Le président français a achevé dimanche son voyage en Côte d’Ivoire, un pays qui entre dans une année marquée par une élection présidentielle.
Les faits | Après une première journée passée à Abidjan, Emmanuel Macron a été accueilli dimanche par des milliers d’habitants de Bouaké, l’ex-capitale de la rébellion ivoirienne, avant de s’envoler pour le Niger où il est allé rendre hommage aux soldats de ce pays et préparer le sommet de Pau (le 13 janvier) sur la lutte antiterroriste au Sahel.
Dans une superbe robe verte à boutons dorés, Brigitte Macron a égayé samedi soir la piste de dance du dîner officiel au Palais des Congrès de l’Hôtel Ivoire à Abidjan. La Première dame s’est notamment déhanchée sur Premier gaou, le tube phare du chanteur Asalfo. Une chanson qui rappelle la gloire et les déboires amoureux des Ivoiriens naïfs en amour (les Gaou).
Ironie de l’histoire, le tube, sorti en 1999, rend un amical hommage à Guillaume Soro, l’ancien chef de la rébellion en rupture de ban avec le pouvoir, et à Charles Blé Goudé, l’ex-chef des patriotes ivoiriens en exil à La Haye dans l’attente de l’appel de son jugement par la Cour pénale internationale pour les crimes commis durant la crise post-électorale de 2011.
A l’époque, ces deux leaders étudiants militaient côte à côte dans les meetings de la Fédération estudiantine de Côte d’Ivoire (Fesci) avant de se brouiller, dans les années 2000, puis de se réconcilier dernièrement. Ils luttaient pour les droits politiques et Asalfo venait mettre une ambiance musicale entre deux prises de parole partisane. « Il y a aujourd’hui une forme d’insouciance, d’inconscience ou de naïveté à danser, dans ce contexte, sur un tube qui incarne la génération “cabri-mort’’, celle des sacrifiés du coup d’Etat de Noël (Ndlr : intervenu le 24 décembre 1999), lequel a vu les armes faire irruption sur la scène politique ivoirienne », explique Franck Hermann Ekra, fondateur à Abidjan du Lab’nesdem, laboratoire d’innovation et d’action publique.
Les analystes s’inquiètent de la tenue d’une présidentielle à « hauts risques » qui pourrait raviver les tensions communautaires et sociales
Vingt ans après le premier putsch de l’histoire de cette nation, prélude à une décennie d’affrontement politico-militaire, Alassane Ouattara termine son deuxième mandat à la tête du pays. La visite de son homologue français a été dénoncée par l’opposition qui y voit un soutien politique à un troisième mandat. La France s’en défend. « Le dialogue est ouvert entre les deux présidents sur ce sujet, explique l’Elysée. Le président Ouattara a dit que novembre 2020 sera l’occasion de passer la main à une nouvelle génération. Nous prenons acte de ses propos. La Côte d’Ivoire ne manque pas de ressources humaines au niveau politique, économique et culturel. »
L’Elysée assure qu’il sera vigilant concernant cette échéance sans « avoir d’inquiétude particulière » sur l’organisation d’un scrutin pour lequel « le gouvernement ivoirien a demandé une observation de l’Union européenne ».
Pourtant, les analystes s’inquiètent de la tenue d’une présidentielle à « hauts risques » qui pourrait raviver les tensions communautaires et sociales. L’opposition, interdite de manifester pendant la visite de Macron et jusqu’au début de l’année, rejette les conditions d’organisation de ce scrutin.
Retour de Soro. Lundi matin, Guillaume Soro, 47 ans, devrait embarquer à bord d’un vol privé au Bourget. L’ex-rebelle, aujourd’hui simple député après avoir occupé les fonctions de Premier ministre et président de l’assemblée de l’Assemblée nationale, doit rejoindre Abidjan après plusieurs mois passés en Europe. Il en a profité pour lancer son parti Génération peuple solidaire (GPS) et revient avec l’ambition d’en découdre.
« Ouattara ne peut plus être candidat, confiait-il récemment devant les journalistes français. Ouattara, c’est terminé. C’est le passé. On va le rappeler au pouvoir au moment opportun. » Et de critiquer le bilan du président ivoirien à compter du début de son deuxième mandat, en 2015. « Je me suis laissé bercer par ses discours sur la macroéconomie, prévient-il. La Côte d’Ivoire va brûler si rien n’est fait ! »
Selon les proches de Guillaume Soro, le pouvoir s’apprête à enrôler des étrangers sur les listes électorales pour gagner au premier tour en 2020.
« Guillaume Soro était notre allié, explique un des très proches collaborateurs de Ouattara. Il a perdu la bataille de l’héritage politique et s’agite beaucoup pour nous nuire. Notre président estime qu’il va finir par revenir dans la maison du père. Sur ce point, il se trompe ! »
Les partis d’opposition ont entamé des discussions en vue de constituer un front anti-Ouattara lors de la prochaine présidentielle. Ils avaient prévu de tenir un meeting ce week-end, interdit par le pouvoir.
A Abidjan et à Bouaké, le président français a surtout parlé de réconciliation franco ivoirienne et a relancé le partenariat sécuritaire incarné par la nouvelle académie internationale de lutte contre le terrorisme, prévue à Jacqueville près d’Abidjan. Il aussi beaucoup fait en matière de diplomatie sportive, culinaire, médicale et économique. « Cette diplomatie de connivence, dont l’imagerie d’Epinal et les mignardises sont les paravents d’une relation stratégique et sécuritaire, renforcera sur le continent l’effet de perception d’un retour au plus bel âge de l’arrogance française », poursuit Franck Hermann Ekra.
Loin de la lumière médiatique, les responsables de la Direction de l’Afrique et de l’Océan Indien du Quai d’Orsay ont, de leur côté, reçu samedi les représentants de l’opposition à l’ambassade de France à Abidjan. Ces derniers ont demandé l’aide de Paris pour faire pression sur le pouvoir ivoirien afin de faciliter le dialogue politique, la révision du fichier électoral, la réforme de la Commission électorale indépendante…