Nombre de citoyen·nes malgaches ont dû suffoquer d’indignation en entendant, lundi 13 octobre, Emmanuel Macron mettre en garde la jeunesse contre les « ingérences étrangères », alors que la France venait tout juste de jouer un rôle central dans la crise politique qui secoue leur pays.
La veille, un avion de l’armée française en provenance de La Réunion a ainsi discrètement atterri sur l’île de Sainte-Marie, au large de la côte est de Madagascar, pour exfiltrer le président Andry Rajoelina et sa famille vers le département français, a révélé Radio France internationale (RFI).
Depuis, le chef de l’État malgache, protégé de Nicolas Sarkozy et naturalisé français en 2014, a disparu des radars, sans doute réfugié à Dubaï.
Alors que la génération Z ou Gen Z est mobilisée depuis plusieurs semaines pour lui demander de démissionner, Andry Rajoelina a affirmé, dans sa déclaration diffusée lundi soir sur le compte Facebook de la présidence, être « en mission à l’étranger » et appelé au respect de la Constitution, un discours que reprend à son compte Emmanuel Macron.

Ce n’est sûrement pas un hasard si le jour même de son départ, dimanche, Andry Rajoelina a signé un décret accordant la grâce présidentielle à huit prisonniers, parmi lesquels un Français et un Franco-Malgache, tous deux anciens officiers condamnés pour une tentative présumée de coup d’État en 2021. Cette décision a été perçue par beaucoup de Malgaches comme un des prix politiques de son exfiltration.
« Certains diront que la France a voulu éviter le chaos. Mais cette “protection” d’un dirigeant affaibli envoie un message désastreux : celui d’une tutelle déguisée, d’un néocolonialisme qui ne dit pas son nom, a réagi une internaute sur les réseaux sociaux dans un post très partagé. Elle réduit la souveraineté malgache à une illusion et rappelle que, pour Paris, Madagascar reste un pion stratégique sur l’échiquier de l’océan Indien. »
Un parfum de Françafrique
L’opération d’exfiltration décidée par le président français ne fait pas scandale qu’à Madagascar. Elle suscite un vif écho critique dans toute l’Afrique francophone, et au-delà, ravivant ici et là de douloureux souvenirs, anciens comme récents.
Car elle s’inscrit dans une longue tradition d’actions françaises relevant de la logique françafricaine. Entre les indépendances de 1960 et la fin de la guerre froide en 1991, l’armée française ou ses services secrets sont intervenus, selon les calculs de l’historienne américaine Elizabeth Schmidt, à près de quarante reprises dans seize pays africains. Objectif : maintenir un allié au pouvoir, en installer un nouveau, ou encore se débarrasser d’un dirigeant devenu encombrant.
Depuis, les décennies passent, les présidents changent, mais Paris poursuit la même politique : au cours des quinze dernières années, la France a conduit plusieurs opérations militaires sur le continent. La plus spectaculaire reste celle de 2011 : l’armée française s’est déployée, à la demande de Nicolas Sarkozy, pour installer Alassane Ouattara à la présidence de la Côte d’Ivoire, allant jusqu’à bombarder la résidence officielle du chef de l’État, au cœur d’Abidjan – un épisode qui a profondément marqué et choqué une partie de la population ivoirienne.

Trois ans plus tard, en 2014, sous la présidence de François Hollande, les militaires français ont organisé l’exfiltration d’un autre allié historique de la France dans la région, Blaise Compaoré, chassé par une insurrection populaire au Burkina Faso. L’ancien président a été transporté par hélicoptère puis par avion jusqu’en Côte d’Ivoire, où il réside toujours. Il a ainsi échappé à la justice burkinabè, et en particulier au procès des assassins de son frère d’armes Thomas Sankara, à l’issue duquel il a été condamné par contumace à la prison à perpétuité en 2022.
En 2023, la liste a failli s’allonger : Emmanuel Macron avait validé une opération des forces spéciales destinée à réinstaller Mohamed Bazoum au pouvoir, après son renversement par un coup d’État au Niger, mais, cette fois, l’intervention n’a pas été déclenchée.
À ce jeu-là, la France est perdante, les peuples savent ce qui se passe et n’oublient pas. Elle est en train de sacrifier durablement son avenir en Afrique.
À cela s’ajoutent les pressions plus diffuses du quotidien : gestes symboliques, soutiens visibles ou discrets, positionnements ambigus. En 2021, Emmanuel Macron a par exemple cautionné le coup d’État de Mahamat Idriss Déby au Tchad – qui vient de faire passer le mandat présidentiel de cinq à sept ans, tout en le rendant renouvelable indéfiniment.
En juin, l’opposition ivoirienne s’est indignée de voir l’ambassadeur de France à Abidjan arborer, lors d’une cérémonie officielle, une chemise à l’effigie de l’épouse du président Alassane Ouattara, lequel brigue, le 25 octobre, un quatrième mandat, en contradiction avec la Constitution qui n’en autorise que deux.
Les autorités françaises continuent ainsi d’agir comme si les leçons récentes venues du Burkina Faso, du Mali et du Niger, qui ont rompu brutalement avec Paris, lassés de ses interférences, ne leur avaient rien appris.
Mais les mêmes pratiques auront les mêmes effets. Le départ en catimini d’Andry Rajoelina « relance un débat qui dépasse largement les frontières de la Grande Île : la France sait-elle encore se tenir à distance des crises africaines ? », s’inquiète le journaliste malien Chiencoro Diarra. « L’Afrique change, ses capitales bougent, ses alliances se déplacent. La France, elle, semble encore croire qu’elle peut écrire la fin des histoires africaines », ajoute-t-il. Or, souligne-t-il, l’ingérence française « nourrit la méfiance et alimente le ressentiment antifrançais qui monte partout sur le continent ».
Le double discours et l’interventionnisme des autorités françaises de ces dernières années ne resteront pas sans conséquences, confirme auprès de Mediapart l’opposant et activiste togolais Nathaniel Olympio : « À ce jeu-là, la France est perdante, les peuples savent ce qui se passe et n’oublient pas. Elle est en train de sacrifier durablement son avenir en Afrique », prévient-il.
La diaspora malgache installée à La Réunion réclame déjà des explications : « De quel droit la France s’est-elle autorisé un tel acte d’ingérence dans les affaires intérieures de Madagascar ? », interroge-t-elle dans un communiqué. Un autre collectif de citoyen·nes a adressé une lettre ouverte à Emmanuel Macron, l’exhortant à rompre avec « cette hypocrisie post-coloniale qui habille d’amitié ce qui n’est souvent qu’une prudence intéressée » et à présenter des « excuses au peuple malgache pour les blessures symboliques » causées par ses déclarations récentes, et « les silences du passé ».