Appel au boycottage de l’opposition et menaces des indépendantistes ont eu raison du taux de participation : moins de 25 % des Camerounais se seraient rendus aux urnes.
« La démocratie marche au Cameroun et elle avance à grands pas » a assuré Paul Biya, dimanche 9 février, jour d’élections législatives et municipales. Peu habitué à commenter l’actualité depuis son accession au pouvoir il y a trente-sept ans, le chef de l’Etat camerounais aurait pu ajouter que la démocratie avance à pas de loup, tant les manifestations de cette progression peuvent paraître invisibles, inaudibles, impalpables pour une large partie de ses concitoyens.
« Yaoundé était aussi morte qu’un matin de 1er janvier. Le taux de participation n’avait pas dépassé les 10 % à la mi-journée dans la capitale », note un observateur étranger pour caractériser le degré de désaffection qu’il a pu constater. Les résultats des élections municipales devraient être connus soixante-douze heures après la clôture des bureaux, ceux des législatives d’ici vingt jours, mais aucun suspense n’entoure ces proclamations.
Seul en lice dans de nombreuses localités, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), qui détient aujourd’hui 148 des 180 sièges à l’Assemblée nationale conservera sa position dominante. L’enjeu des élections qui se sont déroulées « dans le calme, l’ordre et la discipline », selon le directeur général de la commission électorale, porte bien davantage sur le niveau de mobilisation des 6,8 millions d’inscrits et sur l’ampleur de la victoire qui sera proclamée. Même si les conclusions que l’on pourra en tirer seront toujours relatives, ces dernières seront un baromètre des tendances qui s’opposent au sein du régime.
« Engouement et enthousiasme »
Face à l’appel au boycottage lancé principalement par le Mouvement de la renaissance du Cameroun (MRC) de l’opposant Maurice Kamto, arrivé second de la présidentielle d’octobre 2018, comme devant la crise qui sévit dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest où les combattants indépendantistes avaient menacé de représailles les éventuels votants, le pouvoir en place à Yaoundé feint jusqu’ici la normalisation. Evoquant « l’engouement et l’enthousiasme » des populations de ces deux régions, qui seraient « sorties massivement pour accomplir leur devoir civique », le ministre de l’administration du territoire, Paul Atanga Nji, a ainsi jugé « évident que les appels au boycottage lancé par les politiciens véreux et les terroristes en perte de vitesse n’ont eu aucun écho auprès des Camerounais ».
Une bonne source considère cependant que « le taux de participation réel serait largement inférieur à 25 % dans les parties francophones du pays et bien plus bas dans les parties anglophones. » « Les grands centres urbains comme Buéa, Bamenda ou Limbé ont été en partie sécurisés, mais les villages demeurent vides et le lockdown – blocage imposé du 6 au 13 février par les combattants ambazoniens qui revendiquent l’indépendance des deux régions pour empêcher le déroulement du vote – a été dissuasif », explique-t-elle, citant pour preuves l’ancien premier ministre Philémon Yang, obligé d’aller voter héliporté et sous bonne escorte militaire dans le Nord-Ouest, ou les troupes d’élite du Bataillon d’intervention rapide (BIR), chargées de déployer le matériel électoral dans certaines localités.
En dépit des incitations des Etats-Unis et des Nations unies pour la tenue de discussions inclusives avec les leaders séparatistes, Paul Biya, quatre mois après la tenue du « grand dialogue national » qu’il avait convoqué, continue de défendre le projet d’une décentralisation accélérée pour régler le mal le plus visible du pays. Selon plusieurs ONG, plus de 3 000 morts ont été recensés en deux ans, et plus de 700 000 personnes ont dû fuir leur domicile.
L’amorce de discussions qui avait été confiée à la Suisse a été relâchée et, d’après plusieurs sources impliquées dans les tentatives de règlement de la crise, le pouvoir cherche désormais « à retourner des chefs » des différents groupes indépendantistes. « Les confrontations, concentrées aujourd’hui à certains départements, peuvent donner l’impression que toute la région est à feu et à sang, mais le vrai problème est qu’il n’y a plus d’approche globale », constate l’une d’elles. D’autant que « le processus de désarmement et de réinsertion ne marche pas. Les Ambazoniens sont arrêtés et détenus comme des prisonniers de droit commun », relève un diplomate.
« Sursis offert au régime »
S’il a bénéficié de l’appui des pays occidentaux dans la guerre menée dans le nord du pays contre les islamistes armés de Boko Haram, Paul Biya cherche avant tout à éviter une internationalisation de la réponse à la crise anglophone, allergique à toute idée d’une opération de maintien de la paix. La stratégie a déjà en partie réussi. « Les Américains et les Anglo-Saxons sont sur une position plus dure. Les Français sont plus souples, mais les chancelleries veulent dans l’ensemble accompagner le processus de décentralisation et juger le gouvernement sur sa mise en œuvre. C’est une forme de sursis offert au régime », constate un observateur averti du pays.
Libéré en octobre 2019 à l’issue de neuf mois de détention et après avoir annoncé que son parti boycotterait ces dernières élections au motif qu’elles entérineraient la partition du Cameroun, Maurice Kamto s’est lancé ces dernières semaines, de Washintgton à Paris en passant par Toronto, dans une tentative de mobilisation de la diaspora camerounaise et des partenaires étrangers de son pays.
A Paris, il a notamment appelé « la France à ne pas se faire complice d’un tel régime ». Prenant le risque d’être éliminé de la prochaine course présidentielle en se privant de tout élu local, « Maurice Kamto a perdu tout poids au sein du système, il n’a plus de relais institutionnel, analyse la source dernièrement citée. Mais, ajoute-t-elle, sa victoire est d’avoir mis en exergue l’illégitimité de toutes les institutions. De haut jusqu’en bas. »