Rentré d’exil en avril 2021, Damana Pickass est un proche de Laurent Gbagbo. Pour lui, c’est une certitude : l’ancien président continuera de jouer un rôle politique.
Il y a dix ans, les images de Pickass arrachant les résultats provisoires du second tour de la présidentielle des mains du porte-parole de la Commission électorale indépendante, Yacouba Bamba, avaient fait le tour du monde. C’était avant l’arrestation de Laurent Gbagbo, son transfèrement à la CPI, et la fuite de Pickass vers le Ghana, obligé de se déguiser lors de son voyage pour éviter de se faire lui aussi arrêter.
Une décennie après, Pickass assure vouloir tourner cette page, et se pose volontiers en rassembleur. Surtout, il le revendique avec force : ni les années écoulées ni la distance n’ont affecté les relations qu’il entretient avec l’ancien président ivoirien. Au contraire, Damana Pickass fait, encore et toujours, partie des fidèles parmi les fidèles de Laurent Gbagbo, avec lequel il a si intimement lié soin propre destin.
Le rêve du retour
Le 31 mars dernier, lorsque l’ancien président est définitivement acquitté par la CPI, pour Damana Pickass aussi, les choses se précisent. Les négociations entre le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, les autorités ghanéennes et le gouvernement ivoirien parviennent à un accord. À Abidjan, le président Alassane Ouattara a décidé de lancer un processus de réconciliation nationale. Des amnisties sont annoncées et le retour des exilés facilité. Damana Pickass est de ceux-là. Le 30 avril, il atterrit à l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny. Il n’a alors qu’une seule idée en tête : préparer un accueil grandiose pour le retour de Gbagbo, le 17 juin.
Car si les autorités n’ont eu de cesse d’appeler à la retenue, les partisans de l’ancien président entendaient lui réserver un accueil à la hauteur de leur attente. « Pour nous, jamais il n’a été question de restreindre la dimension de l’accueil, encore moins de l’annuler », affirme Damana Pickass. « Les gens voulaient nous contraindre à renoncer à un accueil triomphal de Laurent Gbagbo. Pour eux, même s’il a été acquitté, cela ne signifie pas qu’il n’est pas coupable. Nous avons trouvé cela ambigu, et inacceptable. Il a gagné son procès. Il est acquitté, cela signifie qu’il a été blanchi de toutes les charges qui avaient été retenues contre lui. Il est innocent », martèle Pickass.
« Nous attendons beaucoup de lui »
Dès son retour au pays, Pickass entame une tournée dans le district d’Abidjan et les villes voisines, pour mobiliser au maximum en vue du jour J. « Nous avons simplement voulu affirmer notre droit légitime à accueillir notre chef qui revenait d’exil ». Militant au Front populaire ivoirien (FPI) depuis 1990, passé par toutes les instances du parti avant d’en devenir le vice-président, volontiers tribun, le politicien retrouve le travail « de terrain » et renoue avec le plaisir d’haranguer les foules.
Le 17 juin, dès le petit matin, des milliers de personnes convergent vers l’aéroport pour accueillir leur héros. Les craintes de débordement sont fortes mais, malgré quelques échauffourées avec les forces de l’ordre, la journée se déroule sans incident majeur. Quand Laurent Gbagbo atterrit dans l’après-midi, il est accueilli par les hourras d’une foule en liesse. « J’étais content de le voir en si bonne forme. De constater qu’il n’a rien perdu de sa verve ni de sa passion pour la politique. C’est un peu comme si rien ne lui était arrivé, se réjouit Pickass. Il n’a pas de haine ni de rancune. Laurent Gbagbo a de grands projets pour la Côte d’Ivoire et nous attendons beaucoup de lui. »
ON NE NOUS A PAS DONNÉ LE TEMPS D’ENTAMER CE VASTE CHANTIER QUI ALLAIT MODERNISER LA CÔTE D’IVOIRE
« Nous », c’est le FPI. Et en particulier la frange restée fidèle à l’ancien président pendant ses années d’emprisonnement. « Le parti a un projet de société. Nous devions mettre en place l’assurance maladie, l’école gratuite, la décentralisation… Nous voulions réformer la filière café-cacao pour en attribuer la gestion aux paysans, construire des infrastructures… Malheureusement, on ne nous a pas donné le temps d’entamer ce vaste chantier qui allait moderniser la Côte d’Ivoire et mieux redistribuer les richesses aux Ivoiriens », assure-t-il.
C’EST UN ANIMAL POLITIQUE. LE PLUS AIMÉ ET LE PLUS REDOUTABLE »
Pendant ses dix années d’exil à Accra, Damana Pickass a caressé l’espoir de voir son champion, Laurent Gbagbo, rentrer en Côte d’Ivoire pour reprendre en main sa famille politique. Et dans ce rêve, lui aussi était là, aux côtés de l’ancien président qu’il a défendu avec tant d’âpreté qu’il est devenu l’un des acteurs majeurs de la crise post-électorale de 2010-2011. Dans sa villa de Bingerville, où cet administrateur civil de formation nous a reçus le 9 juillet, des militants attendent dans la cour. Pickass enchaîne les rendez-vous dans un salon dédié. Cheveux grisonnants, mocassins, il a dessiné sur les lèvres le sourire de ceux dont le rêve s’est réalisé.
Le lendemain, il a accompagné Laurent Gbagbo à Daoukro, où il a rencontré Henri Konan Bédié. « Un signal fort, se félicite Damana Pickass. Cela montre que Laurent Gbagbo est venu pour réconcilier les Ivoiriens. Henri Konan Bédié est un acteur majeur dans la crise ivoirienne et, qui plus est, un allié stratégique du FPI. Cette alliance va inverser les rapports de force sur la scène politique ivoirienne », promet-il. L’alliance entre le FPI et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, de Bédié) avait déjà abouti à la formation de listes communes lors des législatives de mars 2021, rappelle d’ailleurs Pickass.
Depuis quelques semaines, Laurent Gbagbo multiplie les prises de parole, confirmant chaque fois sa volonté de prendre une place centrale dans l’arène politique. Pour Pickass, il n’y a pas de doute : « C’est un animal politique. Le plus aimé et le plus redoutable. S’il y a des élections régulières dans ce pays, il n’aura pas d’adversaire. »
Rassembler le FPI ?
Gbagbo a-t-il déjà la présidentielle de 2025 en ligne de mire ? Pickass sourit. « Un politique est toujours en campagne. Nous nous y préparons. » Avant cela, il faudra cependant s’assurer de l’unité du parti, secoué par de profondes dissensions internes. Le FPI a connu une scission entre les fidèles de l’ancien président, les « Gbagbo ou Rien » (GOR) et la tendance officiellement reconnue, présidée par Pascal Affi N’Guessan.
Pour l’heure, le retour de Gbagbo n’a pas permis d’aplanir les différends entre les deux clans. Au contraire. Le 9 juillet, le secrétaire général et porte-parole du parti, Issiaka Sangaré, s’est fendu d’un communiqué pour dénoncer la présentation de Laurent Gbagbo comme « président du parti » par les GOR. « Il est de notoriété et consacré par la loi, que le président du FPI n’est nul autre que le président Pascal Affi N’Guessan », a-t-il précisé.
SI LE MÉNAGE N’EXISTE PLUS, LA POLITIQUE, ELLE, CONTINUE
L’ancien président, qui s’est donné pour mission de réconcilier les Ivoiriens, parviendra-t-il à rassembler au sein de son propre camp ? « Il y a une crise, effectivement, mais je pense que les choses vont rentrer dans l’ordre. Les discussions n’ont pas encore commencé. Il n’est d’ailleurs pas sûr qu’il y en ait… Ce n’est pas aussi simple que cela. Mais nous souhaitons l’unité du parti », confie Pickass. « Lorsqu’un chef est absent, il y a une façon de se comporter. Quand il est là, c’est différent. Maintenant qu’il est là, nous espérons que certains feront profil bas et adopteront une attitude favorable à la réconciliation et à l’unité du parti. »
Quant à l’autre dossier qui fait craindre des tensions internes au sein du FPI, le divorce de Laurent Gbagbo et Simone Ehivet Gbagbo, Pickass se veut rassurant : « C’est une affaire strictement privée et qui concerne les Gbagbo. Les deux se sont connus dans la politique avant de se mettre en ménage. Si le ménage n’existe plus, la politique, elle, continue. »