En Afrique, les champs de l’espoir. Scolarisation des enfants, autonomisation des femmes… Le « fair trade » a permis des avancées sociales, mais les planteurs peinent encore à obtenir un salaire décent.
Dans les environs de N’Douci, à une centaine de kilomètres au nord-ouest d’Abidjan, une bande d’enfants jouent sur la piste humide et bordée de cacaoyers qui conduit à leur village, Koffessou. Ils ne quittent pas les champs alentour mais sortent, en uniforme à carreaux rose et bleu, de l’école située dans la bourgade voisine. « Avec le commerce équitable, on a pu acheter des kits scolaires et mettre les enfants à l’école », se réjouit Konan Diby, l’un des 40 planteurs du « campement ».
Sur quelque 3 000 coopératives de cacao de Côte d’Ivoire, un peu plus de 200 sont labellisées équitables, contre seulement dix en 2010. Entre 2004 et 2017, la demande occidentale a explosé et la production homologuée « fair trade » est passée de 25 à 150 000 tonnes. La Coopérative agricole N’Zrama de N’Douci (CANN) a reçu sa première certification en 2011, en échange de bonnes pratiques à respecter. Parmi elles, l’interdiction du travail des enfants, très répandu dans les plantations de cacao du pays.
La CANN menace désormais d’exclure les cultivateurs enfreignant cette règle et dit mettre en place toutes les procédures pour que les fils et filles des planteurs puissent reprendre le chemin de l’école. « On s’y attelle, même si ce n’est pas totalement terminé », concède Konan Diby. Le travail des enfants est l’un des dessous malsains du secteur mis en lumière par le documentaire La Face cachée du cacao, du journaliste Paul Moreira, diffusé sur la chaîne Public Sénat début octobre. L’une des coopératives épinglées dans l’enquête était pourtant certifiée « commerce équitable »…
Centres de santé, écoles, ambulances…
L’obtention des différents labels équitables, dont les principaux sont UTZ Certified, Fairtrade International et Rainforest Alliance, est soumise à d’autres conditions, comme la limitation de l’usage des pesticides, remplacés par des intrants biologiques tels que le compost, et le reboisement de certains espaces dans un pays qui a perdu 90 % de ses forêts en un demi-siècle, principalement en raison des cultures de cacao, selon un rapport de l’ONG Mighty Earth. L’autonomisation des femmes est également encouragée, à travers des activités génératrices de revenus comme les plantations de manioc ou de piment, « ce qui leur permet de s’épanouir », se félicite Agnès Yao, directrice de la CANN.
In fine, le cacao est vendu plus cher aux grandes entreprises de transformation comme Nestlé ou Cargill, de plus en plus demandeuses d’un cacao éthique. Ainsi, chaque fin d’année, les exportateurs et les coopératives bénéficient d’une importante prime (entre 40 millions et 250 millions de francs CFA, soit de 60 000 à 380 000 euros) en fonction du tonnage et du label choisi. Au début, les primes finissaient dans les poches des notables. Mais « le système Fairtrade est aujourd’hui beaucoup plus réglementé », insiste Ermann Zannou, représentant de l’organisation de certification Fairtrade USA en Côte d’Ivoire.
Désormais, les deux tiers de la prime vont à la coopérative et aux exportateurs et le reste aux villages, de façon indirecte. Réunis en assemblée générale, les planteurs décident d’investir dans des centres de santé, des écoles ou des ambulances, en fonction des besoins prioritaires, et les coopératives financent le tout. Sur un mur des locaux de la CANN, des cartes identifient les « zones à risque », autrement dit les problèmes à régler en priorité : pollution des cours d’eau, villages sans école ou forêts en danger. Norbert, planteur de la zone de N’Douci, se réjouit : « Avec Fairtrade, on a construit une école dans mon village et je suis fier de cela. » Le bâtiment en dur est l’un des quatre établissements scolaires bâtis grâce aux primes reçues par la coopérative. Un peu plus à l’ouest, à Adzopé, l’argent glané a notamment permis la construction d’une ferme dotée d’un grand poulailler pour les femmes.
Mais certains planteurs préféreraient voir l’impact sur leur salaire. Délégué des planteurs de Koffessou, Kouakou Kouamé dit gagner 1,5 million de francs CFA (près de 2 300 euros) par an, bien au-dessus de la moyenne nationale : selon l’Agence française de développement (AFD), un cultivateur de cacao gagnerait moins d’un euro par jour. « C’est un peu mieux qu’avant », estime Kouakou Kouamé, mais pas assez pour s’offrir un logement décent. A Koffessou, les habitations sont principalement en terre et l’électricité n’est toujours pas arrivée, alors que l’autoroute Abidjan-Yamoussoukro est à 10 km.
Avec les primes, la coopérative finance aussi « tout le matériel nécessaire » aux planteurs. Mais la concurrence n’est jamais loin. « Les Libanais nous proposent plus d’argent », informe Kouakou Kouamé. S’il dit avoir hésité entre les deux coopératives, il respecte « le choix du village ».
Des récoltes plus importantes que la demande
On estime que 5 millions d’Ivoiriens vivent directement ou indirectement de « l’or brun », soit un habitant sur cinq. Si le cacao représente 10 % du PIB de la Côte d’Ivoire et 40 % de la production mondiale, les planteurs ne bénéficieraient en moyenne que de 6 % des recettes. En juin, les gouvernements de la Côte d’Ivoire et du Ghana, les deux principaux producteurs mondiaux, avaient décidé de suspendre les ventes de fèves pour les récoltes 2020 et 2021 tant que les négociants, les transformateurs et les chocolatiers refusaient de se soumettre à un prix plancher de 2 600 dollars la tonne.
Depuis, Fairtrade International a aussi décidé de mettre les bouchées doubles en imposant un nouveau prix minimum aux importateurs de cacao équitable, majoritairement européens et américains. La tonne est ainsi passée de 2 000 à 2 400 dollars. « On se bat pour sortir les planteurs de leur condition précaire », insiste Ermann Zannou, dont l’organisation s’aligne sur les règles élaborées par Fairtrade International. Si certains labels ne reversent pas directement aux producteurs, Fairtrade USA se félicite d’augmenter aussi le revenu des 700 planteurs de ses sept coopératives. « Avec cette nouvelle mesure, c’est comme s’ils gagnaient 141 francs CFA de plus, soit 966 francs le kilo », précise Ermann Zannou.
Un problème subsiste : le tonnage encore trop faible demandé par les importateurs. « Nos récoltes sont bien plus importantes que leur demande », regrette Fortin Bley, président du réseau Fairtrade Africa en Afrique de l’Ouest. Pourtant, « tous les industriels disent qu’ils veulent se mettre au commerce équitable », note Ermann Zannou. Mais encore trop peu de consommateurs mettent la main à la poche pour un chocolat éthique qui coûte, en moyenne, 1,50 euro plus cher. Le documentaire de Paul Moreira soulignait également le manque de traçabilité du cacao ivoirien, les différentes fèves étant bien souvent mélangées lors de l’export.
Une fois les premières années de certification passées, les coopératives équitables doivent, dans l’idéal, « s’autonomiser et devenir des organisations solides et viables à long terme », insiste Ermann Zannou : « Le plus important, c’est la durabilité. » Mais pour l’heure, le chemin semble encore aussi cahoteux que celui menant à Koffessou.