L’ex-Premier ministre ivoirien, candidat du FPI légalement reconnu pour la présidentielle du 31 octobre, a rejoint l’appel de l’opposition à la « désobéissance civile » contre la candidature d’Alassane Ouattara à un troisième mandat. Interview.
Sa clarification était attendue. Le 22 septembre, deux jours après la conférence de presse de Henri Konan Bédié et des principales forces de l’opposition appelant les Ivoiriens à la « désobéissance civile », durant laquelle son absence a été remarquée, Pascal Affi N’Guessan leur a emboîté le pas.
Rare opposant dont le dossier a été retenu par le Conseil constitutionnel pour la présidentielle du 31 octobre, avec Henri Konan Bédié et Kouadio Konan Bertin, le président et candidat du Front populaire ivoirien (FPI) légalement reconnu assure qu’il n’ira pas aux urnes si les conditions pour des élections « justes et transparentes » ne sont pas réunies.
Parmi ses exigences : le retrait de la candidature controversée d’Alassane Ouattara à un troisième mandat et la refonte totale de la Commission électorale indépendante (CEI) et du Conseil constitutionnel.
Après une première candidature à la magistrature suprême en 2015, l’ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo, avec lequel il est brouillé depuis des années, espère enfin s’imposer et conquérir un pouvoir confisqué depuis plus de vingt ans par ses aînés.
Depuis le bureau de sa villa du quartier huppé de la Riviera (Abidjan), où il a pour voisin un certain Hamed Bakayoko, Pascal Affi N’Guessan se dit aujourd’hui prêt à descendre dans la rue aux côtés des Ivoiriens pour faire renoncer Ouattara.
Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous décidé de rejoindre l’appel de l’opposition à la « désobéissance civile » ?
Pascal Affi N’Guessan : Parce qu’Alassane Ouattara veut opérer un passage en force en prenant en otage la commission électorale et le Conseil constitutionnel, c’est-à-dire les deux institutions chargées de l’organisation des élections et de la proclamation des résultats.
Ces deux institutions sont totalement dominées par Alassane Ouattara. Nous ne pouvons pas tolérer une élection pipée, verrouillée et qui est, comme le pouvoir le dit lui-même, « calée et gelée ». C’est une véritable mascarade.
Pourquoi récusez-vous aujourd’hui toute légitimité à la CEI et au Conseil constitutionnel alors que vous y avez siégé et que vous y avez déposé votre dossier de candidature ?
Nous avons toujours revendiqué la réforme de la commission électorale. Même si nous étions dans la commission centrale, nous avons souhaité que les commissions locales soient équilibrées. Le dernier arrêt de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples [CADHP] nous a d’ailleurs donné raison.
JE RESTE CANDIDAT MAIS JE REVENDIQUE DES ÉLECTIONS TRANSPARENTES ET DÉMOCRATIQUES
Malheureusement, le pouvoir refuse cette réforme et préside aujourd’hui la totalité de ces commissions locales. Dans ces conditions, nous n’avons pas notre place dans cette élection.
Faut-il comprendre que vous retirez votre candidature ?
Non, je reste candidat mais je revendique des conditions électorales transparentes et démocratiques. La bataille que nous allons entamer consiste à amener le pouvoir à créer ces conditions, afin que tous ceux qui ont le droit de participer à cette élection puissent le faire et que ses résultats soient transparents.
Mais affirmez-vous, comme d’autres opposants, notamment Guillaume Soro, qu’il n’y aura pas d’élection le 31 octobre ?
Dans ces conditions, il n’y aura pas d’élection. Il n’y en aura que si les conditions changent.
De son côté, le pouvoir en place explique que l’élection aura bien lieu, quoi qu’il arrive…
Ce n’est pas une attitude de sagesse. Ce n’est pas responsable que de refuser le dialogue et de ne pas offrir de garanties quant à la tenue d’un scrutin démocratique.
S’il s’enferment dans cette logique, cela signifie qu’ils veulent opérer un passage en force, qu’ils veulent frauder et qu’ils ne veulent pas d’une élection équitable. C’est le droit de l’opposition de s’y opposer.

Vous dites être en phase avec l’opposition, mais vous n’avez pas pris part à la réunion du 20 septembre au siège du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) lors de laquelle Henri Konan Bédié a appelé à la « désobéissance civile ». Êtes-vous marginalisé ?
Non. Aucun parti ou leader politique ne peut me mettre de côté.
JE SUIS PERSUADÉ QUE LAURENT GBAGBO PRENDRA POSITION
Par ailleurs, la lutte dans laquelle nous nous engageons n’appartient pas à un seul parti politique. Il s’agit d’une action collective et nationale, destinée à construire la démocratie dans notre pays. Dans ce combat, tout le monde a sa place et personne ne peut exclure personne.
Vos profonds différends avec les « Gbagbo ou rien » (GOR), les partisans de Laurent Gbagbo, sont-ils réglés ? Êtes-vous enfin capables de faire cause commune ?
Bien sûr. Nous avons eu des divergences sur l’attitude à adopter au sujet du dialogue politique et de la participation aux élections. Ces deux questions nous divisaient. Pendant que je prônais la participation et que je m’engageais dans le dialogue pour que les problèmes de l’opposition soient progressivement réglés, les partisans de Laurent Gbagbo m’opposaient une logique de confrontation permanente avec le pouvoir et le refus de participer aux élections.
Aujourd’hui, nous nous rejoignons puisqu’ils sont favorables à la participation aux scrutins et qu’ils ont demandé avec insistance, à plusieurs reprises, à rencontrer le chef de l’État pour dialoguer et trouver des solutions. Plus rien ne nous divise.
Avez-vous eu Laurent Gbagbo au téléphone ces derniers jours ? Êtes-vous sur la même ligne ?
Pas ces derniers jours, mais il y a un peu plus d’un mois. Au regard de l’évolution de l’environnement politique, avec toute l’opposition rassemblée face au pouvoir, je ne vois pas ce qui peut nous séparer de Laurent Gbagbo.
Attendez-vous une prise de position publique de l’ancien président sur la situation politique ?
À un moment ou à un autre, je suis persuadé qu’il le fera. Je ne sais pas quand, mais certainement avant le 31 octobre.
Vous avez récemment rencontré Henri Konan Bédié à Abidjan. Vous a-t-il dit qu’il ne se présenterait pas à la présidentielle du 31 octobre ?
Il est dans la même logique que moi : il ne s’agit pas de retirer nos candidatures pour laisser Alassane Ouattara seul en course, mais de se battre pour participer à des élections justes et transparentes. Il y a une nuance entre se retirer d’une compétition et laisser un boulevard à son adversaire et refuser de participer à des élections qui ne sont pas transparentes.
Nous sommes dans une attitude dynamique et offensive, pas dans une attitude de retrait.

Selon vous, pourquoi Kouadio Konan Bertin ne se rallie pas au reste de l’opposition et n’adhère pas à l’appel à la « désobéissance civile » ?
Je le lui ai dit et le répète solennellement : je lui demande de changer de position. En refusant de rejoindre l’opposition dans la bataille qu’elle mène pour la démocratie et la paix sociale, il ne se place pas dans le bon camp.
Le soupçonnez-vous d’être en quelque sorte à la solde du pouvoir ?
Je ne veux pas porter de jugement. Je lui demande juste de revoir sa position.
Certains de vos adversaires vous prêtent à vous aussi des liens avec la majorité présidentielle…
Quels sont ces liens ? C’est à eux de le dire, je ne sais pas de quoi vous parlez. En ce qui me concerne, je suis radicalement engagé dans la bataille contre Alassane Ouattara pour que les élections soient démocratiques et transparentes.
NOUS RÉFLÉCHISSONS À PLUSIEURS FORMES D’ACTION. L’OBJECTIF EST D’AMENER LE POUVOIR À RECULER
Quelles formes prendra la « désobéissance civile » ? Un appel à manifester va-t-il être lancé ? Et si tel devait être le cas, quand ?
Oui, un appel solennel va être lancé très prochainement. Le temps d’identifier la forme que la désobéissance civile doit prendre pour être efficace et efficiente, c’est-à-dire pour atteindre ses objectifs sans dommages pour les populations et pour les partis politiques.
La désobéissance civile, cela peut être refuser d’aller au travail ou de s’acquitter d’un certain nombre de devoirs vis-à-vis de l’État. Cela peut être aussi l’organisation de journées « villes mortes » ou de marches pacifiques pour protester contre la situation actuelle.
Nous allons examiner cette panoplie de mesures et voir celles que nous retenons. L’objectif est de traduire de façon massive la réprobation générale et d’amener le pouvoir à reculer.
Si cet appel à manifester est lancé, serez-vous dans la rue aux côtés de vos compatriotes ?
Bien sûr, je souhaite que les leaders politiques soient au premier rang. Il ne s’agira pas d’appeler à une manifestation et de rester cloîtré chez soi. Nous, leaders politiques de l’opposition, devrons être en première ligne des manifestations.
Que répondez-vous aux responsables du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), qui considèrent que l’attitude de l’opposition est « irresponsable » ?
Ce sont eux qui sont irresponsables. Quand on est à la tête d’un pays fragilisé par trente ans de crises et que l’on s’engage dans une logique de dictature, quand on contraint des citoyens à l’exil et qu’on les condamne de façon injuste à des peines d’emprisonnement par contumace, quand on a une telle gouvernance, que l’on est abandonné de tous et que la coalition qui vous a porté au pouvoir a volé en éclat, vous étalez à la face du monde votre irresponsabilité. Et quand vous dites que vous ne serez pas candidat et que, moins d’un an après, vous faites volte-face et reniez votre propre parole, c’est vous qui faites preuve d’irresponsabilité.
NOUS ALLONS CONTRAINDRE ALASSANE OUATTARA AU DIALOGUE
Vous avez récemment déclaré « Nous irons jusqu’où ADO veut nous conduire ». Qu’entendez-vous par là exactement ?
Qu’Alassane Ouattara ne doit pas croire que ses menaces et ses intimidations nous feront reculer. Nous ne céderons pas. Il ne faut pas qu’il compte sur notre couardise ou notre refus du sacrifice. Nous allons le contraindre au dialogue afin qu’il y ait des élections démocratiques.
Craignez-vous que la Côte d’Ivoire bascule dans une nouvelle crise si rien n’est fait d’ici le 31 octobre ?
Si rien n’est fait, la crise sera encore plus grave que celle de 2010-2011. C’est ce que nous craignons et c’est pour cela que nous appelons toutes les organisations de défense de la démocratie, qu’elles soient nationales ou internationales, à faire pression sur Alassane Ouattara.
Source : Jeune Afrique