es plus tard, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, un commando dâune plus
grande envergure franchissait les frontiĂšres du Burkina Faso, pĂ©nĂ©trait en CĂŽte dâIvoire et
semait deuil et désolation sur son passage.
LĂ encore, nos militaires, nos gendarmes et nos policiers se sont mobilisĂ©s et ont fait Ă©chec Ă la descente de ce commando. Mais nous avons observĂ© que certains dâentre eux Ă©taient dĂ©jĂ Ă Abidjan. Des batailles de rue ont eu lieu et nous avons pu les repousser.
JâĂ©tais en visite officielle en Italie.
Jâai dĂ» Ă©courter mon sĂ©jour italien pour rentrer au pays et ĂȘtre prĂšs des miens.
Mais lĂ , les rebelles ont installĂ© un kyste Ă BouakĂ©, provoquant ainsi la partition du pays en deux : La partie sud sous lâautoritĂ© du gouvernement lĂ©gal et lĂ©gitime, et la partie nord, Ă partir de BouakĂ©, sous lâautoritĂ© de la rĂ©bellion.
Ă partir de ce moment, on a vu se mettre en place un ballet diplomatique avec la confĂ©rence de la CEDEAO Ă Accra, qui a dĂ©signĂ© le gĂ©nĂ©ral GnassingbĂ© Eyadema comme mĂ©diateur dans la crise ivoirienne, ainsi que dâautres confĂ©rences comme Marcoussis, KlĂ©ber, Pretoria, etc. Mais le pays Ă©tait divisĂ© gĂ©ographiquement. Les rebelles Ă©taient des Ivoiriens connus : le sergent-chef IB, ChĂ©rif Ousmane, Issiaka Ouattara dit Wattao, Tuo FoziĂ©, Morou Ouattara, KonĂ© Zakaria, Losseni Fofana, Soro Guillaume, etc.
Dâun autre cĂŽtĂ©, TapĂ© Koulou et ses amis BlĂ© GoudĂ©, Serge Kassy, EugĂšne DjuĂ©, etc.
organisaient de grandes mobilisations populaires contre la guerre et contre la rĂ©bellion. Voyant que tous les ballets diplomatiques ne donnaient pas de rĂ©sultats probants, jâai pris sur moi, avec lâaide de Thabo Mbeki, prĂ©sident sud-africain, de dĂ©cider de deux choses essentielles :
1. Permettre à Alassane Ouattara de se présenter comme candidat à la prochaine
élection présidentielle ;
2. Engager un dialogue direct avec le chef de la rébellion, Soro Guillaume, pour mettre
fin Ă la guerre.
Lâaccord de Ouagadougou fut signĂ© le 4 mars 2007. AprĂšs cet accord, nous avons organisĂ© la Flamme de la paix Ă BouakĂ© les 30 et 31 juillet 2007, pour brĂ»ler symboliquement les fusils et les armes qui avaient servi Ă faire la guerre.
AprĂšs quoi, jâai entrepris de faire des tournĂ©es dans le nord du pays oĂč je nâavais pas mis les
pieds depuis le dĂ©but du conflit. Il ne restait plus quâĂ procĂ©der au dĂ©sarmement, puis aux Ă©lections.
Jâai passĂ© mon temps Ă rĂ©clamer le dĂ©sarmement, tandis que lâONU, lâOccident et certains partis politiques ivoiriens parlaient uniquement de lâorganisation des Ă©lections.
En 2010, alors que le dĂ©sarmement nâĂ©tait pas encore fait, mais pressĂ© de toutes parts, jâai
consenti Ă organiser lâĂ©lection prĂ©sidentielle.
Au 1er tour de lâĂ©lection prĂ©sidentielle, je suis en tĂȘte avec 38 %, 32 % pour Alassane Ouattara et 25 % pour Henri Konan BĂ©diĂ©.
Au 2Ăšme tour, câest la pagaille.
Chacun des deux candidats, Alassane Ouattara et moi-mĂȘme, se proclamait vainqueur.
Mais moi, je suis proclamĂ© vainqueur par le Conseil constitutionnel. Le dĂ©bat semblait clos quand Alassane Ouattara, son ami Nicolas Sarkozy, prĂ©sident français, et le reprĂ©sentant de lâONU mirent en cause les rĂ©sultats proclamĂ©s par le Conseil constitutionnel et dĂ©cidĂšrent quâAlassane Ouattara Ă©tait le vrai vainqueur. De lĂ partit une polĂ©mique vive, qui se transforma en rixe puis en combats.
Câest au cours de ces combats que la rĂ©sidence prĂ©sidentielle que jâoccupais fut bombardĂ©e par lâarmĂ©e française et les troupes de lâONU.
Le 11 avril 2011, je fus arrĂȘtĂ©, conduit dâabord au Golf HĂŽtel pour deux jours, puis Ă Korhogo
pour sept mois, et enfin Ă la CPI en Hollande.
Le reste est connu. Quelques années plus tard, exactement le 23 mars 2014, Charles Blé Goudé est amené en prison et la CPI joint les deux dossiers.
Le 15 janvier 2019, Charles Blé Goudé et moi sommes acquittés. Le 5 février 2019, je suis conduit à Bruxelles chez mon épouse Nady.
Ă Bruxelles, jâĂ©tais Ă la maison certes, mais il mâĂ©tait interdit de sortir de la commune de
Bruxelles.
Et tous les jeudis matin, des policiers venaient vĂ©rifier si jâĂ©tais lĂ , et tous les jeudis aussi, la
CPI mâappelait pour vĂ©rifier ma prĂ©sence.
Ce petit jeu dura jusquâau 31 mars 2021, date Ă laquelle je fus dĂ©finitivement acquittĂ©.
Ivoiriennes, Ivoiriens, chers amis de la CĂŽte dâIvoire, Jâai rappelĂ© tous ces faits pour dire que tant quâun fait nâest pas jugĂ© totalement, il devient une injustice. Un conflit a Ă©clatĂ© en CĂŽte dâIvoire Ă cause dâune rĂ©bellion qui a occupĂ© le pays et rendu la tenue de lâĂ©lection prĂ©sidentielle compliquĂ©e. Il sâen est suivi une dispute sur les rĂ©sultats de cette Ă©lection-lĂ .
Jâai Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© alors que je ne suis pas le mentor de la rĂ©bellion.
JâĂ©tais le PrĂ©sident lĂ©gal et lĂ©gitime, mais câest moi qui ai Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©. Mais quid de tous les autres acteurs de la crise ? Des questions restent en suspens. Pourquoi aucun des autres acteurs nâa-t-il Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©, ni jugĂ© par la CPI ? DĂšs lâinstant oĂč jâai Ă©tĂ© acquittĂ©, il fallait immĂ©diatement se mettre Ă rechercher les vrais coupables.
§ Qui a conçu et financé la rébellion ?
§ Qui a organisĂ© le gĂ©nocide WĂȘ ?
§ Pourquoi lâONU et lâOccident ont-ils poussĂ© Ă aller Ă lâĂ©lection alors que le dĂ©sarmement nâĂ©tait pas fait ?
Pour toutes ces questions, jâai demandĂ© Ă mon avocat, MaĂźtre Emmanuel Altit, de ressaisir la CPI et de remettre sur la table le problĂšme de la guerre en CĂŽte dâIvoire.
Il faut que la vérité éclate. Il faut rendre justice aux victimes et aux survivants qui attendent, depuis des années, que la
vĂ©ritĂ© soit Ă©tablie. Jâai fait ma part. JâespĂšre que tous les autres feront leur part.
La vérité est une condition de la paix.
Laurent Gbagbo
Ancien PrĂ©sident de la RĂ©publique de CĂŽte Dâivoire Ancien prisonnier de la CPI.

















