La question est posée alors que le décès de son Premier ministre et dauphin Amadou Gon Coulibaly bouleverse la stratégie de l’actuel chef de l’État.
« Pétition » de militants, appels de personnalités de son parti, « confidences » à un journal : une candidature du président Alassane Ouattara à sa propre succession pour un troisième mandat se dessine en Côte d’Ivoire après le brusque décès de son dauphin. « AGC était le dauphin désigné depuis longtemps par Alassane Ouattara. Sa proximité avec le président et sa totale loyauté étaient inégalées sur l’échiquier politique » décrypte un expert du pays. Surtout que le temps presse désormais. L’élection présidentielle n’est plus que dans trois mois, le 31 octobre. « Beaucoup craignaient la disparition prématurée d’Amadou Gon Coulibaly, mais il eût été indécent d’envisager un éventuel plan B ». La date limite du dépôt des candidatures est fixée au 31 août prochain, mais le recueil des parrainages citoyens, nécessaires à la validation de ces candidatures, a déjà débuté. Le temps du deuil semble s’être raccourci à mesure que les partisans se font plus pressent pour une candidature du chef de l’État sortant. « Soit le RHDP désigne un nouveau candidat, soit Alassane Ouattara se représente. La seconde option semble la plus probable, dans la mesure où elle était déjà sur la table au moment de la désignation d’Amadou Gon Coulibaly » poursuit notre source.
Un changement de contexte
Il faut remonter au 5 mars dernier pour comprendre les enjeux qui se profilent derrière cette éventuelle candidature du chef de l’État. Alors qu’il s’exprimait devant les parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale réunis en congrès extraordinaire, Alassane Ouattara, 76 ans, dont neuf passés à la tête de la Côte d’Ivoire, avait publiquement annoncé qu’il ne briguerait pas pour un nouveau mandat. « Je voudrais vous annoncer solennellement que j’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 […] et de transférer le pouvoir à une jeune génération. » Avant d’introniser son Premier ministre Amadou Gon Coulibaly comme candidat du parti au pouvoir, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Une décision unanimement saluée comme historique tant au sein de son parti que sur tout le continent et au-delà par la communauté internationale. « Je salue la décision historique du président Ouattara, homme de parole et homme d’État, de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle. Ce soir, la Côte d’Ivoire donne l’exemple », avait réagi le président français dans un tweet.
Certains cadres du RHDP avaient déjà fait savoir qu’ils seraient davantage rassurés par une nouvelle candidature d’Alassane Ouattara rappelant sa réélection confortable en 2015 dès le premier tour avec à 54,63 %.
Mais la mort inattendue du poulain du président sortant, à 61 ans d’un infarctus, le 8 juillet, a bouleversé ce scénario qui apparaissait bien huilé. Si le président change finalement d’avis, il trouvera sur son chemin un grand nombre d’obstacles. « Il va devoir assumer le fait de se dédire » mais « il avancera problablement un cas de force majeure et rappellera qu’il s’était bel et bien retiré comme promis » nous confie t-on sous couvert de l’anonymat.
Trouver les bons arguments
À peine les funérailles du Premier ministre achevées, deux dirigeants du RHDP ont pris position publiquement en faveur d’une candidature d’Alassane Ouattara pour un troisième mandat. « Le seul choix qui vaille, c’est que le président Ouattara reprenne le flambeau », a déclaré dimanche sur TV5 le directeur exécutif du RHDP et ancien ministre, Adama Bictogo. « Dès que le drame est arrivé (la mort d’Amadou Gon Coulibaly), la majorité des militants s’est retournée vers le président Ouattara. » « À trois mois de la présidentielle, il nous est difficile de sortir du chapeau un nouveau leader. Le président Ouattara reste le grand rassembleur », a estimé M. Bictogo sur RFI lundi.
Dans une lettre publique au président Ouattara dimanche, le porte-parole du RHDP, Kobenan Kouassi Adjoumani, l’a imploré « d’accepter le sacrifice d’être candidat ».
« Le regard des militants se tourne inexorablement vers vous et vous seul » pour « redonner (aux militants) l’espoir que la disparition d’Amadou Gon leur a arraché ». « Il n’y a que votre candidature qui puisse à nouveau rassembler toute la grande famille du RHDP » et « garantir la sécurité, la stabilité et la paix si chères à la Côte d’Ivoire et aux Ivoiriens », écrit-il.
Autre signal, les organisateurs non identifiés d’une « pétition » pour une candidature du président Ouattara, lancée sur les réseaux sociaux, qui seraient des jeunes proches du RHDP, affirment avoir obtenu plus de 700 000 signatures en sept jours. Un chiffre évidemment invérifiable.
Enfin, le chef de l’État a fait le 15 juillet une « confidence » au journal Jeune Afrique en indiquant devoir se présenter « pour préserver la stabilité du pays ».
« À l’heure actuelle, compte tenu des délais, je ne vois hélas pas d’autre solution pour préserver la stabilité du pays », a déclaré Alassane Ouattara, tout en précisant poursuivre sa réflexion, selon l’article de Jeune Afrique publié samedi. « Former la génération suivante n’est pas forcément un exercice portant sur un groupe de prétendants. Le concept de « dauphin » est très fort dans les cultures politiques africaines, au point d’avoir généré quelques pouvoirs héréditaires à peine camouflés en transitions démocratiques » explique ce chercheur qui connaît le marigot ivoirien depuis de longues années. « Dans le cas de la Côte d’Ivoire, la « formation » du successeur était en cours depuis longtemps. Or il ne reste que 3 mois avant la présidentielle » précise t-il.
Bataille constitutionnelle en vue
« La personnalité d’Amadou Gon Coulibaly s’était tellement imposée qu’il n’y avait pas de plan B, et on ne fabrique pas un nouveau candidat en trois mois », analyse le politologue Jean Alabro, interrogé par l’AFP. « Alassane Ouattara reste le liant du parti, mais il est embarrassé », estime cependant le politologue, d’une part car il avait promis de ne pas se représenter pour un troisième mandat, « ce qui relancerait les disputes constitutionnelles » sur son droit à le faire, d’autre part parce que son parti est affaibli.
L’analyste politique Sylvain N’Guessan souligne « les dissensions au sein du RHDP nées de la désignation d’Amadou Gon Coulibaly » comme dauphin, qui ont entraîné le départ de deux fidèles du président, a qui l’on prêtait des ambitions présidentielles, le ministre des Affaires étrangères Marcel Amon-Tanoh, puis le vice-président Daniel Kablan Duncan. « Il sera difficile pour le RHDP de trouver un candidat consensuel en dehors du président Ouattara », note encore Sylvain N’Guessan. De plus, le président a toujours laissé une fenêtre ouverte en disant que, si ceux de sa génération étaient candidats, il pourrait se représenter. »
C’est le cas, puisque l’ex-président Henri Konan Bédié, 85 ans, défendra les couleurs du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), principale formation d’opposition. Selon l’expert interrogé par Le Point Afrique « ce sera le moment de voir si l’un des partis d’opposition est en capacité de hausser le niveau du débat et de se lancer sur un projet de société, plutôt que d’ergoter sur la personnalité de l’adversaire ». Selon lui « la virulence des propos tenus sur les réseaux sociaux, et parfois même dans les discours tribuniciens, pourrait attiser les conflits. De ce point de vue, Amadou Gon Coulibaly aurait probablement été un facteur d’apaisement. »
Finalement, la surprise pourrait venir du côté du Front populaire ivoirien (FPI). Même si le parti espère toujours une candidature de l’ex-président Laurent Gbagbo, 75 ans, ce dernier est encore empêtré dans la procédure toujours en cours contre lui à la Cour pénale internationale de La Haye. Divisé et alors que seul Pascal Affi N’Guessan s’est déclaré candidat, le FPI a lancé ce lundi 20 juillet un appel à candidatures pour la fonction suprême. Les candidats intéressés ont une semaine pour se manifester au siège du parti au Plateau.
Et la communauté internationale ?
La communauté internationale préoccupée par la crise sanitaire du Covid-19 n’a pas encore montré de signes d’inquiétudes quand à cette actualité ivoirienne qui en a surpris plus d’un. On sait que la situation est délicate car le pays s’était tracé ces dernières années une trajectoire propre afin de tourner la page des années de crise. Mais la pression des groupes armés sur la Côte d’Ivoire est de plus en plus manifeste. Certains d’entre eux ne rêvent que de voir le pays a nouveau destabilisé. Début juin, une base des forces de sécurité ivoiriennes a été attaquée dans l’extrême-nord du pays, faisant 12 morts et 6 blessés . Pour l’heure, le risque terroriste n’a été localisé que dans la zone nord-est, coloriée en rouge par le Quai d’Orsay depuis décembre 2019 (la réserve de la Comoé), et le long des frontières ivoiro-malienne et ivoiro-burkinabè. « La situation sécuritaire n’a rien à voir avec celle qui prévaut au Burkina Faso, où un gros tiers du pays n’est plus sous contrôle de l’État. Pour autant les autorités ivoiriennes semblent avoir pris conscience des dangers depuis l’attentat de Grand Bassam (13 mars 2016). Des forces spéciales, déjà présentes lors de ce drame dont elles avaient contribué à limiter les dégâts, sont spécialement entraînées, en liaison avec les forces internationales » conclut sans être alarmiste ce fin connaisseur de la sous-région ouest-africaine.