L’archevêque d’Abidjan a dit sa traditionnelle messe pour la paix, le vendredi 29 décembre 2017, à la faveur de la fin de l’année et du nouvel an qui commence. Le Cardinal Jean Pierre Kutwa, a saisi cette occasion pour relayer aux fidèles catholiques ivoiriens, le message, à l’orée du nouvel an, du Pape François axé sur le phénomène des migrations et ses effets déshumanisants. L’archevêque d’Abidjan est allé plus loin pour interpeller les Ivoiriens sur de nombreux maux qui menacent la cohésion et la stabilité. Ci-dessous, un large extrait de son adresse, une alerte!
L’invitation du Pape François à porter notre regard et notre attention sur la situation de ceux qui souffrent le plus de l’absence de paix dans le monde est celle qui m’autorise à jeter un regard sur la situation interne de notre pays. Comme vous le savez certainement, la Côte d’Ivoire, notre pays, est demeurée, pendant au moins trois décennies, un eldorado des étrangers et un pays symbole de l’intégration de populations diverses, venant notamment de la sous-région ouest africaine.
La politique migratoire menée en Côte d’Ivoire au début des indépendances avait hissé le pays aux premiers rangs des pays à très forte immigration en Afrique et dans le monde. Les chiffres qui l’attestent sont éloquents, qui montrent que durant trente années, cette politique migratoire a ouvert les frontières ivoiriennes à un nombre de plus en plus croissant d’étrangers venant notamment de la sous-région Ouest-africaine.
Cependant, il serait faux de penser que ces mouvements migratoires ne provenaient uniquement que des pays limitrophes de la Côte d’Ivoire. En effet, le pays a connu et continue de connaître encore aujourd’hui des mouvements de populations : ce sont des mouvements confondus des ethnies vers les villes d’autres régions ethniques et vers les campagnes d’autres groupes ethniques.
Les raisons de cette politique migratoire se fondaient sur le choix d’un système économique ayant recours à une forte main d’œuvre. Par ailleurs, les capacités des milieux géographiques à offrir du champ au développement de ce système, l’offre d’accès illimité faite aux ressortissants de pays frères, la volonté étatique de construire une communauté nationale dépassant les particularismes ethniques et, enfin, le succès financier de l’économie de plantation expliquent en partie l’effectif de ces migrations.
Tout ceci a fini par faire de notre pays un melting-pot avec en sus, une soixantaine de langues autochtones. Cela ne va pas sans poser de problèmes en termes de multiplication des conflits entre les autochtones et leurs hôtes. En d’autres termes, d’une situation calme, d’acceptation et de respect mutuels, l’on est passé à une phase d’insécurité latente ou le moindre geste de la part de l’autre est mal interprété, où la moindre faute et le moindre petit commentaire deviennent souvent sources de conflits.
On peut donc trouver de nombreuses raisons de réfléchir sur ce pays. On en dit parfois trop comme si brusquement tous les maux d’Afrique s’étaient cristallisés en ce pays ; parfois on n’en dit pas assez, parce que les problèmes sont plus complexes qu’ils ne paraissent et appellent souvent des analyses plus approfondies.
En le disant, je pense à la situation sécuritaire dans notre pays et particulièrement à l’ouest, où les déplacements de populations qui fuient les atrocités sont devenus presque monnaie courante ! S’il nous faut reconnaître que beaucoup de choses ont été faites en matière de sécurité, le constat est qu’aujourd’hui encore, trop d’armes circulent dans notre pays et menacent dangereusement la paix et la sérénité de nos populations! Les attaques répétées à mains armées, les braquages, le phénomène des coupeurs de routes, des enfants en conflit avec la loi,(dits microbes) ne sont pas de nature à créer la paix mais bien à engendrer les situations de déplacements des populations, toute chose que nous réprouvons !
Peut-on passer sous silence, comme situation qui menace la paix, la question toujours récurrente du foncier rural, véritable épée de Damoclès sur nos têtes ? Par le passé, le code foncier de 1998 avait semblé donner un début de solution. Comment en sommes-nous arrivés à la situation qui est le nôtre aujourd’hui et qui divise même des enfants d’une même fratrie ? Nos vies ne valent-elles pas plus que les revenus de la terre ? Que faisons-nous de ces revenus ?
Puis-je me permettre d’insister aussi sur l’épineuse et délicate question des exilés, des prisonniers sans jugement, de l’école ivoirienne et de ses débouchées ? Que dire de la croissance dont les effets semblent ne pas être partagés? Je ne le dirai jamais assez que notre monde est toujours déchiré par les passions de toutes sortes : la cupidité, l’envie, l’emportement, la haine, la lutte des classes, la lutte pour le pouvoir et le refus primitif de tout compromis érigé en principe de vie, sont et seront toujours sources de conflits ! Si nous voulons être crédibles aux yeux des générations futures, nous devons comprendre que l’unité s’impose pour raffermir la crédibilité de notre pays qui marche vers l’émergence que nous appelons de tous nos vœux !
Frères et sœurs,
Puisque l’on ne détruit pas ce que l’on aime pour assouvir son égoïsme, et si vraiment nous aimons la Côte d’Ivoire, notre beau pays, si nous sommes réellement conscients que le destin de notre nation est dans nos mains à tous, alors ne sacrifions pas l’avenir lumineux de notre patrie sur l’autel de nos ambitions personnelles, qui divisent et qui portent en elles, des situations confligènes.
Oui, la Côte d’Ivoire notre pays n’appartient à personne en propre ! Elle appartient à tous ceux qui veulent la construire, des plus illustres aux plus inconnus. Elle appartient à tous ceux qui veulent la voir rayonner dans la justice et la tolérance, dans la patience et la sérénité, dans l’amour et la prospérité, et enfin dans la paix, celle que Dieu propose à tous les hommes de bonne volonté,aujourd’hui,demain et dans les siècles des siècles. Amen!
+Jean Pierre Cardinal KUTWÃ, Archevêque Métropolitain d’Abidjan
Source : l’infodrome.com