Une étude Harris Interactive et MGH Partners montre que les Français sont attentifs à la politique étrangère menée par la France. Cela pourrait compter dans la campagne présidentielle.
Jean-Daniel Lévy est le directeur délégué de l’institut de sondages Harris Interactive et le co-auteur, avec Pierre-Hadrien Bartoli, de l’étude sur le regard des Français au sujet de la politique étrangère.
Quel poids peuvent avoir les sujets de politiques internationales dans cette campagne présidentielle ?
Un poids bien plus important que ce que l’on imagine, d’autant plus que les Français ont conscience de ce qu’il se passe par-delà nos frontières et que cela peut avoir des conséquences sur le territoire national. D’une manière générale, l’image des candidats à l’élection présidentielle est assez structurée autour de la capacité à pouvoir représenter la France au niveau international. Ce qui nous frappe, quand on regarde les côtes de confiance et de popularité des candidats, c’est que lorsqu’il y a des moments de fortes tensions ou d’exposition au niveau international, les Français apprécient l’action du président de la République. Cela a été le cas pour Nicolas Sarkozy et François Hollande.
Qu’attendent alors les Français des candidats ?
Que la voix de la France ne s’abaisse pas au niveau international. Lorsqu’il y a des enjeux qui vont nous toucher – climatiques, économiques, sociaux, sécuritaires –, ils souhaitent que la France ait encore un message à exprimer.
Y a-t-il chez les Français la montée d’un sentiment d’humiliation ou de déclassement de la France à l’international ?
De déclassement oui, mais pas encore d’humiliation. L’épisode de la vente des sous-marins à l’Australie a eu une forte incidence sur la perception que la France n’était pas rendez-vous et n’était pas respectée. Il existe un tabou sur le fait que ce n’est pas un sujet pour les Français. Mais en fait, on se rend compte qu’il y a une vraie préoccupation autour du « qui sommes-nous » et qu’est-ce que la France peut apporter au reste du monde.
Comment vous en êtes-vous rendu compte dans votre étude ?
Dans la hiérarchie faite des pays « amis » ou « pas amis ». J’ai été extrêmement surpris de voir par exemple que la Turquie était en dernière position. La placer à ce niveau-là montre bien qu’il y a une inquiétude assez grande concernant les enjeux de la place de la Turquie au niveau européen et mondial. On aurait pu penser que d’autres pays seraient davantage considérés comme étant potentiellement problématiques… Finalement, ce n’est pas le cas et la France a été vue comme potentiellement en danger avec la Turquie.
Dans le dossier du Sahel, les pertes de 58 soldats ont-elles eu un effet sur l’opinion publique concernant l’intérêt d’un engagement des troupes françaises ?
Oui et non… Cela a eu un effet provisoire qui a eu tendance à s’estomper avec le temps. On est dans un registre de l’émotion transitoire. Du point de vue de l’opinion, on est très surpris de voir qu’il n’y a pas de règle absolue qui vise à dire qu’à partir de tant de morts ou de telle situation, il y a un niveau d’acceptabilité ou non.
Les Français comprennent-ils donc cet engagement au Mali ?
Oui, car les cinq buts de guerre avaient été assez clairement identifiés à l’époque, et c’est encore absolument le cas aujourd’hui. Tant qu’ils apparaissent comme suffisamment clairs, être au Mali est justifié pour les Français. Parmi ces objectifs, il y a celui évident de lutter contre le terrorisme qui est vu comme un enjeu : celui de faire en sorte, d’une manière ou d’une autre, que la sécurité de la France soit maintenue.
Sur les questions internationales, y a-t-il des clivages qui se dessinent ?
Beaucoup moins que dans les années 1980 et 1990. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a très peu de politisation des conflits internationaux. Quand vous interrogez les Français, on n’a pas le sentiment qu’entre la gauche et la droite (hormis peut-être Jean-Luc Mélenchon), il y a un véritable clivage. On est très loin de ce qu’on pouvait avoir au moment de la guerre du Golfe par exemple. Il y a aussi un enjeu d’image pour la société française. C’est une des raisons pour lesquelles Eric Zemmour arrive à atteindre plus de 10 % d’intention de vote. Sur le fond, la France a encore un message à émettre vis-à-vis du reste du monde, elle a une culture, une histoire, une gastronomie, un passé… Tous ces aspects jouent un rôle positif pour elle. On est dans un monde qui apparaît assez hostile (61 % des Français ont une défiance des pays étrangers). D’où l’idée de se faire respecter et de considérer qu’en France, quand on dit quelque chose, on doit être écouté.