Le 21 octobre, le fondateur de WikiLeaks est apparu devant un tribunal de Londres affaibli, s’exprimant avec difficulté, tandis que des « représentants du gouvernement américain » discutaient ouvertement avec le ministère public, selon un ex-diplomate présent. L’« exposition continue [d’Assange] à l’arbitraire et aux abus pourrait lui coûter bientôt la vie », alerte le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Nils Melzer.
Les conditions de détention de Julian Assange en Grande-Bretagne et son « exposition continue à l’arbitraire et aux abus pourrai[en]t lui coûter bientôt la vie », a alerté, vendredi 1er novembre dans un communiqué, le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture et les traitements humains, Nils Melzer.
Le fondateur de WikiLeaks, interpellé le 11 avril dernier par la police britannique et incarcéré depuis dans l’attente de son extradition vers les États-Unis, « continue d’être détenu dans des conditions oppressives d’isolement et de surveillance qui ne sont pas justifiées par son statut de détention », peut-on lire aussi.
Ce communiqué de Nils Melzer fait suite à une alerte déjà lancée le 31 mai par le rapporteur spécial des Nations unies, qui avait pu alors rendre visite à Julian Assange dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, située au sud-est de Londres.
« Il est évident que la santé de M. Assange a été sérieusement affectée par l’environnement extrêmement hostile et arbitraire auquel il a été exposé pendant de nombreuses années », avait déclaré Nils Melzer en référence aux sept années quasiment que l’hacktiviste a passé réfugié dans une pièce sans fenêtre de l’ambassade équatorienne de Londres.
« En plus d’affections physiques, M. Assange montrait les symptômes typiques d’une exposition prolongée à la torture psychologique, dont un stress extrême, une anxiété chronique et un fort traumatisme psychologique », témoignait Nils Melzer. « Les preuves sont accablantes et claires, poursuivait-il. M. Assange a été délibérément exposé, durant une période de plusieurs années, à des formes de traitements ou de punitions cruels, inhumains ou dégradants à la sévérité progressive, dont les effets cumulés ne peuvent être décrits que comme de la torture psychologique. »
Dans son nouveau communiqué, le rapporteur spécial de l’ONU indique avoir bien reçu un retour des autorités britanniques. « Dans une réponse hâtive envoyée près de cinq mois après ma visite, le gouvernement britannique rejette catégoriquement mes conclusions, sans montrer la moindre volonté de considérer mes recommandations, sans parler de les appliquer, ou de fournir les informations additionnelles demandées », indique-t-il.
« En dépit de l’urgence médicale de mon appel et du sérieux des violations présumées, le Royaume-Uni n’a entrepris aucune mesure d’investigation, de prévention ou de rectification requise par le droit international », s’alarme Nils Melzer.
Cela fait plusieurs mois que les soutiens de Julian Assange alertent sur son état de santé présenté comme catastrophique. Il n’existe quasiment aucune image du fondateur de WikiLeaks depuis son arrestation d’avril, à l’exception d’une vidéo filmée par un co-détenu au mois de juin dernier et diffusée par l’agence de presse russe Ruptly, basée à Berlin.
Le lundi 21 octobre, il faisait sa première apparition publique depuis le mois de mai à l’occasion d’une audience devant un tribunal londonien au cours de laquelle les photos étaient interdites. L’ex-diplomate britannique Craig Murray, militant des droits humains et ami de Julian Assange, a assisté à cette audience dont il a fait, sur son blog, un compte rendu dramatique.
« J’ai été très choqué de juste voir combien de poids mon ami avait perdu, par la vitesse à laquelle ses cheveux ont disparu et par l’apparition d’un très fort vieillissement prématuré. Il était atteint d’un boitement prononcé que je n’avais jamais vu. Depuis son arrestation, il a perdu plus de 15 kg », raconte-t-il.
« Mais son apparence physique n’était pas aussi choquante que sa détérioration mentale. Quand on lui a demandé son nom et sa date de naissance, il a visiblement lutté durant plusieurs secondes pour se rappeler des deux. […] Articuler les mots et suivre le fil de sa pensée était un vrai combat pour lui. »
« Pour avoir assisté en Ouzbékistan aux procès de plusieurs victimes de tortures extrêmes et avoir travaillé avec des survivants de Sierra Leone et d’ailleurs, poursuit Craig Murray, je peux vous dire que […] Julian présente exactement les symptômes d’une victime de torture. » L’ex-diplomate décrit un Julian Assange le regard perdu, peinant à articuler et à comprendre ce que la présidente du tribunal lui demandait.
L’audience du 21 octobre avait pour but d’examiner une requête des avocats du journaliste visant à reporter l’examen de la demande d’extradition formulée par les États-Unis, programmé au 25 février 2020. Julian Assange s’est vu, en effet, confisquer l’ensemble de son matériel informatique et de ses documents de travail, ce qui l’empêche, selon ses conseils, de préparer correctement sa défense. Cette tentative a été finalement balayée par le tribunal.
Dans son compte rendu Craig Murray décrit une audience à charge, marquée par la présence de « cinq représentants du gouvernement américain […] assis derrière les avocats dans le tribunal », et discutant ouvertement avec les avocats du ministère public avant de répondre aux questions de la présidente du tribunal.
Officiellement, Julian Assange a été interpellé par les autorités britanniques pour avoir violé, en 2012, sa libération conditionnelle en se réfugiant dans l’ambassade équatorienne à Londres alors qu’il était sous le coup d’un mandat d’arrêt lancé par la justice suédoise, qui l’accuse d’agressions sexuelles. Jugé au mois de mai pour ces faits, il a été condamné à cinquante semaines de prison.
Dès son arrestation, la justice américaine avait annoncé l’ouverture de poursuites pour « conspiration en vue d’une intrusion informatique ». Le 23 mai, le Département de la justice ajoutait pas moins de dix-sept autres charges, dont la violation de l’« Espionage Act », punissables au total de 175 années de prison.
L’acte d’accusation vise explicitement le rôle de Julian Assange dans la diffusion en 2010 par WikiLeaks des documents fournis par l’ex-soldate Chelsea Manning détaillant, notamment, des exactions de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. « Assange, les affiliés à WikiLeaks ont partagé l’objectif commun de subvertir les restrictions légales sur des informations classifiées et de les disséminer publiquement », accuse notamment le document du Département de la justice.
Ces motifs d’inculpation, visant le travail journalistique de WikiLeaks et la diffusion d’informations reprises par les journaux du monde entier, avaient suscité de nombreuses inquiétudes aux États-Unis. « Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, le gouvernement a invoqué des charges criminelles contre un éditeur pour la publication d’informations véridiques », soulignait ainsi Ben Wizner de l’association américaine de défense des libertés publiques American Civil Liberties Union (ACLU).
Plusieurs journaux américains, pourtant habituellement peu enclins à exprimer leur soutien à WikiLeaks, s’étaient indignés de ce que le Los Angeles Times qualifiait « d’attaque contre la liberté de la presse ».
La lanceuse d’alerte Chelsea Manning a, de son côté, été sommée en février 2019 par la justice américaine de comparaître devant un jury afin de témoigner contre Julian Assange. À deux reprises, elle a refusé et s’est vu infliger des peines de prison, une première purgée du 8 mars au 8 mai et l’autre, de 18 mois, prononcée en mai 2019. Elle est actuellement incarcérée à la prison d’Alexandria en Virginie du Nord.
Dans un communiqué diffusé le jour de l’audience du 21 octobre, la section britannique de l’ONG Amnesty International avait enjoint aux autorités de « reconnaître le risque sérieux de violation des droits humains auquel Julian Assange ferait face s’il était envoyé aux États-Unis » et les appelaient à « rejeter la demande d’extradition ».