Antoine Glaser et Pascal Airault : « Emmanuel Macron, non sans imagination, a tenté d’élargir ses zones d’influence pour encore peser dans une Afrique mondialisée et de plus en tournée vers la Chine, la Turquie, l’Inde… »
« Joyeux anniversaire, monsieur le Président », chantent en chœur les musiciens du groupe Magic System derrière leur leader, A’salfo. A pas lents, ils s’avancent vers la table d’honneur, en procession après le chariot d’un énorme gâteau d’anniversaire, garni de quatre bougies blanches et deux bougies bleues, aux mèches vacillantes.
Emmanuel Macron se lève, visiblement un peu gêné. Les deux premières dames, Dominique Ouattara et Brigitte Macron, l’accompagnent et l’aident à souffler ses bougies. On est le 21 décembre 2019 et le président français fête, à l’insu de son plein gré, son quarante-deuxième anniversaire dans l’imposante salle des congrès de l’hôtel Ivoire à Abidjan.
Un geste aussi politique que musical. Emmanuel Macron pouvait-il échapper à cette scène plutôt familiale en Côte d’Ivoire, cœur de la « Françafrique » durant plusieurs décennies ? Même avec un petit médaillon du général de Gaulle sur son bureau, Emmanuel Macron a tout à apprendre de l’Afrique francophone quand il s’installe à l’Élysée le 14 mai 2017.
Ce ne sont pas les quelques mois qu’il a passés en 2002 au Nigeria comme stagiaire de l’ENA qui l’ont préparé à appréhender l’ambiguïté des relations de l’ex pré carré avec l’ancienne puissance coloniale. D’autant qu’il entend ouvrir un nouveau cahier d’Histoire… Pour son premier voyage présidentiel en terre africaine (hors déplacements sécuritaires), le 28 novembre 2017 au Burkina Faso, Emmanuel Macron prend la posture de l’imprécateur, celui qui dénonce le système ancien de la « Françafrique » dont il ne se sent pas comptable.
Devant les étudiants burkinabés, qui avaient déboulonné au mois d’octobre 2014 le président Blaise Compaoré, l’un des principaux alliés de la France dans la région, le « jeune » Emmanuel Macron joue de la solidarité générationnelle.
Deux mois plus tôt, Emmanuel Macron a tendu la main à Paul Kagamé lors d’un long tête à tête en marge de sa participation à sa première assemblée générale de l’Onu. Objectif : obtenir la neutralité du dirigeant rwandais, qui va prendre la présidence de l’Union africaine, en échange d’un appui à sa réforme de l’organisation.
Pragmatiques. Les deux hommes, pragmatiques, adoptent même une feuille de route et une méthode de travail pour avancer des sujets d’intérêt commun comme la digitalisation de l’Afrique, l’accès à la santé, le développement économique… La clôture du procès sur l’assassinat du président Habyarimana, dans lequel des proches de Kagamé étaient visés, permettra d’ouvrir ensuite un travail mémoriel et de réattirer le Rwanda dans la Francophonie en confiant les rênes de l’institution à Louise Mushikiwabo, cette très proche de Kagamé, avant une réconciliation programmée prochainement lors du voyage de Macron à Kigali.
Après le déplacement Ouagadougou, le chef de l’Etat enchaînera sur une étape à Abidjan pour le sommet Union européenne-Union africaine avant de terminer son voyage au Ghana anglophone, pour célébrer le bon élève démocratique et économique du continent.
Le chef de l’Etat, non sans imagination, a tenté d’élargir ses zones d’influence pour encore peser dans une Afrique mondialisée et de plus en tournée vers la Chine, la Turquie, l’Inde…
Cette annonce d’une nouvelle relation entre la France et l’Afrique a toutefois vieilli à mesure que rougissaient les « cartes de conseils aux voyageurs » du Quai d’Orsay, interdisant aux ressortissants français de séjourner dans la région. Emmanuel Macron a dû se réinvestir sur le dossier sahélien pour sortir du bourbier. Héritier de la guerre de regime change en Libye et de ses conséquences sur la détérioration sécuritaire de toute la région, Paris doit composer avec les sécurocrates du continent, comme Idriss Deby, pour éviter l’effondrement des pays de l’ex pré carré.
Abidjan est une base logistique de l’Opération Barkhane et un allié économique avec lequel le chef de l’Etat va négocier la réforme du Franc CFA. Avant de devenir chef des armées, le candidat à la Présidence de la République avait pourtant manifesté sa volonté de ne pas enliser la France dans les sables chauds du Sahel. Au fil des rencontres à huis clos avec ses pairs africains, Emmanuel Macron a vite compris qu’il était piégé par les réalités sociopolitiques locales.
Une partie de la jeunesse épouse dorénavant l’idéologie jihadiste, souvent plus par opportunisme (salaire, statut social, possibilité de se marier) que par profonde conviction religieuse, même si Aqmi n’hésite pas à réactiver l’histoire du djihad toucouleur ou peul dans la région. La présence de camps de réfugiés est un nouvel espace de recrutement pour les terroristes. Le recours à des milices communautaires, substituts des armées locales, pour enrayer la menace ne fait souvent qu’aggraver les choses, celles-ci ne se comportant guère mieux que les terroristes.
Politique du scalp. La France se charge souvent de l’élimination des terroristes à la place des armées africaines. Une politique du « scalp » aux effets limités.
« En Afrique, nous, on fait le business, et la France assure la sécurité. » Cette boutade de fin de déjeuner, entendue de la bouche de diplomates européens, n’est pas sans fondement. L’image de la France en Afrique francophone s’est dégradée, à la consternation des milieux d’affaires français. Emmanuel Macron tente de changer la donne en s’investissant, hors du pré carré, dans les grandes économies du continent : Égypte, Nigeria, Éthiopie, Angola, Afrique du Sud…
Il déploie une nouvelle approche en snobant parfois les pouvoirs politiques locaux pour ne s’adresser qu’aux hommes d’affaires. Au Nigeria, il drague ouvertement les milliardaires… Mais ces grands industriels sont déjà totalement mondialisés avec pléthore de nouveaux partenaires (Chine, Turquie, Israël…). De plus, à l’exception notable du groupe Total, le potentiel des investisseurs français s’est réduit comme une peau de chagrin. Finis les monopoles postcoloniaux de la guerre froide. Seuls survivent, plutôt bien, les pater familias implantés de longue date avec des réseaux personnels dans les cercles de pouvoir, à l’instar de Vincent Bolloré, Martin Bouygues, Pierre Castel, Robert Fabre… L’Afrique et le capitalisme familial français font (encore) bon ménage.
Sans affect et sans liens intimes avec la génération de l’Afrique postcoloniale, Emmanuel Macron peut-il réellement conditionner ses relations avec les chefs d’Etat à des critères démocratiques ? Pas vraiment. Le drapeau de la realpolitik flotte d’autant plus haut que la France perd de l’influence sur le continent.
Aussi, le président innove-t-il par rapport à ses prédécesseurs en demandant aux Français d’origine africaine de s’investir dans sa nouvelle politique. En lieu et place du traditionnel sommet Afrique-France des chefs d’État, un Forum magnifiant les sociétés civiles africaines se tiendra ainsi en juillet 2021 à Montpellier, ville où l’université anime une chaire des diasporas africaines. Parallèlement au Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) qu’il a institué à son arrivée à l’Elysée, Emmanuel Macron ne cesse de coopter des personnalités emblématiques des relations avec l’Afrique, hors des structures et institutions attitrées.
Dossiers sensibles. Il leur confie des dossiers aussi sensibles que la restitution du patrimoine africain… Les têtes pensantes de cette politique sont d’anciens camarades de la promotion Senghor de l’ENA : Franck Paris, conseiller Afrique à l’Elysée, Jules-Armand Aniambossou, ancien coordonnateur du Conseil présidentiel et africain et ambassadeur en Ouganda et Aurélien Lechevallier, ancien conseiller diplomatique à l’Elysée et ambassadeur en Afrique du Sud.
Ils ont coopté des binationaux, républicains, avides d’une nouvelle relation. Sous l’étendard de La République en marche, quelques courageux Français d’origine africaine montent aussi au front. Ils ont brigué la députation dans des circonscriptions réputées difficiles. Eloignés des « premiers de cordée » du CPA, ils ont été élus par des électeurs de toutes origines, mais peinent à accéder à des postes à responsabilité au sein des institutions.
En France, ces personnalités chargées d’écrire un nouveau récit national avec l’Afrique sont souvent hors d’atteinte de « ceux qui n’ont pas les codes » dans les banlieues. Ce sont les activistes français d’origine africaine, souvent d’anciens exilés politiques, qui drainent l’audience. A travers les réseaux sociaux, ces derniers impulsent les ressentiments envers la France dans l’hexagone comme en Afrique. A l’approche de la présidentielle de 2022, Emmanuel Macron risque, par un singulier effet boomerang, de tomber dans le piège africain.