Le président ivoirien a annoncé qu’il ne se présenterait pas à l’élection d’octobre 2020. Une décision saluée par tous, dans un contexte politique beaucoup moins serein qu’il y paraît.
En direct à la télévision nationale, le président ivoirien Alassane Ouattara, en poste depuis 2010, a surpris en déclarant jeudi 5 mars qu’il ne briguait pas un troisième mandat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020.
Le parterre de parlementaires et de ministres réunis en Congrès – une première dans l’histoire du pays – à Yamoussoukro a réagi à son annonce avec émotion : certains se sont levés de leur chaise, incrédules, d’autres ont applaudi à tout rompre. « Prési ! Prési ! Merci ! », ont même scandé quelques jeunes.
Si la déclaration a pris de court jusque dans les rangs du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), « la décision était mûrie depuis un certain temps », confie l’un de ses proches collaborateurs. « Mais c’était vraiment confidentiel. Beaucoup de cadres au sein même du parti n’étaient pas au courant. » Depuis 2016, le président sortant envoyait en effet des signaux contradictoires.
Ce retrait a été largement salué par les membres du gouvernement et de son parti, mais aussi par les observateurs. « Merci au président Ouattara. Une grande leçon de gouvernance au monde entier », a déclaré Raymonde Goudou Coffié, ministre de la modernisation de l’administration et de l’innovation du service public.
« C’est l’expression d’un grand homme, un homme d’honneur. Alors qu’il a tout pour rester au pouvoir, il s’en va. C’est un modèle pour tous les présidents africains et les anciens présidents », a réagi Bictogo Adama, directeur exécutif du RHDP.
Même l’opposant Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien, l’a qualifié d’« acte fort » qui « crée les conditions d’une élection transparente ». Le président français Emmanuel Macron s’est réjoui d’une « décision historique » d’un « homme de parole ».
« Ouattara a une stature internationale, il avait la possibilité de sortir la tête haute, par la grande porte et de bénéficier de tous les avantages qui vont avec une telle sortie, rappelle Gilles Yabi, analyste politique fondateur du think tank Wathi. Il a hésité entre partir dans de très bonnes conditions et rester pour s’assurer de la protection de ses propres intérêts. Peut-être que le contexte régional [Burkina Faso, Guinée, Sénégal – ndlr] l’a poussé à prendre cette décision avec le concours d’acteurs internationaux dont il est très proche, qui l’ont conseillé dans ce sens-là. »
M. Ouattara a eu plusieurs rendez-vous avec M. Macron, et la présence, il y a quelques jours de Nicolas Sarkozy à Abidjan, « de qui il est resté très proche », assure-t-on, pourrait avoir fini de sceller la volonté de retrait du président sortant.

« Ça ne rend pas du jour au lendemain Ouattara démocrate, nuance néanmoins Laurent Duarte, coordinateur de Tournons la page, collectif international qui réunit plus de 200 associations pour promouvoir la démocratie et l’alternance en Afrique. C’est une bonne nouvelle, mais ça reste quelque chose de tout à fait normal que de respecter la Constitution. Il n’y a pas non plus à pavaner pour avoir respecté la loi fondamentale de son pays, qui limite à deux mandats l’exercice du pouvoir. »
Car si Ouattara prend de court ses partisans comme ses détracteurs, il a, tel un chef d’orchestre, surtout modelé les conditions de campagne de ces prochains mois. Son objectif est d’imposer son dauphin.
« Il se donne sept mois pour arrondir les angles au sein du RHDP, parce qu’on sait qu’un certain nombre de responsables se montrent intéressés par une candidature. Ça lui laisse le temps de négocier, de susciter un enthousiasme suffisant pour mettre en ordre de bataille son parti derrière son candidat, qui, a priori, devrait être le premier ministre actuel, Amadou Gon Coulibaly », note Sylvain N’Guessan, politologue et membre du cercle de réflexion stratégique d’Abidjan.
Il a d’ailleurs pris soin de barrer la route à ses rivaux. D’abord l’ancien allié et chef rebelle, Guillaume Soro. Après avoir refusé de rejoindre le parti présidentiel, le trublion de la politique ivoirienne avait quitté son perchoir de l’Assemblée nationale en 2018 et décidé un an plus tard de se lancer dans la course à la présidentielle sans le soutien d’un grand parti. Désormais opposant, il était devenu un obstacle majeur, capable de siphonner une partie des voix du RHDP.
Quatorze de ses proches, députés, ambassadeurs, responsables d’ONG, ont été arrêtés le 23 décembre dernier alors qu’ils devaient fêter le retour de leur champion après une longue absence. Soro, lui, est sous le coup d’un mandat d’arrêt pour « tentative d’atteinte à l’autorité de l’État et à l’intégrité du territoire national ». Si son jet privé se pose à Abidjan, il sera immédiatement arrêté. Il organise sa défense depuis Paris, en compagnie de son sulfureux conseiller Alexandre Benalla.
Deux adversaires, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, sont pour leur part toujours en difficulté et aux prises avec la Cour pénale internationale afin d’obtenir leur liberté à la suite de leurs acquittements respectifs. Il reste Henri Konan Bedié.
Selon les spécialistes, l’annonce de Ouattara devrait sonner le glas pour l’héritier auto-revendiqué de Félix Houphouët-Boigny, « père » de l’indépendance et président de 1960 à 1993.
« Bedié a fondé la légitimité de sa potentielle nouvelle candidature sur la volonté d’Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat […]. À partir du moment où il se retire pour laisser la place à la jeune génération, pour Bédié, se retrouver dans l’arène politique à 86 ans sans cet adversaire pour le justifier, ça fragilise encore sa candidature », note Sylvain N’Guessan.
« Il ne faut pas surinterpréter la décision d’Ouattara de ne pas se présenter, juge Gilles Yabi. Ça ne veut pas dire que le pouvoir qu’il incarne ne va pas tout faire pour que son candidat l’emporte, ça ne veut pas dire que toutes les controverses sur l’organisation des élections, sur l’équité du processus électoral vont disparaître. Il n’y a plus le président sortant candidat, mais on a toujours une bonne partie de ses avantages traditionnels qui vont aller au candidat qu’il aura choisi. »