L’endettement des pays en développement a crû de 5,3 %, à 7 810 milliards de dollars en 2018.
C’est un cri d’alarme. Le surendettement menace les pays pauvres, observe la Banque mondiale (BM). Dans son édition 2020 des statistiques sur la dette internationale, publiée mercredi 2 octobre, l’institution s’inquiète des « risques élevés de crise de la dette extérieure » et de son « poids insoutenable » dans de nombreux pays à revenus faibles et intermédiaires.
En 2018, la dette des pays en développement a crû de 5,3 %, à 7 810 milliards de dollars (7 138 milliards d’euros). La situation est particulièrement préoccupante dans les 76 pays les plus pauvres de la planète. Leur niveau d’endettement extérieur a doublé depuis 2009, pour atteindre 288 milliards de dollars l’an dernier, et a même bondi, au cours de cette période, de 885 % en Ethiopie, de 395 % au Ghana et de 521 % en Zambie. Dans certains de ces Etats, la BM observe que « les risques élevés de surendettement n’ont pas empêché de nouveaux emprunts en 2018 ».
Pour expliquer cette situation, l’organisme sis à Washington évoque l’abondance de liquidités dans les économies développées, favorisée par la baisse des taux d’intérêt et les programmes de rachat de dette des banques centrales. Non seulement la baisse des taux a permis aux pays pauvres de s’endetter à moindre coût, mais cette manne d’argent pas cher a incité les investisseurs occidentaux, en quête de rendement, à se tourner vers des pays plus risqués, comme en Afrique subsaharienne. Le Ghana est ainsi le premier pays africain à avoir émis des obligations libellées en euros, en 2007, suivis par douze autres pays pauvres qui se financent désormais sur les marchés internationaux.
Des économies plus dépendantes des politiques monétaires des pays riches
De ce fait, les économies des pays pauvres sont devenues plus dépendantes des politiques monétaires des pays riches, sur lesquelles elles n’ont aucune prise. Dès lors, elles sont plus vulnérables aux chocs extérieurs. Le relèvement des taux directeurs en Europe ou aux Etats-Unis pourrait plonger ces pays dans une crise de la dette, en provoquant une fuite des capitaux et une dévaluation de leurs devises locales.
« L’emprunt soutenable est un facteur important dans la croissance économique et la lutte contre la pauvreté (…), mais la hausse rapide de l’accumulation de la dette et son changement de structure posent de nouveaux défis », a mis en garde David Malpass, le président de la Banque mondiale.
Depuis le déclenchement de la crise financière, en 2008, la structure de la dette extérieure des pays en développement s’est complètement transformée. La part de l’endettement de court terme a fortement augmenté, passant de 13 % du total des encours au début des années 2000, à 30 % en 2018. Les créanciers privés sont de plus en plus nombreux. En Afrique subsaharienne, ceux-ci possèdent dorénavant 41 % des encours de dettes contre seulement 17 % en 2009.
« L’explosion sans précédent de la dette privée »
« La dette n’est plus un instrument financier de long terme servant la croissance des pays en développement, mais un actif financier risqué soumis aux intérêts à court terme des créanciers », constate Rachid Bouhia, économiste à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).
Les prêts à destination du secteur privé dans les pays émergents ont, eux aussi, bondi. Ils représentent 139 % du produit intérieur brut (PIB) en 2017 contre 79 % en 2008, et ils augmentent plus rapidement que dans le secteur public, contrairement à ce qui prévalait avant la crise financière. Une situation là aussi inquiétante, d’après la Cnuced. « L’explosion sans précédent de la dette privée devrait clairement nous alarmer plus que tout », soulignait l’agence onusienne dans un rapport publié le 25 septembre.
Cette dette privée alimente la spéculation financière (distribution de dividendes, rachats d’actions, acquisitions et fusions), au lieu de contribuer à l’investissement productif, note la Cnuced. La hausse de l’endettement ne s’est pas traduite par une augmentation, dans les mêmes proportions, des investissements dans les actifs matériels, comme les machines-outils ou les usines. Elle favorise également les grandes entreprises, qui ont accès aux marchés financiers internationaux, au détriment des petites.
En Asie, les entreprises sont les plus exposées aux risques de surendettement
L’organisation implantée à Genève évalue les besoins annuels des pays en développement en investissements productifs à environ 2 000 à 3 000 milliards de dollars pour que ces derniers atteignent certains objectifs de développement durable d’ici à 2030, comme l’élimination de la pauvreté. « Mais les capitaux privés ne financent plus le développement, car ils ne sont plus engagés dans des activités productives », constate Rachid Bouhia.
C’est surtout dans les économies asiatiques en développement que les entreprises sont les plus exposées aux risques de surendettement. Selon les chiffres du FMI, leur dette s’est envolée en Indonésie de 14,8 % du PIB en 2007, à 23,4 % en 2018, et de 58,2 % à 67,7 % en Malaisie. Or, ces sociétés étant lourdement endettées en devises étrangères, elles sont particulièrement vulnérables en cas de dépréciation du taux de change. Les avantages comparatifs qu’elles pourraient en tirer, en exportant à moindre coût leurs produits, seraient balayés par le renchérissement du coût de leurs dettes. Dans une étude du Fonds monétaire international, publiée en mai, un des coauteurs, Tahsin Saadi Sedik, l’affirmait sans ambages : « Les pays asiatiques émergents doivent se préparer à une hausse des faillites lors du prochain changement de la politique monétaire des économies avancées, et réformer, si nécessaire, leurs régimes d’insolvabilité. »