Les soldats de la force française Barkhane, appuyés par leurs partenaires de la région, mènent actuellement l’opération Bourgou IV pour enrayer la menace djihadiste à la frontière burkinabo-malienne.
Les faits – Le Sénégal et la France organisent les 18 et 19 novembre le 6e Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité collective. Dans la capitale sénégalaise, Florence Parly, la ministre des Armées, devrait évoquer la réorganisation de la sécurité collective dans l’espace sahélien, notamment avec la montée en puissance des forces spéciales européennes.
« On n’y arrive pas au Burkina, explique un expert européen engagé au cœur du dispositif sahélien. La dégradation sécuritaire est vertigineuse depuis le début de l’année. »
Le 11 novembre, le détachement burkinabè du Groupement des forces pour la sécurisation de l’est et du centre-est à Foutouri a repoussé une attaque terroriste. Cinq jours plus tôt, des djihadistes ont tué 39 personnes dans une embuscade contre un convoi transportant des employés burkinabè de la société minière canadienne Semafo, toujours dans la région de l’Est.
Et le 3 novembre, Oumarou Dicko, député-maire de la ville de Djibo, chef-lieu de la province du Soum, et trois autres personnes, ont été tués dans une autre embuscade alors qu’ils roulaient sur l’axe Djibo-Namissiguima. La veille, les autorités avaient organisé une commémoration nationale en hommage aux 204 soldats morts en combattant les groupes terroristes – auquel il faut ajouter environ 500 victimes civiles – depuis 2016.
Selon les sources sécuritaires, les djihadistes ont déjà opéré à environ 100 km de Ouagadougou. L’élongation terroriste a atteint Ouahigouya, Kongoussi et Kaya, même si l’armée burkinabè a gardé un camp militaire plus au nord à Djibo. « Les autorités burkinabè ont cru que cette ville allait tomber en plein sommet de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest à la mi-septembre, explique l’expert européen. La présidence a demandé l’appui de l’armée française pour réaliser, du 13 au 16 septembre, une opération de réassurance dans la ville, afin de redonner confiance aux populations et aux troupes burkinabè. »
Pont aérien. Du 20 au 25 septembre dernier, des hommes de Barkhane ont également réhabilité la défense du camp militaire de Djibo et permis à la piste aérienne d’accueillir des avions gros-porteurs pour assurer la relève des unités burkinabè de la région. Un pont aérien a été organisé par la force française Barkhane, pendant trois jours, la route, entre Ouagadougou et Djibo, n’étant plus sûre.
Les provinces du Soum et de l’Oudalan sont largement perdues et contrôlées par les terroristes. Entre le 19 août et le 12 septembre, l’armée burkinabè a évacué les quatre postes militaires du Soum, à Koutoukou, Tongomayel, Baraboulé et Nassoumbou. La police a déserté les commissariats, les élus quittent leurs mairies. L’équipe municipale de la commune de Koutoukou a, par exemple, fuit avec ses 7 000 administrés dans la ville voisine d’Arbinda.
Plus de 2000 écoles ont fermé dans le nord et entre 300 000 et 400 000 enfants sont déscolarisés. Près de 25 % du territoire est ainsi hors de contrôle étatique ou tout au moins gouverné par des relais des djihadistes qui imposent de nouvelles normes sociales et politiques.
La troupe burkinabè est terrifiée. Beaucoup de jeunes soldats ont perdu leurs frères d’armes. L’Etat ne sait plus comment enrayer le phénomène terroriste. Aveu d’impuissance, le chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré a ordonné récemment le recrutement de volontaires pour la défense nationale. « Cela pose le problème de la formation et de leur engagement au combat, s’inquiète Rinaldo Depagne, directeur Afrique de l’ouest à Crisis Group. Sur quelles bases le faire et avec quel contrôle ? Leur mobilisation pose aussi un problème politique alors qu’ils répondront à l’appel d’un chef de l’Etat qui a prévu de se représenter à la présidentielle de novembre 2020. »
Radiation dans l’armée. Le délitement de l’armée n’est pas récent. Il remonte aux mutineries de 2011. « Le président Blaise Compaoré avait d’abord tenté une médiation avec les mutins avant d’ordonner leur répression par le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), explique Rinaldo Depagne. Il a ensuite fait radier 566 éléments dans l’appareil de sécurité, soupçonnés d’avoir pris part à ces mutineries ou d’être hostiles à son pouvoir. Il a aussi privilégié le RSP au détriment des autres corps sous-équipés, ce qui a créé beaucoup de ressentiment. »
Cela a créé de profondes divisions entre sa garde prétorienne, le RSP, chargé des opérations spéciales, ainsi que d’assurer sa sécurité et celle de son clan, et le reste des corps, frustrés.
En 2012, l’ex-chef de l’Etat burkinabè a aussi confié plus de responsabilités politiques à son frère, François Compaoré, dont le mouvement est monté en puissance à l’issue du cinquième congrès ordinaire du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, parti du président Compaoré), tenu en mars. « Il était entouré de cadres assez médiocres, ajoute Rinaldo Depagne. Ces derniers ont affaibli l’appareil politico-administratif dans les provinces qui servait de courroie de dialogue auprès des populations. »
Le renversement du régime de Blaise Compaoré en 2014 va aussi diviser le RSP, entre ceux restés fidèles et ceux ayant rejoint la révolution comme le lieutenant Yacouba Isaac Zida. Ce régiment sera finalement dissous après le coup d’État avorté de 2015.
Depuis lors, la réorganisation de l’armée n’a pas donné les fruits escomptés. Les autorités ont tenté de dépolitiser et d’adapter les forces de défense et de sécurité, et d’adopter un nouveau cadre juridique. Elles ont créé l’Agence nationale de renseignement (ANR). Mais, ses éléments doivent, à partir de zéro, reconstruire une structure administrative, une culture de renseignement et un réseau d’informateurs.
Du temps de Blaise Compaoré, le renseignement reposait essentiellement sur les épaules de deux hommes, Gilbert Diendéré, son chef d’État-major particulier et patron du RSP, et Moustapha Limam Chafi, son conseiller.
De plus, les différentes composantes des corps habillés, l’armée, la police et la gendarmerie entretiennent des rapports compliqués, empreints d’animosité, tout en n’échangeant qu’un minimum d’information.
Manque de moyens. « Le chef de l’Etat burkinabè est peu à l’aise sur les affaires militaires, ajoute l’expert européen. Ses proches, comme le ministre de la Défense, sont hostiles à la France qui a coopéré avec le régime de Compaoré et ont du mal à assumer ce partenariat sécuritaire. » Le chef de l’Etat a aussi tardé à donner à son armée les moyens qu’elle réclamait, probablement de peur qu’elle puisse mener une action contre lui.
Dans la nuit du 22 au 23 août dernier, des soldats se sont rebellés contre leur hiérarchie et le pouvoir, tirant des coups de feu au camp militaire Guillaume Ouédraogo de Ouagadougou. Principale raison : le manque de prise en charge de leurs camarades morts et blessés au cours de l’attaque de Koutougou, le 19 août, qui a fait officiellement 24 morts dans leurs rangs. Sur les réseaux sociaux, les djihadistes diffusent des vidéos de l’exécution sommaire de soldats abandonnés aux animaux sur le champ de bataille. Un traumatisme auprès de jeunes soldats alors que les autorités n’arrivent pas à imposer un contre discours au récit djihadiste.
Après l’insurrection de 2014, les autorités ont eu tendance à déléguer la sécurité et le maintien de l’ordre dans les zones rurales à des milices locales comme les Koglweogo, les Ruga et les Dozos. « Cela partait d’une initiative intéressante explorée dès 2003, celle de mobiliser les communautés locales de sécurité pour lutter contre le banditisme, poursuit Rinaldo Depagne. Mais ces communautés devaient se contenter à des missions de renseignement. Or, elles se sont adonnées dernièrement à la répression, augmentant les fractures intercommunautaires et ont aussi mis en œuvre une justice expéditive. »
Ces derniers mois, les autorités ont aussi davantage fait appel – non de gaîté de cœur – à l’armée française qui tente de palier, tant bien que mal, et toujours dans l’urgence, à la défaillance des troupes burkinabè. De passage à Ouagadougou, le 4 novembre pour rencontrer son homologue et le Président du Faso, la ministre française des Armées, Florence Parly, a annoncé le lancement de l’opération Bourgou IV, une nouvelle grande battue au Burkina et au Mali. Les troupes de Barkhane ont été mobilisées. Elles sont accompagnées des armées burkinabè et malienne, et la force conjointe du G5 Sahel. Objectif : prendre en étau les djihadistes.
Orpaillage. La principale menace de la zone est le Front de Libération du Macina du prédicateur malien Amadou Koufa. Selon des sources sécuritaires, elle semble avoir intégré dans son dispositif le groupe burkinabè Ansarul islam. Fondé par feu Malam Dicko et aujourd’hui dirigé par son frère Djafar Dicko, il compterait près de 800 djihadistes au Burkina Faso. La Katiba se finance notamment sur les taxes prélevées (zakat et impôt sur les têtes de bœufs, etc.), sur les orpailleurs traditionnels quand elle n’est pas directement impliquée dans l’extraction aurifère, comme le relève le dernier rapport de l’ONG Crisis Group sur le sujet.
L’opération Bourgou IV, toujours en cours, a pour l’instant permis de neutraliser quelques combattants, de trouver des caches d’armes, d’essence et de récupérer des portables. Mais les terroristes semblent avoir évité les combats.
La reconquête territoriale sera toutefois difficile. « On en est arrivé à un point où l’armée française fait de la substitution à la demande des autorités burkinabè », poursuit l’expert européen. Tout le contraire du discours officiel qui parle de renforcement de l’appui au dispositif des armées sahéliennes.
La France devra aussi améliorer sa relation, empreinte de méfiance réciproque, avec les autorités burkinabè. « Chaque partie pense que l’autre à un agenda caché et joue double jeu. Tant le chef de l’Etat burkinabè que son ministre de la Défense, Moumina Chériff Sy, reprochent régulièrement le manque de soutien ou les retards matériels et financiers européens et rendent responsable Paris du délitement de la situation sahélienne provoquée par l’intervention en Libye et la chute du régime Kadhafi en 2011. »
Au Forum de la paix, à Paris, Emmanuel Macron a réitéré l’engagement militaire français et annoncé une révision prochaine de la stratégie Sahel de la France et de son dispositif. Celui-ci devrait consacrer la montée en puissance des forces spéciales européennes, dans le cadre du dispositif « Takuba ».
Au sommet de Dakar, la ministre française des Armées pourrait préciser les contours de cette nouvelle Task force européenne Takuba (« sabre » en tamasheq), en écho à la Task force Sabre composé des éléments du Commandement des opérations spéciales (COS, France) présent sur le sol burkinabè. Ces dernières agissent dans toute la zone sahélienne.
L’idée est de s’appuyer davantage sur les forces spéciales des autres pays européens pour former et accompagner leurs homologues sahéliennes et françaises. Un commandement joint des forces spéciales devrait être créé
avec des officiers de liaison. Le dispositif Barkhane pourrait être aussi prochainement réajusté en tenant compte de la montée en puissance de la force régionale de 5 000 hommes du G5 Sahel et de la volonté de la Cedeao d’impliquer davantage les pays du Golfe de Guinée (Ghana, Côte d’Ivoire, Togo, Bénin). Cela fait six ans que Paris réadapte régulièrement sa stratégie sahélienne… sans résultats probants.