L’ancien vice-président jouit d’un large, mais peut-être mou, soutien afro-américain dans les premiers Etats où se déroulera la primaire démocrate.
Kim Solomon a été surprise quand elle a vu Kamala Harris, la candidate démocrate à la présidence, assise au premier rang dans l’église baptiste missionnaire royale de North Charleston, en Caroline du Sud, une ville à prédominance afro-américaine.
Récemment, Mme Solomon, habitante de Huntsville, dans l’Alabama, était venue à North Charleston pour rendre visite à des parents un dimanche, lorsque Mme Harris a temporairement transformé la chaire en une tribune de campagne. Mme Solomon soutenait l’ancien vice-président Joe Biden et ne savait presque rien de la sénatrice noire californienne, mais elle envisage maintenant de voter pour cette dernière lors de la primaire en l’Alabama, au mois de mars.
« Cela me donne envie d’aller voir et d’en apprendre plus sur elle », lance Mme Solomon, 54 ans, après le discours prononcé en fin de matinée par Mme Harris, où elle s’en prenait à la conduite du président Trump à la Maison Blanche. « Biden est toujours le numéro 1, mais je vais, au minimum, la prendre en considération. »
Les électeurs noirs comme Mme Solomon occupent un rôle clé dans la première place de M. Biden dans les sondages avant la primaire démocrate de l’an prochain. Une étude réalisée en septembre par l’Université Quinnipiac estimait que 40 % des sondés noirs — démocrates ou sympathisants démocrates — soutenaient M. Biden. C’est un peu moins qu’en août, mais cela le place devant tous les autres candidats au sein de cette communauté. Les responsables de la campagne de M. Biden affirment que sa force dans l’électorat noir prouve sa capacité à rassembler une large coalition en 2020 pour battre M. Trump
Mais des entretiens menés avec plus de trois dizaines d’électeurs noirs dans des Etats clés des primaires comme la Caroline du Sud laissent penser que nombre de ses partisans pourraient être convaincus de soutenir un autre candidat — en particulier s’ils commencent à penser que ce dernier est en mesure de remporter la présidentielle en novembre. Outre Mme Harris, certains électeurs expriment un intérêt croissant pour Elizabeth Warren, et de récents sondages montrent que la sénatrice du Massachusetts gagne du terrain dans l’électorat noir.
L’ancien vice-président présente sa capacité à être élu comme le principal argument en faveur de sa candidature dans une course où les participants sont très nombreux. Mais M. Biden traverse une période difficile dans les enquêtes concernant les premiers Etats à voter — des sondages dans l’Iowa et le New Hampshire l’ont récemment placé derrière Mme Warren — au moment précis où les Afro-américains, comme la plupart des électeurs, semblent s’intéresser de plus en plus à la course présidentielle.
La récente procédure d’impeachment engagée contre M. Trump, à la suite des pressions exercées par le Président sur l’Ukraine pour qu’elle enquête sur les activités du fils de M. Biden dans ce pays, ajoute de l’incertitude à la primaire — bien que les autres candidats démocrates esquivent jusqu’ici largement les questions concernant l’ancien vice-président.
Tout cela signifie que M. Biden se trouve confronté à une pression nouvelle pour obtenir de bons résultats dans l’Iowa, qui tient ses premiers caucus le 3 février, puis dans l’Etat suivant, le New Hampshire.
« Pour certains, l’idée de sa capacité à être élu repose sur le fait que les Blancs modérés voteront pour le vice-président Biden — c’est ce qui lui donne le manteau de l’éligibilité, pour parodier Harry Potter », déclare Leah Daughtry, qui a présidé les conventions nationales démocrates de 2016 et 2008. « S’il ne gagne pas dans deux des Etats les plus blancs du pays, cela soulèverait des questions pour après. »
Les adversaires de M. Biden évoquent le précédent Hillary Clinton, la favorite nationale au moment de se rendre dans l’Iowa en 2008. Elle y avait perdu contre Barack Obama, et le soutien des noirs dans d’autres Etats s’était alors effondré quand ces électeurs s’étaient rassemblés derrière un candidat noir qui avait une vraie chance.
Les équipes de campagne de Biden réfutent la comparaison.
« Le débat concernait précisément la capacité du sénateur Obama à rassembler les blancs. Et ce n’est pas ce dont il s’agit aujourd’hui », affirme Symone Sanders, une importante conseillère de M. Biden, qui dirige souvent les initiatives à destination des jeunes électeurs noirs.
Elle reconnaît néanmoins que les électeurs noirs se soucient de la capacité de M. Biden à battre M. Trump. « Ils veulent que cela leur soit confirmé », dit-elle.
Au niveau national, M. Biden conserve son avance chez les électeurs noirs malgré une série de controverses sur le thème du racisme, parmi lesquelles son opposition à l’obligation de mettre des bus en place afin de combattre la ségrégation dans les écoles au cours des années 1970 et ses commentaires concernant son travail avec des sénateurs ségrégationnistes.
Son lien avec l’ancien président Obama lui est d’un grand secours. Le représentant démocrate de l’Illinois Danny Davis, l’un des membres du caucus des noirs du Congrès à soutenir Mme Harris, déclare que les noirs considèrent en général les années Obama comme une époque où le pays allait dans la bonne direction.
« Le vice-président Biden en fait partie », explique M. Davis, arguant que M. Biden peut compter sur la bienveillance de nombre d’électeurs noirs, en particulier parmi les plus âgés d’entre eux.
« Je ne pense pas qu’il y ait une preuve irréfutable que “ce gars ne soit pas celui que je croyais qu’il était” », confie M. Davis.
En tant que premier Etat à figurer au calendrier de la primaire où l’électorat démocrate est majoritairement noir, la Caroline du Sud représente un test particulier pour les candidats à l’investiture de 2020.
Antonio Thompson, qui exploite une entreprise de transport médical non urgent à Summerville, en Caroline du Sud, pêchait sur une petite jetée avec des amis un de ces derniers dimanches. Il disait qu’il était pro-Biden à cause de sa « connexion avec Obama ».
« Si vous avez encore quatre ans de Biden, c’est comme si vous aviez encore quatre ans de Barack Obama », affirme M. Thompson, 47 ans.
Mais il ajoute que l’appui de M. Obama à un autre candidat pourrait l’éloigner de M. Biden. « Je suivrai Obama quoi qu’il dise. » (Les collaborateurs de M. Obama font remarquer qu’il est peu probable que l’ancien président apporte un soutien de manière précoce dans la primaire.)
M. Biden a évoqué sa relation avec M. Obama lors d’une récente escale à Galivants Ferry, en Caroline du Sud. « Je ne pense pas que nous remercions assez Barack Obama pour le travail qu’il a fait en tant que Président », a-t-il lancé à la foule, répétant à cette occasion ce qu’il dit souvent.
Ce message résonne chez Jo Pugh, 59 ans, habitante de la ville voisine de Marion. « C’est le plus fort pour battre Trump, dit-elle. J’ai un tel respect pour Biden. » Elle dit toutefois porter également un intérêt à Mme Warren.
Les noirs, partisans de l’ancien vice-président, sont plus susceptibles d’être plus âgés, selon un sondage The Wall Street Journal/NBC News de 2019. Quelque 43 % des Afro-Américains âgés de 50 ans ou plus se disent enthousiastes à l’égard de M. Biden, contre 29 % de ceux âgés de 18 à 49 ans.
Plusieurs candidats, dont le sénateur Bernie Sanders du Vermont, voient une ouverture chez les jeunes électeurs noirs.
« C’est dingue que la personne la plus âgée ait les meilleures idées concernant les jeunes » lance Nicholas Hubbard, 23 ans, à propos de M. Sanders, qui, avec ses 78 ans, est le doyen démocrate de la primaire. M. Hubbard, étudiant en informatique à l’Université de Caroline du Sud d’Orangeburg, affirme néanmoins soutenir M. Biden pour le moment, sur la base d’une conviction purement pragmatique : il pourrait battre M. Trump.
« Tant que je ne vois pas quelque chose qui me fait penser le contraire, je ne changerai pas », dit-il.
Jessica Outlaw, étudiante en comptabilité à South Carolina State, une école historiquement noire, déclare pouvoir comprendre pourquoi de nombreux noirs apprécient la loyauté de M. Biden envers M. Obama. « Mais nous devons voir comment il se débrouille tout seul, dit Mme Outlaw, 19 ans. Je veux juste savoir s’il va être notre candidat à tous. »
Elle affirme que son vote reste à prendre.