Alors que le championnat local a perdu de son attractivité et que les clubs souffrent financièrement, le président de la fédération, Augustin Sidy Diallo, est sous le feu des critiques.
Dimanche 25 août, la Côte d’Ivoire a perdu son seul représentant en Ligue des champions de la Confédération africaine de football (CAF), mais au pays des Eléphants, l’élimination de la Société omnisports de l’armée (Yamoussoukro) par les modestes Mauritaniens du FC Nouadhibou n’a étonné personne. Les Ivoiriens ont pris l’habitude d’assister aux fins de parcours précoces des clubs locaux en Ligue des champions (C1) ou en Coupe de la confédération (C2), depuis le sacre de l’ASEC Mimosas (Abidjan) en 1998. Certes, ce dernier est parvenu à atteindre la phase de groupes de la C1 en 2016 et 2018, et le Séwé Sports de San-Pedro la finale de la C2 en 2013. Mais le bilan reste malgré tout très déficitaire.
Ce constat, Alain Gouaméné, ancien gardien de but des Eléphants (58 sélections), ex-joueur de l’ASEC Mimosas et de l’Africa Sports (Abidjan) et champion d’Afrique en 1992, le fait depuis des années :
« Le football ivoirien est en lambeaux parce qu’il est mal dirigé. Le principal problème est l’absence de politique de formation pour les jeunes. Hormis l’ASEC, qui dispose d’une académie reconnue, les clubs ne forment pas. Et comme il n’existe aucune compétition digne de ce nom pour eux, le gâchis est immense. D’ailleurs, si vous observez l’effectif de la sélection nationale, vous remarquerez que beaucoup sont soit binationaux [Zaha, Kodjia, Pépé, Gbamin, Traoré], soit arrivés très jeunes en Europe, où ils ont été formés[Cornet, Aurier]. Cela traduit bien les difficultés d’un pays au gros potentiel comme la Côte d’Ivoire. En gros, on mise sur les binationaux pour l’avenir de notre football ! »
« Où sont passés ces millions d’euros ? »
Augustin Sidy Diallo, président de la Fédérationivoirienne de Football (FIF) depuis 2011 (et qui n’a pas répondu aux sollicitations du Monde Afrique), est la cible d’une majorité de dirigeants de clubs. Ces derniers lui reprochent une attitude autocratique et, plus grave, une gestion opaque. « Sous ses mandats, la Côte d’Ivoire a disputé la Coupe du monde 2014, les Coupes d’Afrique des nations [CAN] 2012, 2013, 2015, 2017 et 2019. La FIF a touché de l’argent. Cet argent aurait dû profiter au football local. Or ça n’a pas été le cas », s’emporte Alain Gouaméné.
Sous couvert d’anonymat, un dirigeant de club de Ligue 1 rappelle que l’instance a notamment récupéré « près de 7 millions de dollars [plus de 6 millions d’euros]de la FIFA pour sa qualification à la Coupe du monde au Brésil, en 2014, et 1,3 million de dollars pour sa victoire à la CAN 2015. Et beaucoup d’argent liquide[5 millions de dollars, selon certaines estimations] est sorti sans justification. Où sont passés ces millions ? Certainement pas dans le développement du football local. »
Les clubs ivoiriens opposés à Augustin Sidy Diallo ont créé en 2017 un groupe dissident appelé GX, estimant que le président de la FIF n’est plus l’homme de la situation. D’après le dirigeant d’un club de première division, « l’équipe en place n’a pas les compétences pour mener à bien cette mission consistant à redresser notre football » :
« Le problème en Côte d’Ivoire, c’est que le pouvoir politique est trop lié à la gouvernance du football. Si Diallo est là, c’est surtout parce qu’il est très proche d’Alassane Ouattara, le chef de l’Etat. Il l’a aidé à se ravitailler quand, lors de la dernière guerre civile, Ouattara et ses partisans étaient bloqués à l’hôtel du Golf. Et Jacques Anouma, le prédécesseur de Diallo, était le directeur financier de Laurent Gbagbo. Les présidents de la FIF sont surtout choisis en raison de leurs affinités avec le pouvoir en place, moins pour leurs compétences et leur vision pour le football, même si sous Anouma la situation était nettement moins critique. »
« Le niveau a beaucoup baissé »
Le championnat ivoirien, autrefois considéré comme l’un des meilleurs du continent, n’intéresse plus guère les amateurs de football, qui se tournent plus volontiers vers les ligues européennes. La plupart des rencontres se jouent devant un public clairsemé et dans des stades vétustes. « Les gens ont du mal à se passionner pour des matchs joués sur de mauvaises pelouses. Le niveau a beaucoup baissé ces dernières années », confirme Benoît You, le directeur général de l’ASEC Mimosas.
Les clubs peinent à boucler leur budget et à proposer des salaires attractifs, car les droits télé sont modestes et la culture du sponsoring peu développée. Alain Gouaméné se souvient :
« Quand j’étais en activité, on pouvait gagner jusqu’à 1 500 euros par mois. Aujourd’hui, hormis quelques exceptions, à l’ASEC notamment, les salaires dépassent rarement 500 euros. Si Diallo et la FIF avaient bien fait leur travail, l’argent venu de la FIFA, de la CAF et du gouvernement aurait dû permettre d’améliorer les structures du football ivoirien, de rendre le championnat plus intéressant et d’attirer des joueurs étrangers. »
Pendant plusieurs années, la Côte d’Ivoire a été durement touchée par de violents événements politiques. Et tous les efforts, ou presque, ont été portés sur la sélection nationale, un des socles de la lente réconciliation nationale. Les opposants d’Augustin Sidy Diallo lui reprochent certains choix très personnels, comme la nomination de l’entraîneur belge Marc Wilmots, en mai 2017, avec un salaire mensuel de 50 000 euros, licencié sept mois plus tard ; une opération qui aurait coûté 800 000 euros à la FIF.
Salif Bictogo, président du Stella Club d’Adjamé (Ligue 2) :
« Les Elephants étaient la vitrine du pays au niveau international. Quand la stabilité est revenue, il aurait fallu en profiter pour relancer le football au niveau local. Le président de la FIF n’a pas de vision pour notre football, il est très difficile de communiquer avec lui, son bilan au niveau national est un désastre. Il est temps qu’il passe la main. Aujourd’hui, le football ivoirien a plus de moyens qu’avant, mais beaucoup moins de résultats. »
En décembre, la FIF élira son nouveau président. Augustin Sidy Diallo serait tenté par un troisième mandat, alors que d’anciens internationaux, tels Didier Drogba ou Bonaventure Kalou, envisagent de se présenter. « Il faut donner une nouvelle impulsion, une nouvelle gouvernance capable d’avoir un vrai projet pour l’avenir. Nous avons perdu beaucoup trop de temps, insiste Salif Bictogo. Drogba ou Kalou ne pourront rien faire seuls. Il faudra que le futur président soit entouré de gens compétents. »