Face à la « dégradation » de la situation, une « revue des options » est en cours à Paris. Difficile toutefois d’imaginer un retrait de Barkhane
Les Faits – Emmanuel Macron a conditionné mercredi depuis l’Angleterre le maintien de l’opération Barkhane à un soutien plus explicite des pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) sur la présence militaire de la France dans la région, où les forces françaises sont parfois dénoncées comme une « armée d’occupation ». Depuis sept ans, 44 militaires français sont morts au Sahel.
Agacé par la tournure des événements dans la région, Emmanuel Macron a annoncé, mercredi en fin de journée, en marge du sommet de l’Otan à Londres : « J’ai invité à Pau le 16 décembre prochain les cinq chefs d’Etat africains impliqués dans le G5 Sahel » (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad). En fait d’invitation, cela ressemble surtout à une convocation : « J’attends qu’ils clarifient et formalisent leurs demandes à l’égard de la France et de la communauté internationale. Je veux des réponses claires et assumées » et « j’ai besoin qu’ils l’affirment politiquement devant leurs opinions publiques », a martelé le président français. Ce ton comminatoire dans la bouche du représentant de l’ancienne puissance coloniale ne va sans doute pas apaiser les choses parmi des populations où le sentiment anti-français s’exacerbe déjà.
Le choix du lieu de cette conférence ne doit rien au hasard. Pau est en effet la ville qui accueille le 5e régiment d’hélicoptères de combat, dont étaient issus sept des 13 militaires français morts le 25 novembre dans un accident au cours d’une opération. Le message à destination des chefs d’Etat africains est limpide : « Nos hommes meurent chez vous, alors bougez-vous ! » leur dit en substance Emmanuel Macron. « Je ne suis pas au temps de la menace, mais j’ai besoin de ces clarifications pour continuer à maintenir la présence française », a ainsi déclaré le président français devant les caméras. L’ambassadeur Christophe Bigot, envoyé spécial pour le Sahel, a été dépêché dans les capitales des Etats concernés pour faire passer le message de l’Elysée.
Cette présence française dans la région fêtera, si l’on ose dire, son septième anniversaire dans un mois. C’est en effet le 11 janvier 2013 que l’opération Serval, puis Barkhane, a débuté. « Malgré tous les succès tactiques et opérationnels de nos militaires, ça n’a pas progressé autant que nous le souhaitions. Nous n’avons pas pu réduire l’infection islamiste qui se développe sur ces foyers de crise », reconnaît une source proche du dossier. Peu après son élection, Emmanuel Macron exigeait que l’armée lui offre des victoires sur le terrain. Mais des prouesses militaires n’empêchent pas les défaites stratégiques. Nous n’en sommes pas loin.
Cracher dans la soupe. C’est en fin de semaine dernière que le président Macron a décidé de mettre plus encore la pression, avant l’hommage national aux Invalides et le sommet de l’Otan. « Toutes les options sont ouvertes », a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse. Une « revue des options » est engagée au sommet de l’Etat. Compte tenu de la « dégradation de la situation », il faut « poser la question des outils » susceptibles de « traiter » cette « question de sécurité internationale », indique-t-on à l’Elysée.
Dans une grande séquence d’explications, Emmanuel Macron entend aborder « toutes les attentes, les frustrations, les promesses tenues ou non », liste un proche du dossier. L’idée principale est de « mettre les gens devant leurs responsabilités », précise une autre source. Les « gens », c’est-à-dire les dirigeants africains suspectés d’un double langage, et nos alliés européens sommés de venir nous aider au Sahel. L’expérience montrera si la brutalité de la méthode débouche sur des résultats positifs.
«Je ne peux ni ne veux avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit alors même que l’ambiguïté persiste à l’égard de mouvements anti-français, parfois portée par des responsables politiques»
« Le G5 Sahel ne fait pas son boulot et certains crachent un peu dans la soupe », entend-on parmi les acteurs impliqués côté français. Les dirigeants du Mali et du Burkina, les deux pays les plus fragiles, sont particulièrement visés. Au Mali, la France est agacée de constater que les autorités laissent se développer des discours anti-français, comme celui du grand chanteur Salif Keïta. Dans le même temps, les autorités maliennes ouvrent des canaux de discussions avec des dirigeants de groupes rebelles, ces « terroristes » que traque l’armée française.
La situation est encore plus dégradée au Burkina Faso, où les responsables gouvernementaux critiquent ouvertement la France. D’où l’avertissement public du président Macron : « Je ne peux ni ne veux avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit alors même que l’ambiguïté persiste à l’égard de mouvements anti-français, parfois portée par des responsables politiques ».
Réadaptation. La France pourrait-elle mettre sa menace d’un retrait en exécution ? C’est très improbable. Outre le fait que l’armée ne souhaite absolument pas partir, Paris pointe un risque géopolitique : « On ne peut pas laisser faillir complètement un Etat » de la région, explique un responsable, qui pense d’abord au Mali et au Burkina. S’agit-il d’une menace réelle ? Dans l’Opinion, le grand spécialiste italien de l’Afrique Mario Giro nuance fortement « le mythe de la faillite des Etats africains » : « Cette idée ne tient pas compte de leur histoire. Ils sont beaucoup plus résilients qu’on ne l’imagine, mais ce n’est pas notre forme d’Etat. L’État africain c’est autre chose, il doit tenir en compte de la diversité ethnique des populations, des frontières qui ne sont pas définies comme les nôtres ».
Par ailleurs, si « notre sécurité se joue au Sahel », comme ne cessent de le dire les autorités françaises, il sera difficile de s’en retirer : la France est prise au piège de ses propres mots, alors même que les services de renseignements reconnaissent en privé qu’il n’y a jamais eu de « menaces terroristes projetées » du Sahel vers le territoire national. Une situation très différente de celle du « Levant » (Syrie-Irak).
On doit toutefois s’attendre à une « réadaptation » de l’opération française Barkhane, avec la mise en place d’un plus fort soutien à l’armée malienne et la participation d’alliés européens (opération Takouba). L’idée serait également d’avoir un objectif un peu plus restreint sur le plan géographique, concentré autour de la zone des trois frontières (Mali, Burkina, Niger). « Qui trop embrasse, mal étreint » fait-on désormais valoir : l’objectif initial de Barkhane, sur toute la bande sahelo-saharienne, était en effet hors de portée des moyens de l’armée française.