L’ancien chargé de mission apporte conseils et contacts à l’opposant ivoirien, qui doit rentrer à Abidjan au lendemain de la fin de la visite d’Emmanuel Macron.
La visite officielle du président Emmanuel Macron en Côte d’Ivoire a été suivie de près par Alexandre Benalla. Pendant que le chef d’Etat français rencontre son homologue ivoirien, Alassane Ouattara, et visite des soldats français, l’ancien chargé de mission à l’Elysée s’active de Paris. Selon les informations du Monde, M. Benalla joue aujourd’hui le rôle de conseiller officieux de Guillaume Soro, 47 ans, ancien chef rebelle puis premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale désormais candidat à l’élection présidentielle ivoirienne de 2020.
Reconverti dans le conseil, M. Benalla aide son « ami » Soro à préparer son arrivée à Abidjan, ville qu’il a quittée il y a six mois. Ce retour était prévu le dimanche 22 décembre, dernier jour de la visite de M. Macron dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Mais n’ayant pas obtenu l’autorisation d’atterrir, il l’a finalement reporté d’une journée.
« Soro, c’est mon pote »
« Soro, c’est mon pote depuis longtemps. Je l’ai rencontré en 2015 au moment de la COP21 à Paris. On se voit chaque fois qu’on le peut. On discute, mais je ne suis pas son conseiller. Il est assez expérimenté comme ça et il a ses équipes », explique M. Benalla, qui avait facilité la venue de l’homme politique à la convention de La République en marche (LRM) en juillet 2017. « Ouattara est aussi déclinant que les réseaux français qui le soutiennent et il sent bien que Soro est un danger politique. Il va faire campagne et doit montrer qu’il est un homme du peuple », ajoute Benalla, jouant à l’analyste désormais très critique de la politique africaine de la France et fulminant contre le conseiller Afrique du président Macron.
Entre Genève et Dubaï, c’est une autre connaissance d’Alexandre Benalla qui se mobilise. Pascale Jeannin-Perez redoute, elle, et anticipe une éventuelle arrestation de Guillaume Soro – dont le rôle présumé dans la tentative de coup d’Etat vainement mené au Burkina Faso, en 2015, continue de menacer son destin politique. Femme d’affaires œuvrant dans les secteurs de l’énergie et des déchets, cette proche des réseaux sarkozystes avait notamment prêté l’un de ses appartements parisiens à Alexandre Benalla pour qu’il y loge son épouse et son bébé au moment où a éclaté l’affaire révélée par Le Monde.
A Genève ou à Paris, elle s’entretient régulièrement avec M. Soro, rencontré par le biais du footballeur devenu président du Liberia, George Weah. Elle ne le conseille pas officiellement pour l’instant mais l’aide notamment sur le plan judiciaire et stratégique.
Des relations qui ne font pas l’unanimité au sein même de la garde rapprochée du candidat déclaré à la présidentielle ivoirienne. « Elle est censée trouver des avocats internationaux qui agiront en cas d’arrestation, confie un conseiller de l’homme politique ivoirien qui a tenté, en vain, de tenir à l’écart Benalla et ses réseaux. Je ne vois pas ce qu’il peut apporter à part des problèmes, et je ne crois pas qu’il ait encore une quelconque influence ni un accès à l’Elysée. »
« Ils mettent en commun un réseau d’influence »
Reste à comprendre ce que Guillaume Soro escomptait en se rapprochant de Benalla… Pour Moussa Touré, directeur de la communication et conseiller de Guillaume Soro, « Alexandre Benalla est un ami qui le conseille et facilite des contacts au sein de la classe politique française, pas seulement à l’Elysée [M. Benalla dément et dit avoir rompu avec la présidence]. Ce qui est très utile, explique-t-il. Ils ont aussi des relations communes au Qatar et au Maroc et mettent en commun un réseau d’influence ».
Aujourd’hui fragilisé sur l’échiquier politique ivoirien et marginalisé par le pouvoir, Guillaume Soro cherche à faire oublier son passé de chef rebelle et à renouveler la politique ivoirienne toujours dominée par des vieux dinosaures. La campagne d’Emmanuel Macron l’a marqué et il s’est d’ailleurs entre autres inspiré du fonctionnement de LRM pour créer son propre « mouvement citoyen » de même qu’un parti politique pour appuyer sa candidature à la présidentielle dont l’annonce a été jugée précipitée par certains de ses soutiens. Sa nébuleuse politique reste néanmoins encore floue et minée par des divisions accentuées par son absence et ses difficultés à former un parti de masse, comme il l’aurait souhaité.
Son retour en Côte d’Ivoire a été âprement négocié avec les services de sécurité du président Ouattara, ce dernier le considérant désormais comme un adversaire politique à neutraliser, quitte à exhumer ou monter dans l’urgence des dossiers judiciaires pour le déstabiliser. « Alassane Ouattara n’est plus candidat. C’est le passé, et on va le lui rappeler le moment opportun », a déclaré M. Soro, lors d’un dîner de presse, fin octobre à Paris.
Le délicat dossier de la présidentielle ivoirienne
Entre Paris, Genève, Dubaï et Casablanca, Alexandre Benalla et Pascale Jeannin-Perez se mobilisent donc. Contactée, cette dernière n’a pas souhaité réagir. Elle se contente de dire qu’elle suit les mutations du continent africain en appréciant d’en rencontrer des leaders. Comme au sommet Russie-Afrique d’octobre où elle a notamment échangé avec l’entourage du président Ouattara. Parfois, elle voyage – comme à Kinshasa pour s’entretenir avec le nouveau chef de l’Etat congolais – en compagnie de l’ancien premier ministre reconverti dans le conseil, Dominique de Villepin, avec qui elle partage l’amitié pour l’intermédiaire Alexandre Djouhri.
Elle orchestre également une partie des circuits financiers offshore de l’Ivoirien Didier Drogba, avec qui elle est partenaire dans plusieurs affaires. L’ex-star du football, reconvertie dans les affaires, a accompagné, samedi, le président Macron dans la visite d’un quartier populaire d’Abidjan. « Pascale Jeannin-Perez n’a aucun lien avec l’Elysée », assure-t-on dans l’entourage de M. Macron, démentant l’idée qu’elle ait pu jouer un rôle dans la réception organisée à la présidence, en février 2018, de Georges Weah et Didier Drogba. A l’époque, Alexandre Benalla travaillait encore comme chef adjoint de cabinet du président de la République.
A Abidjan, Emmanuel Macron devait aussi aborder avec son homologue ivoirien le délicat dossier de l’élection présidentielle prévue en octobre 2020 en Côte d’Ivoire. Le président français n’a fait aucune déclaration publique à ce sujet, se contentant d’affirmer que « la Côte d’Ivoire doit continuer d’ouvrir de nouvelles pages prometteuses et demeurer un modèle pour le continent. Nous ferons à notre place tout ce qui aidera à aller en ce sens ». Il n’est pas certain que l’Elysée apprécie que l’ombre de l’encombrant Benalla plane à nouveau sur un dossier franco-africain. « Nous n’avons pas à commenter les fréquentations de Guillaume Soro », élude-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron.