Dissident du PDCI et candidat indépendant à la présidentielle du 31 octobre, KKB se désolidarise de l’appel à la « désobéissance civile », lancé par le reste de l’opposition. Et dément catégoriquement toute connivence avec Alassane Ouattara. Interview.
Parmi les trois opposants dont le dossier de candidature à la présidentielle a été retenu par le Conseil constitutionnel, il est le seul à ne pas avoir rejoint l’appel de l’opposition à la « désobéissance civile ». Kouadio Konan Bertin, 52 ans, plus connu par ses compatriotes sous l’acronyme « KKB », n’en a cure : il entend bien participer au scrutin du 31 octobre, peu importe le positionnement d’Henri Konan Bédié, Pascal Affi N’Guessan et des autres.
De quoi renforcer les doutes de nombreux opposants sur sa candidature. À leurs yeux, KKB serait à la solde du pouvoir et servirait de « faire valoir » démocratique à Alassane Ouattara dans une élection qu’ils estiment jouée d’avance. L’intéressé, lui, assure être droit dans ses bottes. Et dément toute connivence avec le président sortant, candidat à un troisième mandat contesté.
Ex-député de Port-Bouët, ce dissident du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) s’est une nouvelle fois attiré les foudres d’Henri Konan Bédié en présentant sa propre candidature à la présidentielle, après une première brouille en 2015, pour la même raison. Un nouvel acte de défiance qui lui vaut par ailleurs une convocation devant le conseil de discipline du parti, le 1er octobre, à Abidjan.
Offensif à l’égard de Bédié et de ses successeurs, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, qu’il accuse d’avoir mené la Côte d’Ivoire dans le mur, le quinquagénaire souhaite maintenant les « mettre à la retraite » et incarner un « renouveau générationnel ». Il a reçu Jeune Afrique le 24 septembre dans ses bureaux du quartier des Deux-Plateaux, à Abidjan. Entretien.
Jeune Afrique : Pourquoi refusez-vous de rallier l’appel de l’opposition à la « désobéissance civile » ?
Kouadio Konan Bertin : Il y a une formidable cohérence à se présenter à une élection présidentielle en espérant qu’elle n’ait pas lieu… À la sortie d’une récente rencontre avec le président Henri Konan Bédié, Pascal Affi N’Guessan a déclaré : « Quand KKB comprendra qu’il n’a plus de choix, il nous rejoindra ». Voici leur logique. Mais je n’agis jamais sous la dictée de quelqu’un d’autre. On n’obtient rien de moi par la force.
Tous ceux que je vois ont déjà gouverné ce pays. Maintenant, je comprends tous les maux de la Côte d’Ivoire. Les oiseaux de même plumage volent ensemble. Nous, nous ne sommes pas du même plumage.
Vous ne rejoindrez donc jamais cet appel ?
J’ai mes convictions pour la Côte d’Ivoire. Ce n’est pas quelqu’un d’autre qui me dira ce qu’il faut faire pour ce pays. S’ils étaient si visionnaires que ça, la Côte d’Ivoire ne sera pas là où elle est aujourd’hui.
QU’ESPÈRENT-ILS EN LIEU ET PLACE DE CE SCRUTIN ? ENCORE UN COUP D’ÉTAT ?
Que pensez-vous des déclarations des autres opposants, qui affirment qu’il n’y aura pas d’élection présidentielle le 31 octobre ?
C’est bien de faire des déclarations, mais que proposent-ils ? La Constitution stipule que l’élection présidentielle a lieu tous les cinq ans. Le 31 octobre est la date consacrée pour cette élection. Qu’espèrent-ils en lieu et place de ce scrutin ? Encore un coup d’État ? Une autre rébellion ? Il faut que l’on nous dise, pour que nous ayons le temps d’apprécier et voir à quoi nous en tenir.
Craignez-vous des troubles à l’approche du scrutin ?
Oui et pourtant, notre pays n’a pas besoin de cela. Je l’ai dit il y a très longtemps : il faut aller à la paix par le dialogue. Malheureusement, dix ans après la guerre, nous constatons que rien n’a changé.
- Vincent Fournier/JA
L’ancien chef des Jeunes patriotes, Charles Blé Goudé, vous a appelé à vous mettre « du bon côté de l’histoire ». Que lui répondez-vous ?
Ce n’est pas depuis La Haye qu’il devrait me donner des leçons. Charles Blé Goudé le sait bien : j’ai toujours été du bon côté de l’histoire.
Êtes-vous en contact avec les autres candidats de l’opposition, Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan ?
Pascal Affi N’Guessan m’a récemment reçu, et je suis au regret de constater qu’il a fait une grande pirouette : ce qu’il dit aujourd’hui n’est pas ce qu’il m’a dit hier dans son salon.
Que vous a-t-il dit ?
Je n’en dirai pas plus, mais j’insiste : ce n’est pas ce qu’il m’a dit. C’est lui qui avait demandé à me voir. Puis je constate qu’il est avec Bédié, déclarant que je les rejoindrai quand je n’aurais plus d’autre choix. Cela s’appelle du mépris.
LE PRÉSIDENT EN EXERCICE PERD TOUJOURS LES ÉLECTIONS QU’IL A ORGANISÉES. JE BATTRAI OUATTARA
Vous vous êtes encore brouillé avec Henri Konan Bédié, après un premier divorce en 2015. Cette fois, la rupture est-elle définitive ?
Quand je serai président, dans un peu plus d’un mois, j’apprendrai à nos anciens comment on gouverne un pays en respectant les anciens. Bédié reste mon père. J’ai toujours souhaité qu’il ne lui arrive rien de mal et qu’il ne soit pas humilié. Lui-même avait dit qu’il n’entendait pas finir comme les autres, être candidat au delà de 80 ans et s’accrocher. Ce sont ses propos.
En 2010, il avait dit devant tout le peuple que c’était son dernier combat. Encore une fois, c’est lui qui l’a dit. J’ai connu Bédié homme de parole. C’est ce Bédié que je respectais, que je vénérais. Je ne peux pas accepter qu’on donne de lui l’image d’un tripatouilleur de textes comme on l’a fait au dernier congrès du PDCI.
Dites-vous, comme certains opposants, que le troisième mandat brigué par Alassane Ouattara est illégal et illégitime ?
Si on n’avait pas touché à l’ancienne Constitution [en 2016], Ouattara et Bédié ne seraient pas candidats aujourd’hui. J’étais député du PDCI quand ce débat a surgi à l’Assemblée nationale et j’avais mis en garde tous ceux qui s’excitent aujourd’hui.
À l’époque, j’ai demandé au président Bédié ce qu’il fallait faire. Il m’a répondu qu’il y avait une différence entre une nouvelle Constitution et une révision constitutionnelle… Et voilà où nous en sommes aujourd’hui. Mais n’oublions pas que Bédié avait lui aussi intérêt à ce qu’on modifie la Constitution [l’ancien texte fixait à 75 ans l’âge limite pour se présenter à la présidentielle].
À vos yeux, Alassane Ouattara a-t-il, oui ou non, le droit de se représenter ?
C’est aux juristes et aux constitutionnalistes de le dire. Moi je suis un homme politique, peu importe celui qui se tiendra face à moi.
Ce que je veux, c’est la paix pour mon pays. Or en Côte d’Ivoire, chaque décennie entraîne un changement de pouvoir et le président en exercice perd les élections qu’il a organisées. En 2000, Robert Gueï a organisé les élections. Gbagbo l’a battu. En 2010, Gbagbo a organisé les élections. Ouattara l’a battu. En 2020, Ouattara va organiser les élections. Et je le battrai.
Les conditions sont-elles réunies pour tenir des élections justes et transparentes le 31 octobre ?
Nous avons critiqué depuis longtemps cette CEI [Commission électorale indépendante], qui n’est pas indépendante et qui ne réunit pas toutes les conditions pour mener sa mission à bien. Mais nous pouvons toujours dialoguer pour espérer réunir ces conditions d’ici le vote.
Certains opposants affirment que participer à ce scrutin revient à cautionner la « forfaiture » d’Alassane Ouattara…
Je les laisse à leur jugement.
Que répondez-vous à ceux qui affirment que vous êtes à la solde du pouvoir ?
Ai-je la tête d’un corrompu, de quelqu’un qu’on achète ? Je n’agis jamais sous la dictée d’un tiers. Personne ne peut me manipuler. Même Bédié m’a qualifié d’irréductible.
LES INGRÉDIENTS SONT RÉUNIS POUR UNE NOUVELLE CRISE ÉLECTORALE ET LES SIGNES SONT LÀ
Et à ceux qui s’étonnent du fait que vous avez obtenu suffisamment de parrainages à travers le pays ?
J’ai obtenu mes parrainages, je peux vous montrer les fiches qui sont encore là [il demande à un de ses assistants d’aller lui chercher un carton contenant des fiches de parrainages].
J’ai été président des jeunes du PDCI pendant dix ans. Il n’y a pas un seul village en Côte d’Ivoire qui ne me connaît pas, où je n’ai pas installé un comité de jeunes de 15 ou 25 membres. J’ai officiellement obtenu 3,88 % des suffrages lors de la présidentielle de 2015. Pourquoi serait-on surpris que je puisse réunir aujourd’hui suffisamment de parrainages ?
La Côte d’Ivoire risque-t-elle une nouvelle crise électorale ? Comment l’empêcher ?
Les ingrédients sont réunis et les signes sont là. Il y a déjà eu vingt morts. Ce sont vingt morts de trop. J’observe que Bédié était avec Ouattara de 2010 à 2018. Pourquoi ne s’est-il pas souvenu que Gbagbo était à La Haye et qu’il fallait qu’il rentre ? Pourquoi ne s’est-il pas rendu compte que la CEI n’était pas bonne ? Pourquoi subitement, là, maintenant, il faudrait mourir pour ça ?
Il faut arrêter de manipuler le peuple pour des intérêts égoïstes. Cela suffit ! Tout ça manque de cohérence, de clarté, de vision. Nous sommes dans un cycle du « ôte-toi que je m’y mette » avec les mêmes acteurs – Bédié, Gbagbo, Ouattara – depuis vingt-cinq ans. Quand est-ce que cela va prendre fin ? La retraite existe dans tous les métiers. Il est temps que nous fermions cette parenthèse. Il n’y a pas qu’eux dans ce pays.