Trois organisations de défense des droits de l’homme ont annoncé avoir déposé le 5 octobre un recours auprès d’Alassane Ouattara afin que le chef de l’État ivoirien revienne sur sa décision d’amnistier 800 détenus, dont Simone Gbagbo.
Particulièrement surprises par l’amnistie de 800 détenus annoncée le 6 août par Alassane Ouattara, les organisations des droits de l’homme ont finalement décidé de réagir. Trois ONG, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), le Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH) et la Ligue internationale des droits de l’homme (LIDH) ont annoncé jeudi 15 novembre avoir introduit un recours auprès du chef de l’État afin qu’il revienne sur cette décision. Le recours a été déposé le 5 octobre, soit moins de deux mois après l’ordonnance, ce qui oblige Alassane Ouattara a leur répondre d’ici au mois de février. Dans le cas contraire, les ONG attaqueront l’amnistie devant la Cour suprême.
L’ordonnance portant amnistie concernait « les personnes poursuivies ou condamnées pour des infractions en lien avec la crise postélectorale de 2010 ou des infractions contre la sûreté de l’État commises après le 21 mai 2011, à l’exclusion des personnes en procès devant une juridiction pénale internationale, ainsi que de militaires et de membres de groupes armés ». Parmi les personnes concernées par l’amnistie figuraient l’ancienne Première dame Simone Gbagbo, les ex-ministres Lida Kouassi et Assoa Adou, ou encore Souleymane Kamaraté Koné, alias Soul to Soul, le collaborateur de Guillaume Soro.
LES VICTIMES ESTIMENT QU’ELLES ONT ÉTÉ INSTRUMENTALISÉES À DES FINS POLITIQUES
Une ordonnance « entachée d’illégalités », selon les ONG
Pour ces trois organisations des droits de l’homme, l’acte posé par Alassane Ouattara a d’abord été fait au mépris des victimes, qu’elles représentent en tant que partie civile. « Les victimes estiment qu’elles ont été instrumentalisées à des fins politiques », explique Antonin Rabecq, responsable adjoint au bureau Afrique de la FIDH.
L’ORDONNANCE PORTANT AMNISTIE A ÉTÉ « ADOPTÉE EN VIOLATION DE LA CONSTITUTION », SELON LES ONG
La FIDH, le MIDH et la LIDH assurent également que l’ordonnance portant amnistie est « entachée d’illégalités externes et internes » et qu’elle a été « adoptée en violation de la Constitution », expliquent-elles dans un communiqué. Selon ces dernières, le chef de l’État n’était pas habilité à prendre une telle décision, qui relève du pouvoir de l’Assemblée nationale. Le recours est « fondé sur l’obligation de l’État de Côte d’Ivoire de garantir le respect des droits humains et ainsi de poursuivre les auteurs des crimes de guerre et de crimes contre l’humanité », alors que « plusieurs traités internationaux ratifiés par la Côte d’Ivoire (…) excluent toute mesure d’amnistie », poursuivent les ONG.
Une liste jugée trop floue
Autre problème soulevé, le flou qui entoure l’amnistie – aucune liste complète des personnes concernées n’a été rendue publique -, et l’avenir des procédures en cours. Dans le cadre du travail de la cellule spéciale d’enquête sur les crimes liés à l’élection présidentielle de 2010, une dizaine d’anciens commandants de zone de l’ex-rébellion, comme Issiaka Ouattara – dit Wattao –, Zakaria Koné ou Morou Ouattara, en 2016, avaient été inculpés.
Six grands procès étaient également en cours d’instruction. Trois étaient déjà clôturés ou sur le point de l’être. C’est notamment le cas de celui concernant les crimes commis dans le camp de déplacés de Nahibly, en juillet 2012, qui avait fait 13 morts selon Amnesty International. Une centaine de personnes ont été renvoyées devant la Cour d’assises d’Abidjan, au Plateau, où le procès devait se dérouler.
« La crise de 2010-2011, qui a fait plus de 3 000 morts, a montré combien les deux mesures d’amnistie prises en 2003 et 2007 ont été inefficaces. Aujourd’hui, on donne un signal d’impunité très inquiétant à deux ans de l’élection présidentielle de 2020 », conclut Antonin Rabecq.
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