Les Faits – Mettant fin à des années de spéculations, Alassane Ouattara a annoncé jeudi devant les 352 parlementaires réunis en Congrès qu’il ne se représenterait pas à la présidentielle d’octobre 2020, justifiant sa décision au nom du « respect de [ses] engagements ». Pour l’Elysée, qui soutient le chef de l’Etat ivoirien depuis le début, cette annonce devrait permettre de conforter l’ancrage démocratique dans la région.
« J’ai décidé… de transférer le pouvoir à une jeune génération. » Cette annonce d’Alassane Ouattara est du pain bénit pour l’Elysée qui a énormément investi politiquement et économiquement sur son partenaire ivoirien depuis la crise de 2010. « Toutes nos visites et réunions de travail ont visé à consolider cette trajectoire positive », confiait jeudi un conseiller élyséen à l’heure où le président ivoirien s’exprimait devant les parlementaires de son pays.
Dorénavant, la France espère que les conditions seront réunies pour que les résultats du scrutin présidentiel d’octobre ne soient pas contestés et permettent de renforcer « la stabilité économique et politique du pays, locomotive de la région ».
Selon l’Elysée, la « manœuvre africaine » d’Emmanuel Macron répond à trois défis : sécuritaire, démocratique et psychologique (la conversion des regards réciproques des Français et Africains). Mais la démocratie est surtout abordée sous l’angle de la realpolitik. Le chef de l’Etat et ses équipes préfèrent les pressions exercées sur les alliés africains aux leçons démocratiques directes, souvent jugées comme contre-productives, auprès de dirigeants prêts à jouer les victimes d’un complot de l’ex-puissance coloniale.
L’Elysée se targue ainsi d’avoir rapproché les positions du Rwanda et de l’Angola afin d’exercer une pression sur Joseph Kabila, l’ex-président de la RD Congo, afin qu’il ne se représente pas à la présidentielle de décembre 2018. Les officiels français ne se font aucune illusion sur le processus électoral qui a porté Félix Tshisekedi au pouvoir mais l’objectif était surtout de mettre fin au règne de Joseph Kabila après deux mandats et un interminable report du scrutin. « Il n’y a pas de cas pur et parfait, avoue le conseiller. Nous avons réussi à créer une brèche dans la région. » En Afrique centrale, les transitions pacifiques ne vont pas de soi et les dirigeants ont des règnes au long cours (Tchad, Congo, Gabon, Cameroun, Guinée Equatoriale).
« L’Afrique francophone connaît deux cycles politiques, poursuit le conseiller. A l’ouest, il y a une banalisation de l’élection, de l’alternance et une relève qui est prête à assumer les plus hautes fonctions. En Afrique centrale, on vit une fin de cycle politique avec des régimes non réformés où la succession n’est pas préparée dans un contexte de baisse des ressources pétrolières et minières. »
Cas par cas. Paris agit donc au cas par cas selon les enjeux, la nature des régimes et les liens directs avec les dirigeants. Les divisions ont été profondes dans l’entourage du chef de l’Etat, notamment à propos du Tchad où l’armée a emporté la décision de soutenir Idriss Déby l’année dernière alors qu’il était en proie à une énième rébellion. « L’absence d’élections locales est un facteur de fragilité, déplore le conseiller. Le glissement du calendrier est regrettable. Cela complique les discussions avec certains bailleurs de fonds. »
Dans les pays voisins, le président français cherche à garder le contact avec ses pairs. Les enjeux pétroliers et géostratégiques sont importants. L’approche élyséenne consiste à engager les présidents africains sur des thèmes structurants et multilatéraux comme la santé et l’environnement tout en cherchant des leviers — souvent faibles — pour influer sur les questions démocratiques. Denis Sassou-Nguesso et Ali Bongo sont les premiers à soutenir les acquis de la COP 21 mais sont solidement accrochés à leur trône.
Dans les pays où l’Elysée ne peut avoir de prise, la pression par les pairs est privilégiée. C’est la stratégie utilisée en Guinée Conakry à l’heure où Alpha Condé a décidé de modifier la constitution pour se présenter à un troisième mandat. « On a vu les limites de l’approche bilatérale, indique le conseiller. Nous exerçons des pressions via la francophonie, l’organisation régionale ouest-africaine et l’Union africaine. »
Dans d’autres pays comme le Togo aux résultats économiques flatteurs, la France ne dépense pas une grande énergie. Elle s’est contentée de prendre note du résultat de la présidentielle de fin février qui a reconduit Faure Gnassingbé. « A posteriori, l’enjeu est assez faible, estime le conseiller. La transparence et la démocratie ne se jouent pas à la veille d’un scrutin. Nous avions eu certaines garanties sur son organisation, certaines ont été mises en œuvre, d’autres pas. »
L’Elysée se garde de toute ingérence dans les affaires politiques de Paul Kagamé. « Les contextes sont différents, le registre ne peut être le même avec le Rwanda », conclut le conseiller préférant parler des avancées sur les questions mémorielles et d’intérêts communs (climat, digital, réforme de l’Union africaine…).