Pour justifier le retrait des troupes françaises du Mali, Emmanuel Macron a jugé utile de se draper d’une vertu démocratique, a priori inattaquable. «La lutte contre le terrorisme ne peut pas tout justifier. Elle ne doit pas, sous prétexte d’être une priorité absolue, se transformer en exercice de conservation indéfinie du pouvoir», a souligné le président français. En d’autres termes, les militaires arrivés au pouvoir à Bamako, dans la foulée d’une contestation populaire massive, ne peuvent avoir notre soutien tant qu’ils sont suspectés de vouloir se maintenir en place, en l’occurrence pour quatre ou cinq ans.
C’est officiellement le principal point de désaccord, non seulement entre Paris et Bamako, mais avec tous les alliés européens de ce pays sahélien. Sans oublier la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, l’instance régionale qui, au nom de cette exigence démocratique, a imposé de lourdes sanctions au Mali début janvier.
Des élections sinon rien ! Tel est le nouveau mantra agité par tous les interlocuteurs de ce pays, désormais isolé, confronté depuis près d’une décennie non seulement à une explosion de l’insécurité qui s’est étendue comme une tache d’huile sur son vaste territoire, mais (on l’oublie un peu vite) également désespéré face aux défaillances d’élites politiques notoirement corrompues et indifférentes au sort de leur peuple. Lesquelles, comme au Burkina Faso voisin, ont fini par être renversées.
Changement dynastique validé au Tchad
Sur le papier, il est évidemment indispensable de rappeler les principes : les coups d’Etat militaires sont proscrits, les élections constituent la jauge qui détermine le bon fonctionnement de l’Etat de droit. Mais en Afrique, et singulièrement dans l’espace francophone, tout le monde sait que les dés sont pipés. Et que c’est désormais au moyen d’élections truquées, accompagnées d’une féroce répression, que des satrapes indéracinables ou leurs héritiers se maintiennent sur leurs trônes. Au prix de la perpétuation d’une gabegie qui nourrit toutes sortes de radicalismes.
S’il s’agissait réellement de conditionner la présence militaire française en Afrique au refus du «maintien indéfini du pouvoir», alors que font donc nos soldats au Tchad, où la mort soudaine du président Idriss Déby en avril – en place depuis 1990 – a conduit à imposer son fils à la tête du pays ? Un changement dynastique validé par la France. Sans aucune élection, aucun contrôle démocratique. Ni états d’âme des états-majors parisiens, alors que N’Djamena abrite jusqu’à présent le poste de commandement de l’opération Barkhane. Mardi, une marche dans la capitale tchadienne, organisée après la mort de 13 personnes dans le sud du pays, s’est soldée par une répression féroce des forces de l’ordre. L’archevêque de N’Djamena a été arrosé de gaz lacrymogènes.
En a-t-il été question lors du dîner de mercredi soir, réunissant à l’Elysée les hommes forts du Sahel, dont celui du Tchad, pour acter la fin de Barkhane et l’ostracisation du Mali, le seul Etat ouvertement accusé d’être gouverné par un régime non démocratique ?
S’il faut remonter plus loin, que font encore au Gabon 400 militaires français ? Ils ne se trouvaient pas très loin du QG de l’opposition sauvagement bombardé le 31 août 2016, à l’issue de l’élection présidentielle qui a conforté le maintien au pouvoir d’Ali Bongo, fils d’un ténor de la Françafrique. Là encore, la répression fut féroce. De l’Union européenne à la francophonie, tout le monde a contesté le déroulé du scrutin. Même la France s’est montrée sceptique, avant de faire marche arrière le 31 octobre, quand le Premier ministre de l’époque, Manuel Valls, a décrété que «le Gabon a un président». Lequel, victime d’un AVC fulgurant en 2018, n’est plus que l’ombre de lui-même. Mais la fiction perdure, et tout le monde désormais, la France en tête, fait semblant. Comme s’il était capable de régner sur son émirat pétrolier abreuvé de fonds de l’Agence française de développement – et donc de nos impôts – qui s’avèrent être un puits sans fond.
Effets de manche
Doit-on également évoquer le régime voisin de Paul Biya au Cameroun, élu depuis 1984 ? Ou celui de Denis Sassou-Nguesso à Brazzaville, au pouvoir depuis près de trente ans, réélu en 2016 puis en 2021, en modifiant la constitution ? Son challenger de 2016, Jean-Marie Michel Mokoko, ex-homme du sérail, que beaucoup d’anciens du Quai d’Orsay doivent connaître, croupit depuis six ans en prison.
A-t-on jamais entendu une parole élyséenne sur cette intolérable «conservation indéfinie du pouvoir» ? Non. Pas plus qu’il n’y a eu de réaction forte quand Alassane Ouattara a modifié la constitution pour se maintenir à la tête de la Côte-d’Ivoire. Son pays est même désormais considéré comme l’un des pôles possibles d’un redéploiement français face à la propagation jihadiste vers les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest. Ces petits arrangements avec la réalité, couplés de postures pseudo-démocratiques, ne trompent pas les Africains. Nous les connaissons mal. Eux nous observent. Tour à tour cyniques, désabusés ou révoltés, ils ne sont pas dupes des effets de manche qui s’expriment sur le perron de l’Elysée.
Ne nous y trompons pas : le retour de bâton sera d’autant plus sévère, quel que soit l’organigramme d’un redéploiement des troupes pour contenir une insécurité qui ne cesse de s’étendre. Engendrée en partie par la colère qui gronde et se radicalise.
Source : Libération.fr