Quelques trois millions de Maliens vivent en Côte d’Ivoire et bien qu’installés dans ce pays ami et frère
de la CEDEAO, ils suivent avec un grand intérêt la situation socio-politique dans leur pays d’origine. En
ce début d’année, ils caressent surtout le vœu d’un Mali stable qui aura réussi sa transition vers un
régime civil.
Depuis la chute du président Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK), le Mali est engagé dans un processus de transition civilo-militaire ponctué par une actualité politique et sécuritaire qui ne laisse pas les maliens vivants en Côte d’Ivoire indifférents. Nouveau gouvernement dominé par les militaires, arrestation de personnalités publiques dont le chroniqueur et activiste Ras Bath, rapport à charge de la Division des droits de l’homme et de la protection (DDHP) de la MINUSMA, attaque meurtrière contre Barkhane… autant de sujets qui dominent les conversations autour d’un verre de thé dans les grins de la communauté malienne à Abidjan, Bouaké ou Yamoussoukro. « Le Mali est notre patrie à tous et ce qui s’y passe nous intéresse quand bien même nous ne sommes pas physiquement au pays » précise Diarra Lassana, vice-président des Maliens de Côte d’Ivoire. L’opérateur économique établi en Côte d’Ivoire depuis 1980 estime que tout l’enjeu du processus de transition actuel est de redonner au Mali un président capable de rassembler les Maliens. « Mon idéal à moi est un idéal de transition démocratique.
J’aurais souhaité qu’un président élu par les Maliens puisse succéder à IBK. Cependant, il a quitté le pouvoir d’une autre manière et le Mali doit passer cette étape de la transition. Il faut donc que tous les Maliens se retrouvent autour de leur mère patrie malade pour penser paix, réconciliation et stabilité » préconise-t-il tout en reconnaissant que la tâche ne sera pas facile. Il faut en effet 18 mois à la transition pour relever des défis importants que sont le recensement des populations, le toilettage du fichier électoral et surtout la conduite d’un dialogue national devant jeter les bases d’un processus électoral consensuel. Cependant, la question d’un retour à l’ordre constitutionnel ne saurait être abordée sans toucher aux questions d’ordre sécuritaires et aux crises inter-ethniques récurrentes qui secouent le Mali ces dernières années. « Les problèmes ethniques ont été créés et amplifiés par les hommes politiques pour servir leurs intérêts personnels parce qu’ils étaient à court d’idées.
Aujourd’hui nous en payons le prix » se désole Abdoulaye Arafa. Cet originaire de Ménaka installé à Abidjan depuis 1988 reste convaincu que la situation actuelle du Mali est le résultat d’une fuite de responsabilités de la part des Maliens eux-mêmes. « Nous accusons les autres au lieu de nous entendre pour trouver une solution à nos problèmes » martèle l’homme à la cinquantaine révolue. Il parle d’un héritage politique marqué par la gabegie avec lequel le Mali doit rompre. Mr Arafa fait remarquer que les mêmes personnalités présentes dans l’arène politique et administrative depuis l’époque du président Moussa Traoré et qui ont conduit le Mali à sa perte sont les mêmes qui s’accrochent aujourd’hui au pouvoir et qui refusent de lâcher prise. « Il y a eu un coup d’État, une transition en cours mais pas de réel changement au Mali » renchéri Nguongo Madi Django, malien résidant à Abidjan depuis une vingtaine d’année. Il s’inquiète que les mêmes qui étaient présents sous le régime d’IBK soient encore présents autour des ministres du gouvernement de transition or le Mali espère un véritable changement.
Peut-on construire un nouveau Mali stable avec une vieille classe politique ? Pour Boubacar Bagayoko la réponse est non. Dans la chaleur étouffante du marché d’Adjamé en plein cœur d’Abidjan, ce commerçant malien soutient qu’il faut penser au renouvellement de la classe politique « en faisant de la place aux jeunes ». « La place des jeunes n’est pas seulement dans la rue quand il s’agit de manifester pour le départ d’un président. Ils ont aussi leur mot à dire dans la gestion de leur pays car ce sont ces mêmes jeunes, qui en uniformes, tombent chaque jour pour le Mali ». Boubacar marque une légère pause pour saluer l’engagement de l’armée malienne dans la lutte contre le terrorisme.
Il souligne que l’armée malienne en dépit des critiques fait ce qu’elle peut pour combattre un ennemi invisible qui pose des mines et multiplie les attentats. La tranche horaire d’information sur Radio France Internationale que notre interlocuteur écoute avec intérêt et qui revient sur les attaques ayant fait cinq morts au sein de Barkane en ce début d’année lui sert de prétexte pour se prononcer sur l’engagement de la France au Mali. « Il y a des critiques envers Barkane certes mais j’estime qu’il faut être aussi reconnaissant envers la France pour ses soldats qui perdent la vie pour le Mali ».
Son compatriote Diarrassouba Karamoko parle plutôt « d’un mal nécessaire » tout en reconnaissant que « l’armée malienne n’est pas en mesure sur tous les points de garantir l’intégrité territoriale du pays ainsi que la sécurité des personnes et des biens ». « La présence de l’armée française doit permettre aux FAMA de s’adapter aux nouvelles méthodes de lutte contre le terrorisme. Cette présence ne doit pas s’éterniser non plus car au lieu de me donner chaque fois du poisson, il faut plutôt apprendre à pêcher »
Demande le jeune juriste d’affaire. Voici pourquoi Diarra Lassana appelle à maintenir le dialogue et la coopération avec la communauté internationale et « les frères de la CEDEAO et de l’Union africaine » car l’armée malienne a besoin de formation et d’équipement pour être opérationnel. Reconstruire l’armée, lutter contre la corruption, réconcilier les Maliens et organiser les prochaines élections… voici les objectifs clés que la diaspora malienne de Côte d’Ivoire assigne à la transition. Bien entendu, les institutions de la transition ne pourront relever ces défis que grâce à un engagement du peuple malien tout entier.
« Nous devons faire fi des problèmes ethniques, des critiques envers les autres et des problèmes hérités du passé pour pouvoir aider ces jeunes militaires qui dirigent aujourd’hui la transition à réussir leur mission » préconise Abdoulaye Arafa. Il fustige pour sa part l’attitude de ce qu’il appelle « les mains obscures » qui tentent de saper la confiance du peuple en son armée et de torpiller les efforts de sortie de crise. Les militaires applaudis par le peuple doivent être à l’écoute de ce peuple à travers le dialogue et non une chasse aux sorcières qui risque de fragiliser la transition. « La transition a en tout 18 mois pour achever sa mission et elle n’y arrivera que si elle s’attèle à unir les forces vives de la Nation. Nous devons promouvoir un dialogue inclusif qui permette à chacun de dire ce qu’il a sur le cœur pour le bien du Mali » conclu Nguongo Madi Django.
Correspondance particulière de
Suy Kahofi