« Il faut des funérailles pour les morts de Duékoué »
Les populations du Guémon, ont puisé dans l’univers traditionnel Wê, pour satisfaire au rituel de purification de leur fils, Éric Kahé Klohourou, le samedi 11 septembre 2021, dans le village de Fengolo. Un village rendu célèbre par la visite du président Henri Konan Bédié, en 1996. Une modernité naissante, un château d’eau, un centre de santé et une grande école primaire. Fengolo porte encore les stigmatiques des crises de 2002 et 2010. La destruction, par incendie, du foyer des jeunes construit par le président Henri Konan Bédié est un symbole palpable. Le village se présente sous trois visages. Les autochtones Guéré, et deux immenses « appendices » occupés par les allogènes Burkinabé et les allochtones Baoulé, Lobi et autres… L’ancien ministre de Laurent Gbagbo, Eric Kahé, président de l’Alliance ivoirienne pour la République et la démocratie ( Aird), qui a passé 10 ans en exil, a choisi ce village, pour abriter sa cérémonie. Il n’a pas fait de prison, à la suite de la crise post-électorale de 2010-2011. Mais, il reste le symbole du martyr vivant dans la région du Guémon.
Son domaine, à la sortie de Duekoué, route de Bangolo, qui couvre plusieurs hectares, héberge un complexe hôtelier, sa résidence, des appartements annexes, une ferme piscicole, des paons, un cheptel d’au moins 3.000 têtes de bœufs, a été totalement saccagé et pillé. « Le préjudice est énorme. Mais, Dieu m’a sauvé la vie. C’est l’essentiel », se console ce Mathématicien. C’est sur les ruines de son domaine qu’il a reçu ses nombreux invités. Les massacres de Duékoué -Carrefour, attribués à Amadé Ouerémi n’ont pas épargné sa famille. 22 morts, avons-nous appris sur place. C’est pourquoi, cette cérémonie de purification prend tout son sens. Et, les populations ont puisé dans les abimes de leur cœur pour s’exprimer. Comme pour conjurer le mauvais sort, le village de Fengolo, lieu de la cérémonie était pavoisé de blanc. Les populations, venues des villages de Bahé B, Glaou, Tchemesson, Pinhou, Lokosso, Gueyebly, Pan-Ouinlo, Nanandi, Tien-Oula, Guitrouzon, Niambly, Bagohouo, Guiglo, Bangolo, Facobly, Kouibly ect, dans un esprit émotionnel communicatif, ont célébré leur fils.
Des funérailles pour les morts de Duékoué
Certaines personnes ont versé des larmes. L’émotion était à son comble. C’est au son des cors, de tam-tams que, tout de blanc vêtu, cheveux grisonnants, le masque anti-Covid vissé sur le visage, Kahé Éric est accueilli à l’entrée du village. C’était l’émeute, car tout le monde voulait le toucher. Il parcourt à pieds, avec sa forte délégation composée d’élus et de cadres du Guémon et du Cavally, les 300 m qui mènent à l’espace public, dédié à la cérémonie. Le protocole et orientations de la cérémonie voulaient que tout le monde s’habille en blanc, suivant les valeurs traditionnelles Wê. Cette vision laisse entendre, dans ses dimensions spirituelles, que celui qu’on purifie est confié aux divinités du bonheur. Lequel bonheur rejaillira sur tout le village et débloquera toutes les énergies positives. Des dizaines de boubous traditionnels blancs (communément appelé Flaé) et un coq également blanc ont été offerts au ministre Éric Kahé, par les autorités traditionnelles, les gardiens des sacrés et les groupes sociaux. Le préfet de la Région du Guémon, Cissé Ibrahima s’est fait représenter, à cette cérémonie, par Tanoh Désiré, sous-préfet de Bagohouo. Éric Kahé a salué « un acte de haute portée républicaine ». Selon lui « les faiseurs de paix doivent être des hommes courageux ».
Le maire de Bangolo, Gaha Roger, le député Fpi-Gor, Youté Innocent, un représentant de Stéphane Kipré ainsi que plusieurs cadres du Guémon et du Cavally ont fait massivement le déplacement de Fengolo. L’ancien préfet de région, Séhi Gaspard, est revenu, largement, sur la vie politique du ministre Éric Kahé, insistant surtout sur sa fidélité à Laurent Gbagbo. « Tu as vécu 10 ans d’éloignement de ta terre natale. Il n’y a pas d’exil doré. Tu reprends la marche politique là où tu l’as laissée. Pour cette marche, nous serons avec toi. Nous restons fidèles à Laurent Gbagbo », a-t-il déclaré. Jeannette Koudou, sœur cadette de Laurent Gbagbo, présente à Fengolo, a dit qu’elle est venue apporter son soutien à « son fils et frère Éric Kahé ». « C’est Laurent Gbagbo qui m’a demandé de venir à cette cérémonie. Merci pour ta fidélité à la lutte. Merci pour ta fidélité à tes convictions politiques. Merci pour fidélité à la Côte d’Ivoire » a dit Jeannette Koudou, à l’endroit de l’ancien ministre. Au nom des « rescapés et les survivants de Duekoué » des crises de 2010, Mlle Doh Ulrich Tina a réclamé « justice et réparation pour les victimes ».
Lorsqu’il prend la parole, c’est pour distribuer, dans un premier temps, des remercîments « aux femmes dynamiques de Duékoué », à l’initiative de la cérémonie, au préfet de Duékoué « pour son esprit républicain’ » en se faisant représenter à « une cérémonie organisée par un opposant notoire au pouvoir en place », à Stéphane Kipré, président de l’Union des nouvelles générations ( Ung), à Dr Issa Malick Coulibaly et Jeannette koudou, qui lui ont été d’un apport vital dans son exil. Éric Kahé a avancé une idée inédite, sur la question des tueries survenues à Duékoué, lors de la crise de 2010. Il suggère des « funérailles » pour les morts de Duékoué, en ce sens que celles-ci auront une vertu apaisante des cœurs et ouvriront la voie à une réconciliation, entre les bourreaux et les victimes, entre le pouvoir et les populations. Car, pour lui, la réconciliation « n’est pas un acte de générosité, encore moins un acte de pitié. C’est un acte républicain ». « Il ne faut rentrer dans le cercle de la vengeance. Tournons-nous vers l’avenir », a-t-il martelé. Éric Kahé a mis à l’index le fait, pour les Guéré d’avoir tourné « le dos à la tradition et à l’organisation social », du fait « d’une mauvaise évangélisation » des peuples.
Il a stigmatisé la présence des Dozos en armes dans la région, invitant, instamment le gouvernement à y mettre fin. Il a, par ailleurs, salué l’action du chef de l’État et du Premier ministre Patrick Achi qui ont permis à Laurent Gbagbo de rentrer en Côte d’Ivoire. « Je suis allé en exil pour contribuer à la libération de Laurent Gbagbo. Une fois cette libération acquise, je me devais de rentrer », a fait valoir l’ancien ministre. Le peuple Wê, selon Éric Kahé n’est pas dans une dynamique de vengeance. Elle est totalement disposée à la paix. Mais, cela ne saurait passer par pertes et profits. C’est pourquoi, il invite le gouvernement à faire le pas vers cette réconciliation. « Le peuple Wê attend que le pouvoir lui tende la main ». L’ancien ministre a appelé à l’union des « Wê pour qu’ils soient forts ». Il entend y travailler, lui dont le « retour suscite », selon lui « beaucoup d’espoir ». Dans ce qu’il a appelé son « appel » de Fengolo », Éric Kahé y met, l’organisation des funérailles de Wê morts pendants les crises, la prise en charge par l’Etat de leurs enfants comme pupilles de la République, le désarmement des Dozos ». « Il ne faut pas balancer des pardons hypocrites » aux visages des victimes, pour espérer une réconciliation, a estimé Éric Kahé.
Armand B. DEPEYLA (Envoyé Spécial à Duékoué)