A l’instar du Mali, des Burkinabè pensent que l’arrivée de la société militaire privée russe Wagner serait une réponse efficace contre le terrorisme au Burkina Faso. À ce sujet, le Pr Abdoulaye Soma, juriste et président-fondateur du mouvement politique « Soleil d’avenir » a souligné lors d’une interview accordée à Lefaso.net, le jeudi 27 janvier 2022 à Ouagadougou, que la constitution du Burkina ne l’interdisait pas.
Lefaso.net : La constitution du Burkina Faso favorise-t-elle l’arrivée d’une société comme Wagner sur son territoire ?
Pr Abdoulaye Soma : La constitution ne s’y oppose pas. Ce qui est interdit, c’est l’appel à l’intervention de forces armées extérieures dans un conflit intérieur (entre Burkinabè). Par exemple s’il y a insurrection, la constitution interdit au gouvernement de faire appel à des forces extérieures pour réprimer les manifestants. Mais elle n’interdit pas que l’exécutif puisse s’appuyer sur des acteurs extérieurs pour l’aider à combattre des ennemis qui s’attaquent au pays.
L’article 46 le dit : « Le président de la république est garant de l’intégrité territoriale, de l’indépendance de la nation ». Là, notre nation n’est pas indépendante et notre territoire n’est pas intégral. Parce qu’il y a des parties du territoire auxquelles nous n’avons pas accès et la nation ne peut décider ce qu’elle veut. Si le gouvernement voulait bien tenir un conseil des ministres à Solhan, cela est compliqué aujourd’hui.
Saluant le coup d’Etat au Burkina Faso lors d’une récente déclaration, le parrain du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, a dit ceci : « Tous ces soi-disant coups d’Etat sont dus au fait que l’Occident essaie de gouverner les États et de supprimer leurs priorités nationales, d’imposer des valeurs étrangères aux Africains, parfois en se moquant clairement d’eux ». Partagez-vous son opinion ?
Je ne validerai pas l’opinion de ce monsieur parce que c’est son opinion et que je pense que chaque acteur a le droit d’émettre des opinions. Mais il y a un mot qu’il a utilisé dans son propos qui m’intéresse, c’est l’intérêt national. Et pour moi, toute décision dans un État doit être orientée par l’intérêt national.
Le Burkina Faso a des problèmes mais aussi des objectifs. C’est pourquoi il doit prendre les décisions en fonction de ses intérêts. Et donc je suis tout à fait au moins sur ce plan-là, d’accord avec tous ceux qui réfléchissent de cette façon.
A l’instar du Mali, pensez-vous qu’il est nécessaire de faire appel à la société militaire privée russe Wagner pour aider les forces de défense et de sécurité à éradiquer le terrorisme au Burkina Faso ?
Je ne me limiterais pas à Wagner, j’ai une vision plutôt large de la solution que nous devons apporter à nos problèmes. Aujourd’hui, les problèmes sont multiples et chacun d’eux a sa solution. Donc les autorités burkinabè doivent décider des solutions qu’elles veulent adopter à chaque problème et identifier ainsi quel acteur est le mieux adapté à cet effet.
La solution peut venir de Wagner pour le problème sécuritaire mais elle peut aussi venir d’un autre acteur concernant un autre domaine. Donc, il ne faut pas se limiter dans la désignation d’un acteur précis mais plutôt ouvrir car chaque problème a sa solution et chaque solution a son partenaire.
Le Burkina Faso doit orienter sa coopération internationale vers des acteurs qui peuvent apporter des solutions à ses problèmes, domaine par domaine. Sans exclusion, sans systématicité.
Quelles pourraient être les clauses du contrat entre Wagner et le Burkina, si jamais elle devait lui apporter son soutien ?
Evidement si un acteur international comme Wagner doit arriver au Burkina Faso dans le cadre de l’intérêt du pays, cela va se faire par la voie d’un accord. En ce sens, l’accord doit préciser les problèmes du Burkina Faso, ses objectifs et les moyens à injecter pour les atteindre. De ce fait, on doit obtenir du partenaire un engagement à injecter ces moyens et parvenir aux résultats dans les délais qu’on aura fixé.
Les clauses doivent être au moins claires sur ces trois points, avec en préambule l’identification du problème pour lequel on invite l’acteur international. Le second lui, est l’objectif à atteindre. Cela peut-être la récupération totale de notre territoire, le redéploiement de l’administration… Et ce sont ces buts-là que l’on doit demander à notre partenaire d’atteindre avec un échéancier qui peut-être révisable.
Nous ne devons pas attendre d’être démarchés par des acteurs internationaux qui sont peut-être en quête d’influence ou d’argent pour nous proposer des solutions à nos problèmes. Mais c’est nous-mêmes qui devons aller vers eux en ayant déjà fait le point de nos problèmes, celui des solutions qu’il nous faut et des objectifs à atteindre. Une fois cette étape franchie, il nous scruter l’environnement international pour identifier l’acteur qui est le mieux adapté à la solution.
Dès cet instant, c’est nous qui pilotons le processus parce que c’est nous qui proposons le contrat. Cependant, si vous restez chez vous jusqu’à ce que quelqu’un vienne vous démarcher, c’est lui qui mène le débat à ce moment. Alors qu’un État est souverain et un acteur privé lui est forcément inférieur. Ce n’est donc pas le souverain qui doit être mené ou malmené par le partenaire privé mais c’est le souverain qui doit mener ce dernier.
Au regard de cette citation de Confucius : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson », ne faudrait-il pas intégrer la clause de formation axée surtout les nouvelles technologies de guerre employées dans la lutte antiterroriste ?
Il est évident que l’intervention d’un acteur extérieur pour régler un problème burkinabè doit être forcément ponctuelle. C’est-à-dire qu’il vient, il règle le problème, on lui paie ce qu’on s’est engagé à lui verser et l’on récupère aussi avec lui la capacité de solutionner pour l’avenir ce type de problème.
Parce qu’il n’est pas normal de faire tout le temps appel à des acteurs pour résoudre les mêmes problèmes. Dès que l’on sollicite l’aide d’une organisation ou autres, on doit en même temps pouvoir procéder au transfert des compétences technologiques, intellectuelles et opérationnelles pour résoudre le problème, quelle qu’en soit sa nature.
Qu’il soit de l’ordre du contrôle de la gestion, d’ordre militaire ou de lutte contre le terrorisme, comme ce dont on parle à l’égard de Wagner. Il faut chaque fois que nous récupérions la technologie qu’il faut, de sorte à être autonome pour l’avenir. Ainsi, l’association de nos acteurs nationaux, notamment de nos forces de défense et de sécurité à la planification stratégique depuis le sommet est indispensable. De sorte que nous puissions apprendre pendant cette période de coopération.
Interview réalisée par Hamed NANEMA
Lefaso.net