Emmanuel Macron et les présidents de Mauritanie, du Mali, du Niger, du Burkina Faso et du Tchad ont défini, lundi, un nouveau cadre d’intervention contre l’organisation Etat islamique dans le Grand Sahara.
Il ne s’agit pour l’heure que d’une déclaration commune. Ce n’est pas rien. Mais l’encre des signataires – le président français et ses homologues du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad) – ayant à peine séché, il est bien trop tôt pour affirmer, à l’instar d’Emmanuel Macron, que le résultat de cette rencontre, lundi 13 janvier, à Pau, « marque un tournant très profond » dans la lutte contre les groupes terroristes au Sahel.
Cela sera-t-il suffisant pour briser la dynamique de groupes armés qui, tout au long de l’année écoulée, ont poursuivi leur enracinement local et infligé des pertes sans précédent aux armées du Mali, du Burkina Faso et du Niger, ainsi qu’aux casques bleus de la Minusma et aux Français de la force « Barkhane » ?
Tous les pays concernés s’inquiètent à juste titre de ce bilan dramatique découlant en partie, et en partie seulement, de l’inadaptation du dispositif militaire en présence. « Les résultats ont été en deçà des attentes », a reconnu le président burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré, dont le pays, au côté du Mali, risque d’être entraîné vers le fond par cette vague de violences.
Lundi, à Pau, les six présidents sont donc convenus, chacun à leur niveau mais dans une démarche commune, de définir un nouveau cadre d’intervention de leurs armées.
Symbolisant ce changement, il a ainsi été décidé que « ce nouveau cadre prendra la forme et le nom d’une “Coalition pour le Sahel”, rassemblant les pays du G5 Sahel, la France – à travers l’opération “Barkhane” et ses autres formes d’engagement –, les partenaires déjà engagés, ainsi que tous les pays et organisations qui voudront y contribuer ».
Un « commandement conjoint » sera par ailleurs établi pour, nous indique une source sécuritaire française, « planifier, encadrer et superviser les opérations de “Barkhane”, des éléments des armées des pays concernés, et pas seulement ceux mis à disposition de la force conjointe du G5 Sahel ».
Cette « coalition » aura vocation à intervenir « en priorité » contre l’organisation Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS), aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger, devenus l’épicentre des violences de ces derniers mois.
En attendant l’arrivée du futur groupement de forces spéciales européennes – baptisé Task Force Takuba – destiné à renforcer les 4 500 militaires français de « Barkhane », Emmanuel Macron a annoncé l’envoi de 220 soldats français supplémentaires. « Des combattants, opérationnels d’ici à quelques jours, dans la zone des trois frontières », indique notre source sécuritaire.
Depuis plusieurs mois déjà, le Niger, notamment, demandait la création d’une coalition internationale sur le modèle de celle mise sur pied au levant pour lutter contre l’organisation Etat islamique. Le nouveau cadre défini à Pau n’aura pas cette envergure. La France, malgré ses appels et les réponses positives de plusieurs pays européens, demeurera le fer de lance du dispositif sahélien. Et elle ne pourra pas compter, comme c’est le cas au levant, sur la puissance de feu américaine.
D’autant que Washington laisse planer la menace d’un retrait, au moins partiel, de sa présence militaire en Afrique. Les ressources que le Pentagone consacre à ce continent ainsi qu’au Moyen-Orient « pourraient être réduites et ensuite redirigées, soit pour améliorer la préparation de [leurs] forces aux Etats-Unis, soit vers le Pacifique », a déclaré le chef d’état-major américain, le général Mark Milley, à son arrivée dans la nuit de dimanche à lundi à Bruxelles, pour une réunion du comité militaire de l’OTAN. « Nous sommes en train d’élaborer des options pour le ministre » américain de la défense, Mark Esper, a expliqué le général Milley.
L’appui crucial des Etats-Unis
Cette éventualité est prise au sérieux, à Paris notamment, où l’on rappelle que « l’engagement américain est crucial dans la région, car les Etats-Unis fournissent des capacités critiques de surveillance, de ravitaillement en vol, et [que] certaines ne sont pas substituables ». « Nous ne serions pas en mesure de les retrouver chez les autres partenaires, surtout en matière de renseignement. Nous faisons passer le message à tous les niveaux », ajoute l’Elysée.
Une phrase a d’ailleurs été ajoutée au dernier moment dans la déclaration commune de Pau : les signataires y expriment « leur reconnaissance à l’égard de l’appui crucial apporté par les Etats-Unis et (…) le souhait de sa continuité ».
Interrogé à ce sujet lors de la conférence de presse finale, le président Macron a confirmé qu’un retrait américain d’Afrique serait « une mauvaise nouvelle ». « J’espère pouvoir convaincre le président Trump que la lutte contre le terrorisme se joue aussi dans cette région [où] il faut régler les résurgences des groupes terroristes – qui sont dans une internationale de la terreur – dont nous savons aussi les contacts avec la zone irako-syrienne », a-t-il ajouté.
Le président français a par ailleurs dénoncé les discours « indignes » alimentant les critiques antifrançaises au Sahel, qui servent selon lui des « puissances étrangères » ayant « un agenda de mercenaire ». Une référence implicite à la Russie, soupçonnée d’alimenter le discours antifrançais, et dont les mercenaires du groupe de sécurité privé Wagner opèrent en Centrafrique.
En complément à la déclaration commune adoptée lundi à Pau, les parties en présence se sont également entendues sur une « feuille de route très détaillée », selon un diplomate français, destinée à mesurer l’avancée des engagements pris. A cet effet, un sommet associant les Etats du G5 Sahel et la France devrait se tenir au mois de juin dans la capitale mauritanienne, Nouakchott.