Le phénomène des « congés scolaires anticipés » qu’entendent s’octroyer des élèves à la date de leur choix, a pris cette année une tournure dramatique. Trois élèves ont été tués au cours d’affrontements. Pour le Dr Koualkou Albert Yao, les ressorts de cette violence ne sont pas inhérents à l’espace scolaire, mais il existe des solutions pour la résorber.
Un élève de troisième a été tué mercredi 4 décembre à Anyama, dans la banlieue nord d’Abidjan. Le lundi suivant, c’est à Daloa, dans le Centre-Ouest, qu’un élève de Terminale a été tué avant que, mercredi, un élève de seconde d’un lycée de Dimbokro, dans le Centre, ne meurt à son tour.
« Depuis le 5 décembre, l’école ivoirienne est secouée par des violences orchestrées », a accusé mercredi Kandia Camara, la ministre de l’Education nationale, de l’enseignement technique et de la formation professionnelle Kandia Camara, qui met en cause « certains élèves (qui) ont décidé eux-mêmes de la date des congés » et s’emploient à l’imposer par tous les moyens à la fois à administration scolaire, mais aussi aux autres élèves.
Un phénomène qui perdure, en dépit des mises en garde du gouvernement, des séances de sensibilisation et de l’indignation de l’opinion.
Le sociologue Dr Koualkou Albert Yao, spécialiste des questions d’éducation et enseignant à l’Université Jean Lorougnon-Guede, décrypte pour Jeune Afrique ce phénomène et émet une série de propositions pour mettre fin à ces violences.
Jeune Afrique : Quelle est l’origine des ces « congés scolaire anticipés », qui a pris un tour dramatique cette année, avec la mort de trois élèves ?
Dr Koualkou Albert Yao : Cela fait plus d’une décennie que les cours sont arrêtés dans les établissements d’enseignement secondaires publics par des élèves, sous le prétexte que ceux-ci veulent aller en congé de Noël plus rapidement. Ce phénomène des « congés anticipés » de décembre a surgi dans l’espace scolaire dans les années 1990 et n’a ensuite pas cessé de prospérer.
Dans le courant des années 2000, des groupes d’élèves se réclamant de la Fesci (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, NDLR), parfois violents, déferlaient sur des établissements publics et privés pour forcer l’administration et le corps enseignant à arrêter les cours avant la date indiquée pour les congés de Noël.
Quel est l’argument avancé par les élèves qui réclament ces congés anticipés ?
La raison principale réside dans l’écart entre l’arrêt des notes du premier trimestre et le départ définitif en congé de noël.
En effet, une semaine avant la date prévue pour les congés de Noël, nous assistons à l’arrêt des notes et au calcul des moyennes du premier trimestre. Une fois les notes arrêtées et les moyennes calculées, il n’y a pratiquement plus de devoirs notés, ni d’interrogations écrites, jusqu’au retour des congés.
Les élèves considèrent donc le temps entre l’arrêt des notes, le calcul des moyennes et la date de départ pour les congés de noël, comme du « temps perdu ». Ils estiment dès lors, selon une logique dont ils sont les seuls à détenir les clés, qu’ils ne peuvent attendre plus longtemps pour aller en congé.
Comment expliquer qu’un simple différend de ce type débouche sur des violences aussi importantes, sur des morts ?
Il y a d’autres raisons profondes qui expliquent ces perturbations scolaires, et qu’il faut chercher dans l’image que la Côte d’Ivoire elle-même renvoie à ses élèves : le non-respect et la non considération de l’autorité.
L’école est une institution sociale qui est régie par des lois. Elle a donc ses exigences, auxquelles tout citoyen désireux d’acquérir du savoir, devrait se conformer. Le respect de l’autorité n’est plus de mise à l’école : des élèves qui frappent des enseignants, des responsables d’établissements qui demandent aux élèves, parfois, de conspuer des enseignants…
En Côte d’Ivoire, l’école n’est plus forcément le lieu de production des compétences et de promotion du mérite.
Le non-respect de l’autorité explique aussi la persistance de ce phénomène de congés anticipés. Car, si les élèves avaient de la considération pour leur tutelle, ils se conformeraient au calendrier des congés scolaires.
Pourquoi les mesures arrêtées par le gouvernement ne semblent pas décourager les perturbateurs ?
Kandia Camara, la ministre de l’Éducation nationale a annoncé que « tous les élèves responsables des actes de violences seront radiés des écoles ». Mais cela ne semble pas décourager les élèves, parce qu’en Côte d’Ivoire, ce ne sont ni les mesures, ni les lois ou décrets qui manquent. Ce qui pose problème, c’est l’application effective des lois, décrets et mesures
Quelles solutions préconisez-vous pour enrayer ce phénomène ?
Selon moi, l’État doit régler un certains nombres de choses. Dans un premier temps, il doit faire voter une loi ou instaurer une mesure pénale en vue de sanctionner tous ceux qui provoqueraient les congés anticipés.
Il faut également assainir l’environnement immédiat des établissements d’enseignements : la plupart cohabitent avec des buvettes, des « maquis », etc.
Autre mesure qui est à mon sens nécessaire : sécuriser l’accès des établissements scolaires, instaurer des passes d’accès à l’enceinte des établissements , de sorte que l’accès soit contrôlé et sécurisé. Il faut également instruire les élèves, dès le début de l’année, sur toutes les conséquences des congés anticipés.
Par ailleurs, les enseignants, en coordination avec les administrations des établissements, doivent programmer les devoirs communs durant la dernière semaine qui précède les congés.
De même, le ministère de tutelle doit réduire l’écart entre la date de l’arrêt des notes, du calcul des moyennes du premier trimestre et celle des congés de décembre.
Enfin, il faut programmer les leçons qui feront l’objet de sujets aux examens pendant la dernière semaine précédant les congés de noël.