Les tentatives précédentes ont changé les relations entre le Congrès et la présidence
Le conflit qui prend de l’ampleur entre la Chambre des représentants, dirigée par les démocrates, et l’administration Trump pourrait modifier l’équilibre du pouvoir entre le Congrès, la présidence et les tribunaux pendant des années.
Les trois précédentes tentatives de destitution présidentielle ont eu pour effet de remodeler et de redistribuer le pouvoir institutionnel à Washington, même si elles n’ont pas forcé le Président en place à quitter ses fonctions. Si l’histoire se répète, l’affrontement imminent entre la Chambre et le président Trump au sujet de ses interactions avec l’Ukraine aura probablement des répercussions bien au-delà de l’instant présent.
En 1868, l’échec de la destitution d’Andrew Johnson avait abouti à préserver la suprématie de la présidence dans la direction des affaires du pays. Moins d’une décennie après son acquittement lors du procès en destitution, le Congrès a abrogé la loi qu’il avait été accusé d’avoir violée. Après la démission de Richard Nixon en 1974, alors qu’il risquait d’être destitué, le Congrès a été habilité à adopter une série de nouvelles lois pour promouvoir l’éthique au sein du gouvernement — notamment de nouvelles lois sur le financement des campagnes électorales et la transparence gouvernementale, ainsi que la création d’un bureau du procureur spécial appelé conseil indépendant.
Après le procès pour impeachment de Bill Clinton, les élus des deux partis ont mis fin à la loi qui avait créé le conseil indépendant ; huit enquêtes menées par des avocats indépendants avaient émaillé son existence, dont celle de la destitution de Bill Clinton. Par la suite, de nombreuses autres réformes de l’époque du Watergate, notamment en matière de financement des campagnes électorales, ont été sapées par les tribunaux.
Quoi qu’il arrive dans l’enquête sur l’impeachment de M. Trump, des conséquences à long terme comparables — comme de nouvelles lois ou des décisions de justice — pourraient réorganiser les pouvoirs à Washington de façon minime ou majeure. Le tourbillon de luttes juridiques et constitutionnelles autour de la Maison Blanche remet au premier plan des questions concernant le pouvoir, les compétences et la légitimité qui n’ont jamais reçu de réponse définitive.
Pour le Congrès, ce qui est en jeu dans l’épreuve de force actuelle, c’est sa capacité institutionnelle à tenir pour responsable un Président.
« Les agissements du Président au cours des deux dernières semaines représentent un défi lancé à nos Pères fondateurs, un mépris total de leur sagesse et de la Constitution des Etats-Unis, a écrit la semaine dernière la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, à ses collègues démocrates. Le président Trump doit savoir que personne n’est au-dessus de la loi. »
Avant même d’ouvrir une procédure de destitution, les démocrates de la Chambre des représentants avaient fait appel à toute la force institutionnelle du Congrès pour enquêter sur M. Trump — en ayant recours une demi-douzaine de commissions pour examiner presque tous les aspects de son administration à la Maison Blanche, de sa campagne et de son empire commercial. Ils avaient délivré des assignations à comparaître, saisi les tribunaux et poursuivi des responsables gouvernementaux pour outrage après leur refus de témoigner.
Ces tentatives ont été bloquées à chaque fois, car M. Trump a remis en question la légitimité fondamentale de presque toutes ces enquêtes du Congrès. Des avocats représentant M. Trump ou l’administration ont contesté le pouvoir des parlementaires de demander de fournir des documents et de recueillir les témoignages de certaines personnes, affirmant qu’ils n’avaient aucun « objet législatif » et ne devaient pas être imposés par les tribunaux.
En réponse, la Chambre des représentants s’est engagée sur la voie judiciaire afin de tenter de faire exécuter certaines de ses citations à comparaître — une procédure qui avait déjà posé des problèmes au Congrès dans le passé.
En ce qui concerne l’impeachment, cependant, les démocrates qui dirigent la Chambre des représentants expliquent n’avoir que peu d’appétit pour engager une longue bataille judiciaire au sujet des citations à comparaître, affirmant qu’ils feront de la non-coopération une infraction passible d’impeachment.
Ils n’ont reçu presque aucun concours de la part des républicains de la Chambre, qui sont presque tous restés fidèles à M. Trump.
Et une déclaration de la Maison Blanche, la semaine dernière, a accusé les démocrates de « violer les libertés civiles et la séparation des pouvoirs, menaçant les fonctionnaires de l’exécutif de sanctions simplement pour avoir exercé leurs droits et prérogatives constitutionnelles. »
Jusqu’à un certain point, les Congrès antérieurs étaient parvenus à passer outre les considérations partisanes, surtout pendant le Watergate. Bien que M. Clinton ait largement réussi à garder son parti derrière lui, il avait aussi subi une poignée de défections de la part de représentants démocrates à la Chambre. En ce qui concerne le président Nixon, c’est la perte de l’appui des républicains, lors du scandale du Watergate, qui l’avait convaincu de démissionner.
Mais le clivage entre les partis est devenu plus strict, et les positions intransigeantes des deux côtés ont débouché sur un territoire constitutionnel inconnu au moment où la Chambre des représentants envisage d’utiliser le recours politique le plus lourd à l’encontre d’un président en exercice. Les démocrates ont laissé entendre que le refus de M. Trump de coopérer avec le Congrès constitue en lui-même une infraction recevable dans le cadre de l’impeachment, car il s’agit d’une entrave à l’enquête.
De plus, bon nombre des grandes questions constitutionnelles soulevées par l’affrontement entre M. Trump et la Chambre ont été portées devant la troisième branche des pouvoirs, les tribunaux. Les juges avaient rarement eu à répondre aux nombreuses questions que M. Trump et le Congrès leur ont posé dans le cadre d’une avalanche de contentieux sur tous les sujets, qu’il s’agisse des déclarations de revenus du Président ou de la nécessité pour les témoins de se présenter et de déposer.
Historiquement, le pouvoir judiciaire préfère éviter ce type de litiges, les considérant comme des questions politiques à régler entre responsables élus. En outre, le Congrès et le pouvoir exécutif ont par le passé, chacun préféré tenter de répondre aux demandes de l’autre plutôt que de les porter devant les tribunaux.
Mais de plus en plus de juges fédéraux sont appelés à trancher sur des questions concernant les relations entre le Congrès et la Maison Blanche et, dans certains cas, ils commencent à fournir des réponses.
Les tribunaux sont confrontés à un nombre croissant de questions. Les assignations à comparaître pour obtenir des témoignages et des documents de la part de fonctionnaires de l’exécutif devraient-elles être mises en œuvre, et comment ? Les documents du grand jury peuvent-ils être remis au Congrès ? Le Président est-il à l’abri des enquêtes criminelles pendant son mandat ?
Vendredi, une cour d’appel de Washington D.C. a statué que le Congrès avait le droit d’assigner le cabinet comptable de M. Trump à fournir huit années de ses dossiers financiers, une victoire pour les parlementaires bien que la décision sera probablement portée en appel devant la Cour suprême.
« En allant au tribunal, vous pouvez perdre et vous retrouver avec une décision judiciaire qui se retourne contre vous non seulement aujourd’hui, mais pour toujours. C’est un gros risque », explique Michael Gerhardt, professeur à la faculté de droit de l’Université de Caroline du Nord. M. Gerhardt avait témoigné devant le Congrès en tant qu’expert lors de la procédure de destitution de Bill Clinton et a récemment écrit un livre sur le sujet.
C’est ce qui s’est produit pendant le Watergate sur la question du « privilège exécutif » — une doctrine juridique qui permet à la Maison Blanche de ne pas divulguer des informations, afin de favoriser les discussions franches et sincères entre conseillers et de protéger la sécurité nationale.
Dans l’affaire « United States v. Nixon », qui a fait jurisprudence, la Cour suprême a statué que le privilège exécutif ne pouvait être invoqué pour retenir des informations demandées par un procureur enquêtant sur un crime. Cette jurisprudence a constitué un revers majeur pour l’administration Nixon, qui a ensuite confié à un procureur spécial les enregistrements préjudiciables des conversations. Mais cela n’a jamais réglé la question en ce qui concerne le Congrès, y compris au cours d’une enquête ou d’un procès de destitution.
Sous Nixon, le ministère de la Justice s’était penché sur la question en 1974 pour conclure que les jurisprudences sur le privilège exécutif et la destitution étaient « maigres, confuses et peu concluantes ». Le ministère avait fait valoir qu’un refus présidentiel de se conformer à une citation à comparaître du Congrès lors d’un procès de destitution pourrait déclencher « une confrontation constitutionnelle de très grande ampleur ».