« Notre pays a été pillé, saccagé, violé et dévasté par des nations proches et lointaines, des alliés comme des ennemis », a lancé Donald Trump le 2 avril, pour justifier l’augmentation générale des droits de douane. Si la dramaturgie du président américain a pu choquer, notamment dans les pays qui ont connu des interventions militaires américaines, cette décision historique pourrait dérégler durablement le commerce international.
Quel avenir pour l’AGOA ?
En Afrique, les réactions sont mesurées, isolées, tant les contours de cette décision unilatérale sont encore flous. Par exemple, il n’est pas encore précisé si cette hausse des droits de douane rend caduc l’African growth and opportunity act (AGOA). Mais de fait, tout porte à le croire. Adoptée en 2000 et régulièrement renégocié depuis, cette « loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique », permet à la plupart des pays d’Afrique subsaharienne – 32 actuellement – de bénéficier d’exemptions de droits de douane pour les exportations de certains produits vers les États-Unis.
En 2024, les pays africains ont exporté pour environ 8 milliards de dollars de biens vers les États-Unis sous ce régime préférentiel. L’Afrique du Sud en était le premier bénéficiaire (3,7 milliards de dollars d’exportations) suivi du Nigeria (1,6 milliard) du Kenya (567 millions) et de Madagascar (345 millions).
De 10 à 50 % de droits de douane
Si l’on en croit la décision de Donald Trump, désormais, tous les pays du continent se verront appliquer un minimum de 10 % de droits de douane. Mais certains seront frappés beaucoup plus durement comme le Lesotho (50 %), Madagascar (47 %), Maurice (40 %), ou le Botswana (37 %). Viennent ensuite l’Angola (32 %), la Libye (31 %), l’Algérie (30 %), l’Afrique du Sud (30 %), la Tunisie (28 %) et la Côte d’Ivoire (21 %).
En 2024, selon les données du Bureau américain du représentant au commerce, les exportations africaines totales – AGOA compris – vers les États-Unis de biens américains se sont élevées à 39,5 milliards de dollars (+ 1,9 % par rapport à 2023). À titre de comparaison, c’est beaucoup moins que les exportations vers la Chine (116 milliards de dollars) mais trois fois plus que vers la France (14,5 milliards de dollars).
Les principaux exportateurs vers les États-Unis sont l’Afrique du Sud (14 milliards de dollars), le Nigeria (5,7 milliards), le Ghana (1,7 milliard), l’Angola (1,2 milliard) et la Côte d’Ivoire (948 millions de dollars). Il ressort également que l’essentiel des exportations sont des matières premières avec notamment le pétrole (7,3 milliards), les métaux (4,7 milliards) et les pierres précieuses (2,2 milliards), mais aussi du cacao (environ 800 millions de dollars). Viennent ensuite des produits transformés comme les véhicules automobiles (1,7 milliard de dollars) et les vêtements (1,4 milliard).
Un impact limité ?
Ainsi, quelles seront les conséquences de ces nouvelles barrières tarifaires ? « Malgré le bruit que cela fait, nous ne nous attendons pas à ce qu’il y ait tant d’impact pour l’Afrique », estime un cadre d’un fonds d’investissement d’envergure mondial qui poursuit : « Si l’on prend l’exemple de la Zambie [nouveaux droits de douane de 17 % appliqués par les États-Unis, NDLR], les produits que la Zambie vend aux États-Unis figurent sur une liste d’articles exemptés. »
En effet, la Maison Blanche a publié une liste – peu précise – de produits qui ne seront pas soumis à ces nouvelles taxes. On peut particulièrement citer l’or, les hydrocarbures, « certains minerais non disponibles aux États-Unis », le cuivre, le bois, les produits pharmaceutiques, ou encore l’aluminium et le fer qui ont déjà été visés par des hausses de droits de douane. En somme, le pétrole nigérian, angolais et algérien, les minerais de la RDC ainsi que l’or malien ou ghanéen échapperont à cette hausse des droits de douane.
Côte d’Ivoire et Afrique du Sud, frappées de plein fouet
En revanche, d’autres vont subir les mesures de plein fouet. Les États-Unis sont le deuxième partenaire commercial de l’Afrique du Sud. Les exportations de la nation la plus industrialisée du continent pèsent plus de 14 milliards de dollars, notamment des véhicules et des pièces automobiles. « Le président Donald Trump a également annoncé des droits de douane de 25 % sur les automobiles et il n’est pas clair si les 30 % appliqués à l’Afrique du Sud englobent les 25 % ou s’ils s’y ajoutent. Quoi qu’il en soit, la vente des voitures sud-africaines aux États-Unis va poser problème », a réagi dans la presse sud-africaine Donald MacKay, analyste pour XA Global Trade Advisors.
La Côte d’Ivoire pourrait aussi être particulièrement touchée alors que les matières premières agricoles ne semblent pas faire partie de la liste de produits exemptés. Le pays exporte chaque année pour l’équivalent d’un milliard de dollars de biens de l’autre côté de l’Atlantique, essentiellement du cacao, mais aussi du caoutchouc et des noix de cajou.
Les pays les plus pauvres durement touchés
Mais au final, ce sont des pays déjà classés parmi les plus pauvres de la planète qui souffriront le plus. Au Lesotho, l’annonce de Donald Trump a été reçue comme « un choc », selon les termes du ministre du Commerce. Près de 45 % des exportations du pays, surtout du textile, sont destinées au marché américain ce qui pèse pour 10 % du PIB du pays montagneux.
Une situation qui fait écho à celle de Madagascar, visé par des droits de douane de 47 %. En effet, l’industrie textile pèse près de 20 % du PIB et environ 40 % des vêtements produits sont exportés vers les États-Unis pour des grandes marques, parfois de luxe. Au total, en 2024, Madagascar a exporté plus de 730 millions de dollars de biens vers les États-Unis. Le secteur de la vanille pourrait également être touché, car les premiers clients de la précieuse épice sont, encore une fois, les États-Unis avec 143 millions de dollars d’exportations en 2023.
Un seul espoir pour ces pays désormais : que le président américain fasse volte-face ou ajoute des nouvelles exemptions. Dans le cas contraire, le « Jour de la libération » célébré par Donald Trump pourrait bien avoir enfermé des milliers d’Africains dans la pauvreté.