Avec son homologue ghanéen Nana Akufo-Addo, le président français Emmanuel Macron ouvre le débat avec les diasporas africaines jeudi 11 juillet 2019 à l’Elysée.
Achille Agbe, jeune entrepreneur franco-ivoirien, est le fondateur d’EIC Corporation, une plateforme d’inclusion économique et financière, tournée entre autres vers les Africains de la diaspora.
Franceinfo Afrique : comment avez-vous été contacté pour prendre part à la rencontre « Parlons d’Afrique » ?
Achille Agbe : par les services de l’Elysée. Depuis une dizaine d’années, nous menons des actions à destination des diasporas africaines. Nous avons déjà formulé des recommandations auprès du Quai d’Orsay et de l’Assemblée nationale par le biais de nos différents partenaires. EIC Corporation travaille essentiellement sur les questions liées à l’éducation, à la promotion des investissements et aux diasporas.
Qu’attendez-vous de cette rencontre avec les présidents Emmanuel Macron, qui en est à l’origine, et son homologue ghanéen Nana Akufo-Addo ?
Enormément. Je ne vais pas revenir sur toute la charge négative liée à la « Françafrique », à ce lourd passé des relations franco-africaines. Le président Macron travaille à faire évoluer cette situation et quand on s’adresse au secteur privé, c’est pour savoir comment un nouveau cadre de coopération pourrait se mettre en place et quel rôle la diaspora pourrait y jouer. Pour nous, qui attendons un renouveau de ces relations franco-africaines, c’est l’occasion de poser clairement nos problématiques et de proposer les solutions déjà trouvées.
Que mettez-vous en avant dans le cadre de ce dialogue ?
D’abord, ce que notre organisation fait pour les diasporas et ensuite nos priorités. Notamment l’éducation (financière, économique et entrepreneuriale) parce qu’elle résout de nombreuses autres questions comme l’inclusion financière (donner accès à tous à des services financiers de base, NDLR).
En tant que membre de la diaspora, quelles mesures concrètes vous tiennent à cœur ?
La réduction des frais pour les envois de fonds, la promotion des places financières africaines (23 au total), l’émission par chaque Etat africain d’emprunts obligataires ou bons du Trésor à destination des diasporas africaines pour les financements des projets PPP (Partenariat public-privé), la digitalisation du droit des affaires en Afrique pour sécuriser les investissements de la diaspora…
En quoi l’Etat français est concerné ou peut être utile, par exemple, dans la promotion de places financières africaines ?
Nous sommes dans un cadre de coopération économique. Il s’agit de l’Europe où se retrouve plus de la moitié de la diaspora africaine, avec la France qui vient en pole position. Paris peut jouer un rôle tout simplement au niveau de sa diplomatie. Elle peut mettre en avant nos recommandations auprès des Etats africains en utilisant les canaux diplomatiques. Les diasporas seront ainsi écoutées et pourront être davantage investies dans le développement de leurs pays. Nous ne voulons plus de cette relation où la France fait des dons, c’est une époque révolue !
La France a une politique africaine et nous voulons faire savoir ce que nous en attendons en tant que diaspora africaine. Nous souhaitons que Paris fasse la promotion de toutes nos recommandations auprès des pays africains. Ces dernières ne viendraient pas de l’Elysée, ce qui ressemblerait à la « Françafrique », mais des acteurs qui sont sur le terrain. C’est le message central. Ces recommandations transformées en politique structurante permettront à la diaspora de jouer son rôle de moteur de l’économie et de la croissance africaine. C’est ainsi que la politique a du sens.
Que peut faire la France pour agir sur le coût des transferts d’argent ?
Le marché du transfert d’argent est dominé par deux géants américains que sont Western Union et Moneygram. Cela dit, au niveau de la France, il y a des technologies, comme celle du blockchain, qui permettraient aux frais de transfert d’être réduits. La France, justement, a voté la loi Pacte qui intègre cette technologie. Par exemple, Paris pourrait suggérer qu’il y ait un cadre pour cette technologie au niveau des Etats africains dans un premier temps et derrière, des acteurs du privé africain pourront mettre en place des solutions qui contribueront à la baisse de ces frais. Nous n’attendons pas de propositions de la France parce que ce n’est pas ce dont nous avons besoin. Nous avons plutôt besoin d’une diplomatie qui fait office d’accélérateur, parce que la diaspora a des solutions puisqu’elle travaille déjà sur toutes ces questions.
Les Africains de la diaspora attendent quelque chose d’autre de la France, différente de la « Françafrique » certes, mais considèrent que Paris reste un pilier du dispositif de par son pouvoir diplomatique. C’est une nouvelle ère de la « Françafrique » dominée par la société civile qui se dessine alors ?
On peut voir les choses de cette façon, mais cette approche doit être nuancée parce qu’il y a, aujourd’hui, de gros enjeux géopolitiques. L’Afrique est sollicitée de toutes parts : les Américains, les Asiatiques, les Européens, les Russes… Ce qui est grave et pose problème, c’est que toutes ces puissances veulent devenir des membres de l’Union africaine. La réciproque n’est pas vraie pour les Africains. Nous, acteurs économiques et financiers, citoyens de base qui ne sommes pas des décideurs publics, ne comptons pas laisser la politique politicienne à nos dirigeants.
En tant que société civile, nous souhaitons mettre en avant ce que nous apportons et c’est du concret. C’est une nouvelle forme de la « Françafrique », comme vous dites, qui est tournée vers le secteur privé. En d’autres termes, il s’agit d’établir un nouveau cadre de coopération d’égal à égal avec les acteurs qui font la vie économique. Car, c’est nous qui subissons les décisions politiques d’où qu’elles viennent. C’est une rencontre politique, parce qu’elle se déroule à l’Elysée. Et en politique, on définit plutôt des cadres macroéconomiques pour, par exemple, l’éducation, le financement, la technologie, la culture…
Quand on met en place un cadre, ce sont les acteurs du privé qui s’en saisissent. Nous ne pouvons pas agir dans un environnement qui n’est pas structuré. C’est généralement le problème de l’Afrique. Vous demandez à un citoyen de la diaspora d’investir au Cameroun ou au Gabon, il vous répondra qu’il ne veut pas y aller parce qu’il n’a pas confiance. La puissance régalienne peut résoudre ce type de problèmes et c’est ce qu’on attend de nos autorités. La diplomatie a ici tout son sens parce que ce n’est que par ce biais que nous pouvons provoquer les changements espérés. Je ne peux pas appeler directement le président ivoirien par exemple pour lui soumettre mes préoccupations. User de cette voie diplomatique est ce qui nous est proposé ici et c’est exactement ce que nous attendons de la politique étrangère française en ce qui concerne l’Afrique.