L’écrivain et ancien ministre ivoirien a tiré sa révérence samedi 9 mars, à Abidjan, à l’âge de 103 ans.
« Le temps ne tient jamais compte de ce qui se fait sans lui », écrivaitBernard Abou Koffi Binlin Dadié dans Un Nègre à Paris. Ce père des lettres ivoiriennes, pionnier de la littérature africaine et politique engagé aura eu le loisir de saisir les différentes couleurs, aspérités ou merveilles du temps au gré d’une écriture élégante, pétrie de poésie, d’humour, d’une verve quasi-philosophique, et d’un militantisme dépourvu de pathos. « Il est parti comme il a vécu », indique son neveu Joseph Anoma à Jeune Afrique. Et de poursuivre : « Il a combattu jusqu’au dernier souffle. »
C’est aux environs de 4h du matin que Bernard Dadié, déjà très affaibli des suites d’un accident cardio-vasculaire, est pris d’un malaise puis admis dans une clinique privée d’Abidjan avant de s’éteindre vers 14h. « C’était un homme discret et digne. Ces derniers mois, il vivait dans une forme de stoïcisme », estime son neveu.
IL AVAIT ENCORE BEAUCOUP DE CHOSES À DIRE
Un stoïcisme qui s’explique par le départ, un an auparavant, d’Assamala, sa compagne. Celui qui n’avait pu assister aux obsèques de sa défunte épouse vivait cette année avec le choc de la séparation. « On se demandait comment il allait vivre l’absence de ma tante. Il aura tenu un an. Aujourd’hui, il est parti la rejoindre », confie Joseph Anoma .
« À l’été 2017, lorsque nous nous sommes vus, il se disait énervé de ne plus pouvoir écrire alors qu’il avait encore beaucoup de choses à dire », raconte Marie Yandé Kattié, une autre parente bouleversée.
SON ÉPOUSE A JOUÉ UN RÔLE IMPORTANT DANS SA CARRIÈRE
Le 10 janvier dernier, l’écrivain fêtait ses 103 ans. Quel fut le secret de la longévité de ce natif d’Assinie qui se sera essayé, avec brio, à tous les genres littéraires, de la poésie à la littérature en passant par le théâtre ? « Ses enfants ont toujours pensé qu’il a pu traverser toutes ces épreuves et vivre si longtemps car il était amoureux de sa femme », répond le journaliste et écrivain Serge Bilé, dont la mère était la cousine d’Assamala Dadié.
« Lorsque Bernard Dadié était en prison, son épouse faisait des kilomètres pour le voir, elle a joué un rôle important dans sa carrière littéraire et il a réussi, grâce à elle, à mener une vie extraordinaire », raconte Serge Bilé, auteur de Mes années Houphouët, dans lequel il y consacre tout un chapitre.
Patron de New-York lui vaut le Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1965 – alors qu’il se forge une carrière au sein des hautes sphères politiques ivoiriennes, mais nombre de ses écrits sont également à inscrire au rang de l’excellence littéraire : Le Pagne noir – Contes africains (1955), Un Nègre à Paris (1959), Les voix dans le vent (1970), Monsieur Thôgô-Gnini (1970) ou les poèmes du recueil La rondes des jours (1956).
Son engagement politique amorcé au Sénégal de par les crimes de la colonisation dont il sera témoin – comme le massacre de Thiaroye, est à l’image même de son œuvre : à la fois farouche et pondérée.
De retour en Côte d’Ivoire, en 1947, l’anticolonialiste passera par la prison deux ans plus tard, avant d’exercer, après l’indépendance du pays en 1960, plusieurs fonctions au sein de l’administration de Félix Houphouët-Boigny.
Il devient d’ailleurs ministre de la Culture et de l’Information du pays en 1977. « Bernard Dadié a eu le courage de combattre l’ordre colonial et celui de combattre Houphouët-Boigny lorsqu’il était en désaccord avec lui », assure Serge Bilé. « Ils ont eu des heurts qui n’ont pas été simples », reprend l’écrivain.
BERNARD DADIÉ EST LE SYMBOLE DES LETTRES IVOIRIENNES, LE SYMBOLE DE LA RÉSISTANCE LITTÉRAIRE, LE SYMBOLE DU NON
Ironie du sort, la semaine prochaine paraît, en Côte d’Ivoire, un ouvrage intitulé 100 écrivains rendent hommage à Dadié aux éditions Éburnie. « Bernard Dadié est le symbole des lettres ivoiriennes, le symbole de la résistance littéraire, le symbole du non », lance l’écrivain ivoirien Josue Guebo, ancien président de l’Association des écrivains de Côte d’Ivoire qui a participé à ce livre. « Il s’est opposé à la colonisation comme à la néo-colonisation. »
Bernard Dadié aura été l’un des témoins privilégiés d’un 20ème siècle tourmenté, l’un des chantres de la négritude, auteur d’une œuvre intemporelle et universelle. On se demande ainsi comment le Nobel de littérature a pu lui échapper, année après année…
Source: Jeune Afrique