Le président de la République a qualifié la colonisation, samedi, lors d’une conférence de presse à Abidjan, de « faute de la République ».
Ça court dans tous les sens, ça crie, ça tape dans un ballon, ça saute, ça s’agite, ça s’amuse. Ça vit comme si la chaleur de plomb qui règne, samedi 21 décembre, à Abidjan, ne pesait pas sur les épaules.
Des centaines de jeunes – enfants, adolescents, jeunes adultes – soulèvent la poussière des allées de l’agora de Koumassi. Emmanuel Macron est attendu dans ce complexe sportif, situé dans un quartier populaire de la capitale économique de la Côte d’Ivoire, où se côtoient terrains de foot, de basket et tatamis. Un lieu flambant neuf, où les derniers coups de pinceaux sur les murs d’enceinte semblent avoir été donnés le matin même.
La France a été le principal bailleur de fonds de ce projet, crucial pour un pays en défaut d’infrastructures, et où 70 % de la population est âgée de moins de 30 ans. Une dizaine d’autres complexes de la sorte, assure la présidence française, devraient être construits à l’avenir. Ils se veulent « emblématiques » de la « relation renouvelée » que le chef de l’Etat, en déplacement pour quarante-huit heures en Côte d’Ivoire, entend créer avec l’Afrique.
Mettre l’accent sur la jeunesse, croit-il, est un moyen de reléguer au second plan les décennies de liens troubles entre la France et ses anciennes colonies, où la proximité l’a disputé à la défiance. Une ambition affichée depuis son discours prononcé à Ouagadougou, au Burkina Faso, en novembre 2017.
« Didier ! Didier ! » L’ex-footballeur Didier Drogba, cintré dans son costume bleu aux fins carreaux, soulève les acclamations sur son passage. Les enceintes crachent une chanson entêtante à sa gloire. En 2018, l’ex-capitaine de la sélection de Côte d’Ivoire, véritable idole en son pays, s’était rendu à l’Elysée pour déjeuner avec Emmanuel Macron en compagnie du président du Libéria, Georges Weah, lui aussi ancienne vedette du ballon rond.
« Le plus important, c’est d’avoir un impact, dit-il. L’objectif, c’est de faire rêver les gens, de faire rêver la jeunesse. » Un message que le président français reprend à son compte en s’affichant avec lui, ou avec la judoka franco-ivoirienne Priscilla Gneto, médaillée de bronze aux Jeux olympiques de Londres, en 2012.
« Désir de France »
Le chef de l’Etat attrape un micro. « La jeunesse du continent africain est trop souvent vue comme une crainte, regrette-t-il, dans une référence implicite aux débats sur l’immigration qui agitent l’Europe. La responsabilité de tous les dirigeants est de lui donner les moyens de construire ses rêves. »
Un peu plus tard, devant les représentants de la communauté française réunis à la résidence de l’ambassadeur de France, au bord de la lagune, il ne dira pas autre chose. « La France a un rôle essentiel à jouer pour aider à l’émancipation de la jeunesse africaine et bâtir une relation nouvelle, à la fois passionnée et décomplexée avec le continent africain et tout particulièrement avec la Côte d’Ivoire », estime-t-il.
Les « excellentes » relations franco-ivoiriennes, d’ailleurs, se traduisent selon lui par un « désir de France des Ivoiriens qui ne cesse de croître », puisque les demandes de visas ont bondi de 31 % en deux ans. Un discours d’ouverture apparent qui tranche avec le ton musclé de ses prises de positions sur le sujet depuis la rentrée.
En ce 21 décembre, Emmanuel Macron fête ses 42 ans. Après les militaires stationnés au camp de Port-Bouët, qui lui ont bruyamment célébré son anniversaire, la veille, en marge du dîner de Noël qui leur était offert, la foule de Koumassi pousse aussi la chansonnette en son honneur. La centaine d’étudiants réunis dans un amphithéâtre de l’Institut national de formation des agents de santé en fera de même, quelques heures plus tard.
« Une faute de la République »
Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, le chef de l’Etat ne cesse de mettre en avant son jeune âge comme gage d’une relation dépouillée des « vestiges » et des « oripeaux » de la Françafrique. Une réponse aux critiques persistantes, y compris parmi les jeunes générations africaines, d’une politique française dans la région jugée à certains égards « postcoloniale ».
« Je n’appartiens pas à une génération qui a connu le colonialisme. Beaucoup des jeunes qui nous le reprochent ne l’ont pas connu davantage », souligne M. Macron, en fin de journée, à l’occasion d’une conférence de presse commune avec son homologue ivoirien, Alassane Ouattara. Et d’ajouter : « le colonialisme fut une erreur profonde, une faute de la République ».
Des propos forts, qui sonnent comme un écho avec ceux prononcés durant sa campagne présidentielle, en 2017. Il avait alors qualifié, depuis l’Algérie, la colonisation de « crime contre l’humanité ».
Son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, avait déjà reconnu en 2007 des « crimes » et des « fautes » de la part de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies. Mais l’expression « faute de la République » franchit un cap de la part d’un chef d’Etat en exercice. « C’est un terme fort, cohérent avec tout ce qu’il a entrepris », défend-on dans l’entourage de M. Macron.
La fin du Franc CFA
Ce déplacement ivoirien a été l’occasion de tourner la page d’un héritage important de la Françafrique : celui du Franc CFA. Une monnaie lancée en 1945, et dont le nom est amené à disparaître, ont annoncé MM. Macron et Ouattara.
Surtout, la France entend quitter sa gouvernance, laissant les huit pays francophones de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) libres de leurs mouvements. « Je ne veux pas l’influence par la tutelle, par l’intrusion. Ce n’est pas le siècle qui se bâtit aujourd’hui », a justifié le président français.
Une attitude qui le conduit, dans le même temps, à réclamer de la part des pays du Sahel de la « clarté » et une « prise de responsabilité » dans la lutte contre le terrorisme islamiste dans leur région. Un objectif encore trop dépendant des troupes françaises de l’opération Barkhane, celles-ci étant critiquées par une partie des populations locales, voyant dans leur présence une volonté de mainmise sur leur économie.
Reste un point sur lequel l’interventionnisme réel ou supposé de Paris risque de se mesurer de manière plus traditionnelle : celui de l’élection présidentielle de Côte d’Ivoire, en octobre 2020. Alassane Ouattara, âgé de 77 ans, pourrait bien briguer un troisième mandat si ses vieux adversaires Laurent Gbagbo, 74 ans, et Henri Konan Bédié, 85 ans, venaient à se présenter sur la ligne de départ.
Sans se prononcer ouvertement sur le sujet, Emmanuel Macron a adressé ce message : « La Côte d’Ivoire doit continuer d’ouvrir de nouvelles pages prometteuses et demeurer un modèle pour le continent. Nous ferons à notre place tout ce qui aidera à aller en ce sens ». Autant pousser jusqu’au bout en faveur de la jeunesse.