Dans une analyse quasi-réthorique et hautement intellectuelle, basée sur des illustrations explicites fondées en droit, par des textes qui régissent la mission régalienne des membres du corps préfectoral en Côte d’Ivoire, M. Félix TANO, Maître de conférences en droit public a expliqué avec véhémence, que, « Le préfet est le porte-voix des populations locales ». Ci-dessous, un large extrait de sa contribution, perçue par un observateur international comme véritable cours magistral, pour illuminer la conscience collective des Ivoiriens, sur le véritable rôle des membres du corps préfectoral et, par ricochet, les préfets dans les chefs-lieux de région et de département, en Côte d’Ivoire.
« Le 16 septembre 2025, le ministre de l’Intérieur et de la sécurité a adressé dans, l’urgence, un télégramme au corps préfectoral pour lui intimer l’ordre de ne recevoir, ni traiter des documents de contestation dirigés contre les décisions du Conseil constitutionnel, précisément celle du 8 septembre 2025 portant publication de la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle d’octobre 2025. Comme fondement de ce télégramme, le ministre rappelle les dispositions de l’article 138 de la Constitution, qui dispose que : « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toute autorité administrative, juridictionnelle, militaire et à toute personne physique ou morale ».
Faut-il le rappeler ?
Dès le lundi 15 septembre 2025, en application des directives de leur secrétariat général, les fédérations du parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) ont, soit lu, soit déposé des motions dans les différentes préfectures du pays, pour « réaffirmer clairement la position du PPA-CI » sur l’exclusion de son candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2025 et la candidature à un 4e mandat anticonstitutionnel de monsieur Ouattara. Nul ne conteste le fait que la décision du Conseil constitutionnel est d’une autorité absolue, et qu’en conséquence, les autorités publiques, notamment préfectorales, doivent s’y conformer. Mais, en l’espèce, personne n’a sollicité un quelconque préfet en tant que « contre-recours » ou « voie de contournement » de ladite décision. Et personne n’a demandé à ce que la décision du Conseil constitutionnel soit ignorée, discutée, ou suspendue.
Mais, dans son rôle de représentant de l’État dans les circonscriptions administratives, le préfet joue-t-il seulement un rôle descendant, de courroie de transmission de l’Etat central ? N’est-il pas aussi le relais des populations auprès du gouvernement ? N’est-ce pas au préfet de faire état des doléances des populations dans les domaines hydraulique, scolaire, sanitaire etc. ? N’a-t-il pas aussi pour rôle d’alerter sur les tensions dans les localités dans divers domaines foncier, sécuritaire et politique ? Comment le préfet peut-il jouer ce rôle s’il n’est pas à l’écoute des populations, dans leur diversité ? Comment peut-il assumer cette fonction s’il ne remonte pas les informations au gouvernement sur la réalité sociale, économique ou politique dans sa circonscription administrative ? N’est-ce pas ainsi qu’il faut comprendre l’article 19, 4e tiret, de la loi n° 2014-451 du 05 août 2014 portant orientation de l’organisation générale de l’Administration Territoriale qui précise que le Préfet « est responsable de l’ordre, de la sécurité, de la tranquillité et de la salubrité publics dans le Département sans préjudice des responsabilités qu’assument les Maires, dans les mêmes domaines et dans les limites de leurs circonscriptions respectives : à ce titre, le Préfet reçoit directement, centralise et exploite toutes les informations relatives à la sûreté de l’Etat, à l’exercice des libertés publiques, aux catastrophes de toute nature ainsi qu’à tout événement troublant ou susceptible de troubler l’ordre, la sécurité, la tranquillité et la salubrité publics ; le Préfet dispose des forces de l’ordre conformément à la loi et aux règlements ainsi qu’aux directives du pouvoir exécutif central ».
Ces dispositions n’accordent-elles pas un rôle préventif au préfet, en ce qu’il est chargé collecter et exploiter les informations pour anticiper les risques ? N’est-ce pas de son devoir de prévenir tout événement susceptible de menacer la sécurité des populations (manifestations, troubles sociaux ou politiques, conflits intercommunautaires, etc.) ? N’est-ce pas à lui qu’incombe la responsabilité de capter les informations dans sa localité et de les transmettre à sa hiérarchie ?
Dans l’exercice de ces attributions, le préfet peut-il se priver des informations en provenance de la population dans ses différentes composantes (citoyens, associations de jeunesse ou de femmes, partis politiques etc.)? N’est-ce pas ce que les fédérations locales du PPA-CI font, en faisant état aux préfets de la colère sourde d’une partie de la population?
En effet, nul ne peut ignorer que la décision du Conseil constitutionnel a suscité de vives réactions au sein d’une partie de la population et créé un climat de tension qui menace la paix sociale et la cohésion nationale. Les crispations politiques qui en résultent, ne font-elles pas peser des risques sérieux sur la paix civile et la stabilité nationale ? Doit-on « faire l’autruche » ?
En définitive, le corps préfectoral était dans son rôle en recevant les délégations du PPA-CI.
D’une part, parce que, en conformité avec l’article 25 alinéa 2 de la Constitution, le PPA-CI, en tant que parti politique concourt à l’expression du suffrage. Cette formule fait de lui, un outil permanent de l’expression démocratique du peuple, par lequel il relaie les préoccupations sociales auprès des institutions, tout en assurant sa fonction critique et de contre-pouvoir.
D’autre part, le corps préfectoral a aussi une fonction
utile d’intermédiation. Si le préfet est « l’œil, l’oreille et le bras de l’État » dans son ressort territorial, il est aussi la voix du peuple auprès de l’État central.
Qui veut occulter ce dernier rôle ascendant du préfet? À quelles fins ? Qui ne veut pas entendre les complaintes de la population ? »
Félix TANO,
Maître de conférences en droit public