Six mois après l’incendie de la cathédrale de Paris, une société exploitant des arbres submergés dans le lac Volta est candidate pour fournir le bois de la future charpente.
C’est du fond des eaux du lac Volta, au Ghana, que pourrait provenir le bois utilisé pour la reconstruction de la charpente de Notre-Dame de Paris, partie en fumée il y a six mois. Voilà, en tout cas, ce qu’espère l’entreprise Kete Krachi Timber Recovery (KKTR), dont la scierie se trouve à Sedorm, un modeste village ghanéen bordé par le lac, à une trentaine de kilomètres du barrage d’Akosombo.
« Si l’édifice est reconstruit à l’identique, nous avons toutes nos chances de remporter le marché car nous disposons de bois de grande qualité et en quantité », s’enorgueillit de sa voix gutturale Francis Kalitsi, le cofondateur de KKTR, rencontré lundi 14 octobre. L’entreprise, fondée en 2018 et soutenue par le gouvernement ghanéen grâce au programme industriel One District One Factory (« un district, une usine »), gère l’exploitation des arbres submergés par le lac Volta. Réservoir d’eau artificiel d’une superficie de 8 500 km² (soit 4 % du territoire du Ghana), il permet d’alimenter le barrage d’Akosombo, construit dans les années 1960. A sa création, quelque 2 millions d’arbres, certains plusieurs fois centenaires, ont été inondés, mais demeurent visibles à la surface des eaux.
L’entreprise fait valoir des conditions de conservation optimales. « Le manque d’oxygène et les éléments acides des tourbières ont préservé les troncs de la décomposition, souligne Zane Frost, responsable des opérations de KKTR. L’arbre s’est également délesté d’une partie de son sucre, ce qui le rend moins attirant pour les insectes. »
La charpente de Notre-Dame, détruite lors d’un incendie le 15 avril, avait nécessité au XIIe siècle la coupe de quelque 1 300 arbres, principalement des chênes. Aujourd’hui, des bois d’une telle maturité et aussi résistants ne sont pas si faciles à trouver en France. « Les arbres que nous utilisons, des irokos, ont des caractéristiques identiques à celles des chênes avec une densité d’environ 650 kg par mètre cube », souligne Francis Kalitsi.
« Marché de 50 millions de dollars »
Sur des plateformes, de grosses machines coupent les arbres environ 7 mètres en dessous du niveau du lac. Disposés sur une barge, les troncs sont ensuite ramenés sur le site de Sedorm, où plusieurs dizaines d’employés s’affairent à la taille des bois sous un hangar. La société, qui emploie 90 personnes, vend principalement en Chine, en Europe et aux Etats-Unis. KKTR dispose d’une concession de vingt-cinq ans pour l’exploitation des arbres du lac Volta. Elle espère beaucoup du chantier de reconstruction de Notre-Dame pour lequel elle s’est officiellement portée candidate. « Nous estimons que la charpente représente un marché d’environ 50 millions de dollars [45 millions d’euros] avec la coupe d’environ 1 500 arbres, ce qui serait notre plus grande commande. Mais avec notre capacité, nous serions capables de livrer en un peu plus d’un mois », avance Francis Kalitsi.
L’entreprise a aussi des contempteurs. Des ONG de défense de l’environnement s’inquiètent des conséquences d’une telle exploitation sur l’écosystème et pour les quelques dizaines de milliers de personnes qui vivent directement de la pêche dans le lac. « Nous ne dessouchons par les arbres, nous ne faisons que les couper, ce qui limite considérablement l’impact sur l’environnement, se défend Zane Frost. Et nous sommes en discussion constante avec les syndicats de pêcheurs pour expliquer notre démarche. »
La question de l’acheminement pose également question. Les locaux de l’entreprise ne sont accessibles que par une petite route de terre, impraticable les jours de pluie. Et KKTR a recours à des camions pour transporter les bois jusqu’au port de Tema, distant d’environ 90 kilomètres. « Mais, dans quelques années, une ligne ferroviaire va nous relier au port, ce qui va considérablement réduire notre empreinte carbone », affirme Zane Frost.
Les autorités françaises n’ont pas encore pris de décision sur la manière de reconstruire la cathédrale. « Il reste à savoir si nous allons refaire l’édifice à l’identique […]. Si nous refaisons tout à l’identique, nous gagnons un temps certain », déclarait, mardi, au micro de RTL Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques. « Nous sommes prêts si l’on nous passe la commande demain », sourit Francis Kalitsi.