Tout juste élu à la tête de la nouvelle Commission électorale indépendante (CEI), Ibrahime Coulibaly-Kuibiert prend la tête d’une institution centrale et controversée, à quelques mois de la présidentielle de 2020.
« La nation nous regarde ». Dès sa prise de fonction en tant que président de la nouvelle Commission électorale indépendante (CEI), Ibrahime Coulibaly-Kuibiert – élu à une majorité de 9 voix contre 6 pour la candidate proposée par la société civile, Yoli-Bi Koné Marguerite – a pris acte du contexte politique tendu dans lequel il a été élu.
« La tâche est peut-être difficile, mais, elle n’est pas impossible », a-t-il ajouté, lors d’un discours dans lequel il s’est employé à rassurer, tentant d’une part de calmer les polémiques et affichant par ailleurs sa volonté de tenir une feuille de route serrée. « Il faut nous atteler à adopter le code électoral. Et après l’élaboration de celui-ci, il faut procéder à la révision de la liste électorale ».
Controverses
De fait, après la controverse provoquée par la publication de la liste des quinze personnalités composant la nouvelle CEI, l’élection du président de l’instance a, à son tour, provoqué une levée de boucliers dans les rangs de l’opposition et d’une partie de la société civile.
L’enjeu est crucial. Dix ans après la crise post-électorale de 2010, l’organisme nouvellement installé devra en effet garantir au pays des élections irréprochables en 2020. La composition « est tout à fait conforme aux recommandations de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et de la Commission de l’Union africaine », a assuré le président Alassane Ouatarra, après l’annonce des personnalités composant la CEI.
« Pour mener à bien nos missions, il faut que je m’adresse aux électeurs. Qu’ils nous fassent confiance. Qu’ils ne préjugent de rien. Ici, il y a plusieurs compétences. C’est un creuset d’intelligences. Qu’ils nous fassent confiance parce que nous avons prêté serment. Le serment est une alliance que nous avons nouée avec la vérité », a assuré en écho Ibrahime Coulibaly-Kuibiert, promettant par ailleurs d’« installer des démembrements de la CEI dans toutes ces circonscriptions administratives ».
Désigné par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour le représenter à la CEI, Ibrahime Coulibaly-Kuibiert est un proche de Mamadou Koné, président du Conseil constitutionnel, dont il était le secrétaire général jusqu’à sa nomination. Il connait bien la CEI pour y a avoir siégé en 2011. Et il sait aussi les critiques qui pèsent sur l’organe qu’il préside désormais.
Question d’équilibre
Mais le satisfecit du président ivoirien et les assurances données par le nouveau président de la CEI peinent à convaincre dans les rangs de l’opposition et d’une partie de la société civile. Et si le ministre Sidi Tiémoko Touré, porte-parole du gouvernement, précise que la nouvelle CEI, passée de 17 à 15 membres, compte « trois représentants du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, du président Alassane Ouattara), trois représentants de l’opposition et six personnalités issues de la société civile », l’équilibre des forces au sein de l’organe reste un sujet de crispation.
Après la publication des noms des nouveaux membres, Abraham Denis Yoraubat, président du Groupe de plaidoyer et d’actions pour une transparence électorale (GPATE) – qui comprend notamment Action pour la protection des droits de l’homme, à l’origine de la saisine de la CADHP -, a ainsi publiquement désavoué Julien Fernand Gauze, présenté comme son représentant.
SUR LES 15 MEMBRES DE LA CEI, 12 SONT DES HOMMES DE OUATTARA
Dans une lettre ouverte, Yoraubat a également affirmé avoir fait état de « son abstention au sujet de la désignation d’une personnalité à la CEI, en l’état actuel de la réforme » dans un courrier adressé fin août au Premier ministre Amadou Gon Coulibaly dans le cadre des discussions préalables.
Une position que nuance néanmoins Christophe Kouamé, de Citoyens et Participation (Civis Côte d’Ivoire), dont l’association a soutenu la recomposition proposée par le gouvernement. Lui estime que « tous les membres ont un curriculum vitae qui plaide en leur faveur ».
Une CEI « illégale et illégitime » pour l’opposition
L’opposition est, elle aussi, divisée sur cette question. Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI d’Henri Konan Bédié), qui conteste la nouvelle CEI et a boycotté l’instance, ne figure pas dans le quota de l’opposition, alors qu’il est le principal parti de l’opposition parlementaire. La Coalition pour la démocratie, la réconciliation et la paix (CDRP), qui rassemble plusieurs partis d’opposition dont le PDCI, a appelé « tous ses militants à se tenir prêts (…) pour faire barrage » à cette CEI « illégale et illégitime ».
Mamadou Koulibaly, président de Liberté et démocratie pour la République (Lider), parti d’opposition, soutient pour sa part avoir été écarté à l’ouverture des pourparlers. Il estime que, « sur les 15 membres de la CEI, 12 sont des hommes de Ouattara ». Et le président de Lider de juger que, si le chef de l’État n’a pas encore exprimé ses intentions politiques pour 2020, ils ont été placés là car « il ne va pas lâcher le pouvoir ».
NOUS REDOUTONS DE GROS NUAGES DANS LE CIEL IVOIRIEN À L’HORIZON 2020
Une crainte que partage Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS), la plateforme portée par le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo. « Les mêmes maux produisant les mêmes effets, nous redoutons de gros nuages dans le ciel ivoirien à l’horizon 2020 », prévient Jean-Gervais Tchéidé, vice-président d’EDS chargé des élections.
« Mission hautement sensible »
Face aux critiques, le pouvoir peut en revanche compter sur le soutien de l’ex-Premier ministre Pascal Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI), lui-même critiqué par l’aile frondeuse de ce parti fondé par Laurent Gbagbo. « Le FPI prend acte » du choix porté sur Ibrahime Coulibaly-Kuibiert « tout en l’invitant à faire preuve d’impartialité et invite par la même occasion tous les membres de la Commission centrale à l’obligation de vigilance au nom de la mission hautement sensible qui leur est confiée par la nation entière », souligne ainsi Issiaka Sangaré, secrétaire général du FPI.
Des inquiétudes et accusations que tempèrent Sidi Tiémoko Touré, porte-parole du gouvernement. « Les élections de 2020 se dérouleront dans la transparence », promet-il. Ce n’est pas la CEI qui vote et ce n’est pas non plus celle qui élit les différents dirigeants. C’est le peuple ivoirien qui désigne qui va le diriger. »