Les faits – Un livre, T’ar ta gueule à la récré (Mareuil Editions), retrace les premiers pas de l’auteur, Emery Doligé, dans le paysage des médias sociaux, des forums aux réseaux sociaux en passant par l’avènement des blogs. Une « confession », comme il la présente en couverture, qui permet de se pencher sur ce qui est devenu le phénomène des influenceurs, désormais considéré comme un métier à part entière très recherché par la jeune génération.
« L’influenceur n’influence personne. » La sentence tombe au coeur des 250 pages du récit que nous propose Emery Doligé dans son livre, T’ar ta gueule à la récré. Mais personne ne casse la gueule – physiquement – à personne dans cette « confession d’un influenceur » et l’auteur n’en profite pas lui-même pour régler ses comptes. C’est l’histoire d’un mec…qui a vécu les débuts de quelque chose, qui allait se transformer en hobby, en métier, en référence. On veut devenir « influenceuse » ou « influenceur » comme on voulait devenir chanteuse ou comédien. « Les gens fantasment ce que cela représente parce qu’ils imaginent que c’est un métier où l’on gagne beaucoup d’argent, où l’on est invité partout, où tout est facile mais ce n’est vrai que pour quelques-uns », prévient Emmanuelle Patry, passée par le groupe M6 au sein de Golden Network, un groupement de chaînes YouTube, et désormais à la tête de sa propre agence de consultants.
C’est toute la différence entre celles et ceux qui se lancent aujourd’hui et l’expérience de Doligé et de ses camarades défricheurs – il en cite tout au long de son livre – qui ont navigué à vue. Ils prennent des pseudos, ouvrent des blogs, se créent des communautés parfois en s’inventant des personnages, plus ou moins doubles maléfiques. « Mry devait, par son comportement bloguesque, jouer le jeu de l’assurance à son maximum. Je devais faire en sorte qu’il montre que sa vie n’avait jamais été trop compliquée […] Mry avait le contrôle parfait sur tout et démontrait que même lorsqu’il perdait, il gagnait encore », écrit l’auteur qui avait poussé le projet jusqu’à écrire une « bible » complète de son personnage. Une expérience qui dépassera tout ce qu’il pouvait imaginer.
« Epicerie de quartier ». Ce petit monde du web 2.0 fini par se faire repérer au-delà des pages commentaires des blogs. « Et comme il fallait nous donner un autre nom que “blogueur” car cela ne représentait pas grand-chose, est arrivé le terme “influenceur” », se souvient Emery Doligé pour l’Opinion. Et avec ce mot s’ouvre un nouveau champ des possibles. Il poursuit : « La toute première fois que j’ai été catégorisé comme tel, c’est lorsque j’ai eu droit à une proposition financière, que j’ai d’ailleurs refusée. » Il en accepte une autre, de BlogBang, filiale de Publicis, avec un contrat simple : l’influenceur devra relayer toutes les campagnes de l’entreprise en échange de 6 000 euros par mois qu’il touchera même lorsqu’il n’aura rien à faire. « C’est une somme énorme qui pouvait largement me faire vivre alors que j’avais déjà un travail. Forcément, je me suis posé la question de changer de vie », raconte Doligé. La réponse sera non, « le blog c’était un plaisir, pas un métier ». Il cesse de travailler avec BlogBang en 2009 après un an de collaboration.
Les blogs des années 2000 ont pour l’essentiel disparu de la surface d’Internet au profit des médias sociaux où toute une population tente de tirer des bénéfices sonnants et trébuchants du système. « Là où nous avions une sorte de pudibonderie à ne pas accepter d’argent à nos débuts, la nouvelle génération, elle, fait des deals, mais comme nous, ces influenceurs sont en fait des linéaires pour les marques, seule l’échelle a changé, nous sommes passés de l’épicerie de quartier au supermarché », témoigne l’auteur de T’ar ta gueule à la récré.
Pas dupes. Emmanuelle Patry porte un regard sans doute un peu plus attendri sur cette communauté, estimant qu’on ne « parle pas assez de la partie créative de ce métier ». La spécialiste les compare d’ailleurs aux nouveaux talents de la musique qui ont émergé il y a une dizaine d’années grâce au web et plutôt qu’« influenceurs », elle préfère parler de « créateurs de contenus ». « Ce qui évolue, ce sont les supports », ajoute Emmanuelle Patry, et ce qui se lisait au pied des articles de blogs se retrouve désormais dans les commentaires des vidéos YouTube, avec une violence parfois démesurée. « Mais on oublie que ces créateurs font travailler des gens, qu’il y a tout un écosystème derrière. » Une industrialisation de l’influence.
Et celle-ci semble bien prospérer. Malgré une « question sur la baisse de l’influence » évoquée dans un récent article du Wall Street Journal, le quotidien américain souligne que les marques sont aujourd’hui bien engagées dans une course à la surenchère pour offrir les meilleures têtes de gondole à leurs produits. Plus de 500 000 dollars pour une célébrité aux millions de followers ! « Mais ce n’est pas de l’influence, c’est de la vitrine, rétorque Emery Doligé. Les ados ne sont pas dupes, ils savent qu’il s’agit de publicité, le véritable influenceur, personne ne le connaît. » Tout le contraire de ce que cherchent les réseaux sociaux.