Après deux mois d’absence, l’ancien ministre d’Alassane Ouattara est réapparu le 9 janvier dernier, prêt à relancer le dialogue sur l’organisation des prochaines élections législatives.
Il s’était évaporé du jour au lendemain, début novembre. Les mailles du filet se resserraient alors sur les opposants qui avaient osé former un Conseil national de transition (CNT) pour tenter de contrecarrer la réélection d’Alassane Ouattara. Plusieurs figures de l’opposition avaient été arrêtées, d’autres – dont Henri Konan Bédié – avaient vu leurs résidences encerclées en quelques minutes par les forces de l’ordre. Ce fut aussi le cas de celle d’Albert Mabri Toikeusse, dans le quartier de Marcory Résidentiel, à Abidjan.
Les premiers jours, le président de l’Union pour la démocratie et pour la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI) a soin d’envoyer à ses contacts des photos de pick-up de gendarmes stationnés devant le portail de son domicile. Puis, à partir du 6 novembre, plus rien. Téléphone coupé, plus aucune nouvelle.
Départ en catimini
Soumis à une pression croissante, poursuivi par la justice pour son action au sein de l’opposition, Mabri Toikeusse préfère se mettre à l’abri. « Sa sécurité n’était plus assurée et les conditions n’étaient pas réunies pour que le droit soit rendu sereinement s’il était arrêté », explique-t-on aujourd’hui dans son premier cercle.
Avec son épouse, il quitte clandestinement les bords de la lagune Ébrié, en contrebas de leur villa. Certains le disent réfugié au Ghana, d’autres en Guinée, d’autres encore en Suède. « Il s’est juste retiré d’Abidjan », commente-t-on laconiquement dans son entourage, où l’on refuse d’en dire plus sur son absence – notamment pour « protéger » les gens qui l’ont aidé à s’échapper.
Après deux mois d’absence, ponctuée de quelques publications sur les réseaux sociaux, Mabri Toikeusse réapparaît le 9 janvier à Abidjan. Tout sourire, accompagné de son épouse, il préside une réunion de son parti dans sa résidence autrefois encerclée. Le lendemain, le voici chez Henri Konan Bédié, à Cocody-Ambassades. L’occasion de « saluer le leadership » avec lequel l’ex-chef de l’État « conduit les actions de l’opposition ».
Pourquoi cet ancien ministre de Ouattara, qui a rompu avec lui en août dernier après de longues années de compagnonnage politique, a-t-il décidé de rentrer au vu et au su de tous ? Ses proches assurent qu’il n’y a eu aucune négociation avec le pouvoir avant qu’il ne réapparaisse publiquement. Depuis sa cachette, il a juste attendu que « les choses se calment un peu » , explique un de ses lieutenants.
Les législatives dans le viseur
Durant son absence, le climat politique se décrispe progressivement à Abidjan. Mi-novembre, Ouattara et Bédié se revoient pour la première fois depuis deux ans. Un mois plus tard, un dialogue politique entre le pouvoir et l’opposition s’engage. S’ils continuent à réclamer des changements dans le processus électoral, les principaux opposants annoncent leur volonté de participer aux législatives du 6 mars. Mais c’est surtout la remise en liberté provisoire de Pascal Affi N’Guessan, le 30 décembre, après deux mois de détention, qui convainc Albert Mabri Toikeusse que la pression judiciaire contre les opposants s’est desserrée.
« La situation s’est apaisée. Nous comptons participer au dialogue politique et aux législatives, comme le reste de l’opposition. Il était donc temps pour lui de rentrer et de reprendre ses activités à la tête du parti », explique un cadre de son parti.
L’UDPCI souhaite en effet tenir son rang au sein de la coalition de l’opposition en gestation, aux côtés notamment du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et du Front populaire ivoirien (FPI). Des tractations sont en cours pour chaque circonscription, mais l’objectif affiché est d’y présenter un seul candidat de l’opposition face à celui du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) d’Alassane Ouattara. Historiquement implanté dans l’ouest du pays, l’UDPCI, qui totalisait neuf députés dans la dernière législature (2015-2020), compte aussi pousser ses cadres dans d’autres régions.
TOUTES LES CONDITIONS NE SONT PAS ENCORE RÉUNIES POUR ASSURER LA TRANSPARENCE DE CE SCRUTIN
Lors de leurs retrouvailles, le 10 janvier, Albert Mabri Toikeusse — qui souhaite lui-même se représenter dans son fief de Zouan-Hounien, dont il est député depuis 2000 — et Henri Konan Bédié ont évoqué ce projet de coalition et les inévitables arbitrages qui devront être faits dans chaque circonscription. Ils sont également convenus de se réunir prochainement avec les autres leaders de l’opposition pour discuter des différentes candidatures retenues.
Il devrait, en parallèle, être question de poursuivre le dialogue avec les autorités sur l’organisation des législatives du 6 mars. « Pour nous, toutes les conditions ne sont pas encore réunies pour assurer la transparence de ce scrutin, explique-t-on au sommet de l’UDPCI. Les promesses faites n’ont pas encore été mises en œuvre. Nous allons donc continuer les discussions, en espérant que les choses s’améliorent rapidement. »