Les faits – Le Rwanda a rompu ses relations diplomatiques avec la Belgique et donné 48 heures à tous les diplomates belges pour quitter le pays en accusant son partenaire de soutenir la RD Congo dans le conflit qui se déroule à l’est du territoire congolais. Bruxelles a pris immédiatement des mesures de réciprocité : convocation du chargé d’affaires du Rwanda, expulsion de ses diplomates sous 48 heures et dénonciation des accords bilatéraux de coopération.
Paul Kagame a décidé d’aller à la rupture totale. Un coup de sang qui illustre son courroux à l’égard de la Belgique. Avant de rompre les relations diplomatiques, lundi, le dirigeant rwandais a attaqué très violement l’ancienne puissance coloniale lors d’un rassemblement à Kigali, la veille. Il l’accuse de « pris parti » pour Kinshasa, « bien avant et pendant le conflit en cours » à l’est de la RDC et pointe des « tentatives pitoyables de maintenir ses illusions néocoloniales ».
Il reproche encore aux diplomates belges de diffuser des mensonges, de manipuler leurs partenaires dans le but d’affaiblir son pays. Et voit leur main derrière la décision des Vingt-sept d’imposer des sanctions (interdiction d’entrée dans l’UE, gel des avoirs) à l’attention de plusieurs personnalités rwandaises, dont trois officiers supérieurs de l’armée – Ruki Karusisi, Eugène Nkubito et Pascal Muhizi – et le directeur général de l’Office rwandais des mines, du pétrole et du gaz, Francis Kamanzi.
Sanctions. Dès janvier, la Belgique demandait l’instauration de sanctions contre Kigali pour son soutien aux rebelles du M23 dans leur offensive à l’est de la RDC. Mais le Luxembourg s’y est opposé. Certains experts y voient l’influence de la France – à tort ou à raison – pour ne pas braquer Kigali et laisser la chance aux pourparlers de paix. L’UE a longtemps joué l’équilibrisme entre le Rwanda et la RDC. La Commission a même financé en fin d’année dernière l’armée rwandaise qui appuie les autorités mozambicaines dans leur combat contre les jihadistes dans la région de Cabo Delgado. La Belgique y était pourtant opposée.
« Les Belges vont à Kinshasa, pointent du doigt le Rwanda et disent qu’ils vont nous imposer des sanctions et mobiliser le monde contre nous, a expliqué dimanche Paul Kagamé. Ils n’ont aucune honte. Mobiliser le monde contre le Rwanda, un si petit pays ? Ils devraient nous laisser tranquilles ».
Paul Kagame est également revenu sur les frontières issues de la colonisation belge, accusant l’ancienne puissance tutélaire d’avoir amputé une grande partie du territoire rwandais au profit du Congo, lui donnant une superficie comparable à celle de la Belgique (soit 80 fois moins que la RDC). Le Rwanda se sent à l’étroit. Son économie aussi.
Pour l’éditorialiste Béatrice Delvaux, du quotidien belge Le Soir, cette rupture des relations diplomatiques avec un pays ami est un fait rarissime dans l’histoire de la politique étrangère belge. Elle rappelle « aux Belges les derniers mois du président congolais Mobutu qui faisait porter au gouvernement belge d’alors la responsabilité de ses propres errements, précipitant ainsi la fin de son long règne », selon la journaliste.
Réciprocité. A Bruxelles, la majorité des politiques belges ont soutenu la prise immédiate de mesures de réciprocité à l’égard du Rwanda, annoncées par Maxime Prévot, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères. L’est du Congo s’est imposé naturellement dans les débats de campagne électorale au fil du temps.
Actuel président du Parlement bruxellois, Bertin Mampaka a été élu conseiller communal à la Ville de Bruxelles en 2000, puis député de 2004 jusqu’à aujourd’hui, en partie grâce au vote des Belgo-congolais. Lui-même d’origine congolaise, il avait dénoncé en 2004 la présence du rebelle Laurent Nkundu, que l’on disait à la solde du Rwanda, à Bukavu, à l’est de la RDC. Et avait interpellé Louis Michel, alors ministre des Affaires étrangères, sur la position du gouvernement belge face à cette conquête territoriale.
Figure incontournable du Mouvement réformateur (MR, parti libéral), Louis Michel a toujours affiché une grande proximité avec Paul Kagamé tout en étant un amoureux du Congo. Il deviendra ensuite Commissaire européen, député européen, et aidera son fils, Charles Michel, dans son ascension politique : Premier ministre belge, puis président de la Conseil européen jusqu’en décembre dernier.
Louis Michel s’est historiquement impliqué dans les crises à l’est du Congo. Il avait convaincu le dirigeant rwandais de faire pression sur Laurent Nkunda pour qu’il retire ses rebelles. L’influence au sein de l’UE de celui que ses compatriotes appellent affectueusement « big loulou » a toujours permis d’éviter les sanctions contre le Rwanda.
Au sein de l’appareil européen, l’ex-haut représentant pour les Affaires étrangères, l’espagnol Josep Borrell, a aussi souvent refreiné les ardeurs contre le Rwanda. Or, il n’est plus là. Son successeur, l’estonienne Kaja Kallas, ne manifeste pas d’engouement particulier pour l’Afrique et n’a pas l’âme d’une « protectrice », concentrant majoritairement ses efforts sur l’Ukraine.
Minerais critiques. Les hommes d’affaires belges ont des intérêts dans les mines et lorgnent aujourd’hui sur les minerais critiques. Cela constitue un lobby défavorable au Rwanda. L’autre raison est politique. « Paul Kagamé a perdu la bataille d’influence auprès des afro-descendants en Belgique, considère Bertin Mampaka, actuellement député. Cette génération, en quête d’identité et parfois frustré de pas briser le plafond de verre sur le plan économique et social, a pris conscience de sa force ».
Une myriade de petites associations lancés par des Congolais, pour qui la terre promise reste la RDC même si beaucoup d’entre eux ne l’ont jamais vu, se mobilise contre le Rwanda à travers le collectif About Congo, la Coalition RDC ou le CNCD-11.11.11, rassemblement d’ONG. Ces militants ont trouvé dans la défense territoriale de la RDC l’expression d’un nouveau combat.
« Ils occupent le pavé, manifestent du “lundi au lundi”, se massent devant l’Union européenne pour réclamer des sanctions, qu’il vente qu’il neige ou qu’il pleuve, et nous interpelle en tant qu’homme politique belge en nous envoyant des vidéos des cadavres de Congolais jonchant les rues de Goma », poursuit Bertin Mampaka.
La loi du nombre joue aussi beaucoup. Dans la région Bruxelles capitale, il y a 500 000 votants sur les listes électorales dont 50 000 sont originaires d’Afrique subsaharienne et 70 % sont des descendants de RDC. Outre Mampaka, le parlement fédéral et de la région Bruxelles Capitale comptent aujourd’hui plusieurs autres élus d’origine congolaise : Pierre Kompany, Lydia Mutyebele, Gladys Kazadi.
Les Rwandais se comptent par milliers mais sont divisés entre rescapés tutsi du génocide et réfugiés hutu. Beaucoup de Rwandais sont aussi retournés dans leur pays d’origine pour participer à l’essor économique.
« Paul Kagame a perdu le bras de fer diplomatique en Europe mais il a gagné la bataille militaire sur le terrain et politique en Afrique, confie l’une de ses visiteuses régulières. Les armées africaines ont retiré leurs troupes de l’est de la RDC et le président congolais est contraint de négocier avec les rebelles du M23, ce qu’il s’était toujours refusé à faire ».