Les Faits – Après avoir annoncé sa décision de ne pas briguer de nouveau mandat, le chef de l’Etat ivoirien peaufine avec ses proches la stratégie pour faire élire son dauphin.
Le président ivoirien, Alassane Ouattara, a annoncé jeudi qu’il ne briguerait pas de nouveau mandat à l’occasion de l’élection d’octobre prochain, mettant fin à des mois de spéculation. « Je salue la décision historique du président Ouattara, homme de parole et homme d’Etat. La Côte d’Ivoire donne l’exemple », a réagi Emmanuel Macron sur son compte Twitter.
Trois jours après son annonce de tirer sa révérence en fin d’année, Alassane Ouattara, 78 ans, élu en 2010, prépare déjà sa succession. Il recevait dimanche soir, dans sa résidence à Abidjan, le chef du gouvernement, Amadou Gon Coulibaly, et plusieurs caciques de son parti. Objectif : préparer le comité politique du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Prévu le 12 mars à l’hôtel Ivoire d’Abidjan, ce comité doit définir les modalités de désignation du candidat de la formation au pouvoir à la présidentielle.
« A partir de là, nous aurons une meilleure visibilité sur l’agenda et les candidats qui souhaitent représenter le parti lors d’une compétition interne afin d’obtenir la candidature à la présidentielle », explique un des ministres du gouvernement. Une convention du parti devrait suivre, au plus tard au mois de juin, pour entériner le choix du candidat du RHDP. « Le président Ouattara a fait un discours historique à Yamoussoukro, confie Adama Bictogo, le directeur exécutif du RHDP. Il faut saluer la sagesse d’une décision qui permet à la Côte d’Ivoire d’entrer dans une nouvelle dynamique démocratique ».
Dauphin. Ce retrait de la vie politique a largement été salué à l’échelle internationale mais aussi dans le pays, même si certains y trouvent à redire, notamment en expliquant que le successeur de Ouattara n’appartient pas à la nouvelle génération à qui il a promis de transmettre le pouvoir : le chef de l’Etat a choisi son dauphin depuis longtemps même s’il ne l’a pas annoncé publiquement. Il s’agit d’Amadou Gon Coulibaly, 61 ans, un fidèle de la première heure et l’actuel Premier ministre.
La décision d’Alassane Ouattara prend de court l’opposition. Elle rend plus difficile la candidature d’Henri Konan Bédié qui, à 85 ans, rêve toujours de redevenir président. Un choix qui ne satisfait guère la jeune génération du PDCI (sa formation) même si cette dernière n’ose s’émanciper. Laurent Gbagbo, qui aura 75 ans lors du scrutin, n’a pour sa part pas encore fait part de ses intentions. Mais sa participation est hypothétique tant que son procès devant la Cour pénale internationale ne sera pas définitivement clos. Ses proches, comme Simone Gbagbo et Pascal Affi N’Guessan, ont salué la décision de Ouattara. Ce qui pourrait témoigner de leur volonté de briguer le trône présidentiel.
Quant à Guillaume Soro, le scrutin devrait se dérouler sans lui. Sous le coup d’un mandat d’arrêt international, il vit en exil à Paris. Et ses proches sont inquiétés par la justice quand d’autres de ses fidèles sont en passe d’être récupérés par le parti au pouvoir.
« La gestion de la succession, c’est l’affaire du président Ouattara, assure l’un de ses intimes. Il la met en scène par phases en coordination avec le parti ». Une certitude : il ne se laissera pas imposer un successeur, même si Marcel Amon Tanoh, son ministre des Affaires étrangères, et Albert Toikeusse Mabri, son collègue de l’Enseignement supérieur, ont manifesté leurs ambitions présidentielles. Ces deux figures de l’ère Ouattara n’ont, en réalité, aucune chance d’obtenir l’investiture du RHDP promise à Amadou Gon Coulibaly.
Ce dernier appartient à une grande famille du nord de la Côte d’Ivoire. Son arrière-grand-père, Péléforo Gon Coulibaly, est l’ancien patriarche de Korhogo et chef suprême des Sénoufos, une communauté alliée au père de la nation ivoirienne, Félix Houphouët-Boigny.
Un homme discret. Il a débuté sa carrière à la Direction du contrôle des grands travaux (DCGTX) et a été repéré par Alassane Ouattara, lorsqu’il est devenu Premier ministre en 1990. Les deux hommes ne se sont plus quittés, ont participé à la fondation du Rassemblement des républicains (RDR) en 1994, ont ensuite mené bataille dans l’opposition, vécu ensemble la guerre postélectorale, le retour aux affaires. En 2011, après son élection, Ouattara a fait de ce technocrate discret au dévouement total son secrétaire général à la présidence. Six ans plus tard, il lui a offert davantage de lumière en en faisant le chef du gouvernement, déjà avec comme arrière pensée l’optique de la succession.
Depuis, il l’aide dans son ascension. Il lui a délégué les inaugurations des programmes économiques et sociaux et met à sa disposition les communicants de la présidence et les journaux amis. Une campagne à peine déguisée visant à accroître une popularité qui ne va pas de soi dans les sondages commandés par la présidence.
En accélérant le processus de succession, le chef de l’Etat souhaite mettre le RHDP en ordre de bataille et laisser plus de temps à Amadou Gon Coulibaly pour convaincre la population. « Nous avons besoin de transférer le capital humain du chef de l’Etat, dont la sympathie s’est davantage affirmée à la faveur de sa dernière décision, sur celle de son dauphin, affirme l’intime du président. La stratégie du parti va reposer sur l’esprit d’équipe. Chacun de nous est fort dans son fief, il faut créer des synergies ».
Seront particulièrement mis en avant Hamed Bakayoko, le ministre de la Défense, populaire à Abobo et dans le nord ; Patrick Achy, secrétaire général de la présence qui compte conquérir la communauté Attié ; et Jeannot Ahoussou Kouadio, le président du Sénat, dont le rôle sera de rogner des voix à l’opposition en pays Akan.
Message social. Le RHDP enverra prochainement ses cadres dans toutes les régions afin de mobiliser. Le dauphin devrait aussi être présent, tous les week-ends, sur le terrain et marteler un message très social. Ses porte-voix vont insister sur le côté « homme de dossier » et « travailleur » tout en essayant de lui donner un statut de rassembleur, une de ses lacunes. « Nous entrons dans la phase de séduction, ajoute le proche. Nous partons à la conquête des cœurs ».
Amadou Gon Coulibaly dispose d’une véritable machine de guerre électorale. Le RHDP peut compter sur 154 députés sur les 255 de l’assemblée nationale. Il dirige 24 des 31 régions et 136 communes sur 201. Sa capacité de mobilisation est importante, humainement et financièrement. Il se targue d’avoir 1,4 million de sympathisants parmi les électeurs et 15 000 sections sur le territoire.
Le RHDP prévoit aussi d’enrôler près d’un million de personnes pour le prochain scrutin sur une liste électorale qui pourrait atteindre 7,6 millions d’électeurs. L’objectif est de l’emporter dès le premier tour. Si le scrutin est apaisé et que son poulain lui succède, Alassane Ouattara pourra alors se consacrer pleinement au lancement de sa fondation pour la gouvernance pendant que son successeur ne manquera pas d’encenser son héritage.