Les épreuves de mathématiques de la série ES ont été diffusés sur les réseaux sociaux avant la tenue de l’examen. Pour l’instant, le ministère ne souhaite pas faire repasser l’épreuve.
Alors qu’elle se rendait au lycée Paul-Robert des Lilas (Seine-Saint-Denis), pour son dernier jour d’épreuves du bac avant les vacances, ce vendredi matin, Élisa* a trouvé un « cadeau » en désactivant le mode avion de son smartphone. Sur un groupe de discussion WhatsApp, qu’elle utilise habituellement pour trouver des offres de baby-sitting et à laquelle sont abonnées « environ 300 personnes », cette jeune fille de 18 ans a découvert… le sujet de maths du bac ES et des candidats du bac L avec spécialité, sur lequel elle allait devoir plancher une demi-heure plus tard, dûment estampillé de son code d’identification (19MAESSMLR1) et accompagné d’un corrigé manuscrit.
Cette fuite, authentifiée dans l’après-midi par l’Éducation nationale, Élisa n’est pas la seule à en avoir eu connaissance avant le coup d’envoi officiel de l’épreuve. Nous avons recensé sept établissements touchés, à Paris, dans les Hauts-de-Seine et en Seine-Saint-Denis. Le ministère, qui a déposé plainte vendredi auprès de la police, ne faisait état dans l’après-midi que de « trois à quatre » sites, et au sein de ces lycées, seulement « un nombre très limité » de candidats. « Une photo des sujets a circulé sur des réseaux privés uniquement, précise Jean-Marc Huart, le directeur général de l’enseignement scolaire. L’enquête va déterminer quel en a été le circuit. »
Ce vendredi soir, l’Éducation nationale n’envisageait pas de faire repasser aux 354 000 candidats concernés l’épreuve de maths, conspuée par ailleurs pour son niveau jugé trop difficile, et pour plusieurs erreurs dans les intitulés, rectifiés en catastrophe en cours d’épreuve. « Elles n’empêchaient pas de faire les exercices, confie Gwendal, en terminale aux Lilas. J’avais rectifié de moi-même. » Selon l’Éducation nationale, les « coquilles » ne concernaient que « 0,2 point sur 20 » pour les candidats de L et ES, et un quart de point pour la série S.
Les copies trop parfaites seront examinées
« Il n’empêche : les erreurs, plus la difficulté du sujet, plus les fuites, ça commence à faire beaucoup », soupire Lucas*, élève au lycée Pasteur de Neuilly-sur-Seine. Mais, même si certains de ses camarades « ont vu le sujet dès 7 heures et ont même pu s’échanger des messages sur les exercices », le jeune homme serait « dégoûté », dit-il, à l’idée de devoir repasser l’épreuve. « J’espère surtout que les correcteurs seront cléments vu les circonstances. »
Peut-être pas avec tout le monde : dans les établissements suspectés d’avoir eu accès à la fuite, les copies trop parfaites devraient être examinées avec attention, « et mises en regard avec le dossier scolaire de l’élève », précise-t-on au ministère. En cas de suspicion de fraude, une commission pourra convoquer le candidat pour entendre sa version des faits. Les responsables de la diffusion du sujet, de leur côté, risquent trois ans de prison et 9 000 euros d’amende.
Élisa, bien qu’ayant reçu les exercices sur son iPhone, n’a pas pu en tirer parti : elle a fini bien avant la fin de l’épreuve et avec le sentiment d’avoir plutôt raté. « Je n’ai pas essayé de retenir par cœur des réponses sur le corrigé : j’étais sûre qu’un sujet de substitution nous serait donné », raconte la lycéenne, qui a transmis en fin de matinée à sa proviseure des captures d’écran du sujet, prises à 7h36. Dans le lycée de Lucas, de l’autre côté de la capitale, des élèves « ont vu le sujet à 7 heures, et ont même pu s’échanger des messages à propos des exercices », assure-t-il.
Des sujets disponibles dès jeudi soir ?
Sur une vidéo, postée sur le même groupe WhatsApp de baby-sitting que celui utilisé par Elisa, et que nous nous sommes procurée, on peut voir une jeune fille parcourir sur son téléphone les exercices de l’épreuve. L’heure affichée sur la vidéo, 22h14, laisse penser que les exercices de l’épreuve ont pu circuler dès jeudi soir.
Avant ce couac, ce vendredi, un précédent avait eu lieu en 2011. « Un exercice complet de l’épreuve de mathématiques de la série scientifique avait été divulgué, raconte Jean-Marc Huart, le directeur général de l’enseignement scolaire. À ce moment-là, nous avions neutralisé l’exercice ». En clair, cette partie de l’examen n’avait pas été prise en compte et le barème revu.
Plus récemment, l’édition 2017 a aussi été marquée par un improbable imbroglio : le sujet de philosophie des filières technologiques de métropole a par erreur été envoyé par le ministère de l’Éducation nationale à une télévision locale ultramarine, Guadeloupe Première, deux jours avant l’épreuve ! La chaîne a ainsi, sans le savoir, fait fuiter les intitulés de dissertation. Le pot aux roses ayant été rapidement découvert, après l’alerte donnée par un professeur administrateur d’un forum de maths sur Internet, les élèves ont finalement planché sur un sujet de substitution.
* Le prénom a été changé.