« Ils sont complètement paniqués », rapporte ce député LR. Au lendemain du second tour des législatives, catastrophiques pour la macronie, Thierry Solère, le conseiller politique du chef de l’Etat à l’Elysée, l’a appelé pour le sonder. Serait-il prêt à rejoindre la – très relative – majorité ? Quelle sera sa position lors du vote qui pourrait suivre le discours de politique générale d’Elisabeth Borne le 5 juillet ? S’il a répondu par la négative à la première question, l’élu des Républicains a rassuré son interlocuteur sur le second : il s’abstiendra.
A gauche aussi, des coups de sonde ont été donnés par le camp Macron, dès le lendemain du premier tour. « On a 50 voix à aller chercher, résume un proche d’Emmanuel Macron, il faut ouvrir à droite et à gauche ». Il n’est plus temps de faire la fine bouche avec ceux qui n’ont pas appelé à voter Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle, ni même avec ceux qui ont « dit du mal du Président ». Il y a le feu au lac.
Depuis dimanche soir, la Première ministre est pendue au téléphone. Elle a appelé ses quinze ministres-candidats, parmi lesquels trois d’entre eux ont échoué dimanche soir, mais aussi différents représentants des partis politiques. Elle sonde les députés identifiés par l’Elysée et Matignon comme « constructifs », pour composer ce qu’Elisabeth Borne qualifiait dimanche soir de « majorité d’action ». Il manque à la coalition présidentielle Ensemble! 44 députés pour atteindre la barre des 289 et la majorité absolue.
L’exécutif a le choix. Soit il va chercher un accord de législature avec la droite, soit il tente de négocier des accords au cas par cas, texte par texte. Mais pour l’instant, LR (62 députés) ferme la porte à tout accord. Ni la droite ni la gauche n’ont intérêt à toper avec un Président affaibli. Toutes deux veulent se reconstruire dans la perspective de 2027. A quoi bon donner des gages à celui qui est condamné à quitter l’Elysée dans cinq ans ? Et puis d’ailleurs, « si Emmanuel Macron négociait avec les socialistes, il perdrait du côté des LR tout ce qu’il pourrait concéder aux socialistes, prédit une figure du PS. Il est bloqué. »
Le camp Macron est donc contraint de procéder à des débauchages individuels. Les « députés en l’air », selon l’expression d’un conseiller, sont la nouvelle cible de l’Elysée. Ils étaient au cœur des discussions du déjeuner qui s’est tenu lundi midi à l’Elysée autour d’Emmanuel Macron, en présence d’Elisabeth Borne, Edouard Philippe et François Bayrou.
Mais personne dans les rangs de la majorité ne s’attendait à devoir aller en chercher autant. « C’est le nombre qui fait problème », admet l’un d’eux. Revue des troupes dans le viseur des macronistes.
Les divers gauche cherchent à créer leur propre groupe
Dimanche soir, 13 députés élus étaient rangés dans la désormais très convoitée catégorie « divers gauche ». Une étiquette commune qui recouvre des situations très « diverses ». Ainsi trouve-t-on parmi eux trois socialistes dissidents, proches dela présidente PS de la région Occitanie Carole Delga (Joël Aviragnet, Laurent Panifous et David Taupiac), qui se situent dans l’opposition à Emmanuel Macron. Mais aussi des députés PS sortants plus « constructifs », qui ont pris leur distance avec l’accord PS-Nupes avant l’élection, et se sont présentés en dissidents. C’est le cas notamment de David Habib, dans les Pyrénées-Atlantiques, ou de Dominique Potier en Meurthe-et-Moselle. Ceux-là sont courtisés par la macronie depuis le lendemain du premier tour.
David Habib, qui appartient à la gauche de gouvernement et a dû affronter un adversaire LFI au second tour, a fait savoir qu’il serait prêt à aider ponctuellement le gouvernement, sur l’école, l’hôpital ou le défi climatique. « Même s’il avait eu la majorité absolue, il aurait été souhaitable qu’Emmanuel Macron élargisse le cercle de ses soutiens », estime-t-il.
Pour l’heure cependant, ces députés sociaux-démocrates et « républicains », comme ils se définissent, essaient de créer un groupe, synonyme de moyens et de temps de parole. Le Radical de gauche Olivier Falorni, brillamment réélu en Charente-Maritime face à la Nupes, ou le « régionaliste » Paul Molac, ex-LREM en 2017, pourraient en faire partie. « Des députés comme moi se retrouvent dans une situation assez intéressante, se réjouit Olivier Falorni, ex-« tombeur » de Ségolène Royal. Car le gouvernement sera obligé d’écouter les députés non-membres des groupes majoritaires ». Comme David Habib, le député de Charente-Maritime souhaite la constitution d’un groupe autonome, qui soit « charnière » dans la future assemblée. « Le gouvernement a les moyens de gouverner, affirme-t-il. Il n’y a pas de risque de blocage. Si le Président veut une majorité de projet, il peut l’avoir, en prenant des amendements et des propositions de loi. Mais évidemment, ça suppose pour la majorité une révolution culturelle. S’il revient avec ses méthodes à la hussarde, il ira dans le mur ».
La macronie va aussi prospecter du côté des UDI
Le groupe centriste, qui existait lors de la précédente législature, a été démantelé par ces élections : 8 de ses 19 membres ont été battus (dont son président Jean-Christophe Lagarde) ; quatre se sont présentés sous les couleurs de la coalition présidentielle, Ensemble!, et l’ont donc déjà rejointe. Restent six députés, dont cinq avec qui discuter. Réélue députée UDI du Nord, Béatrice Descamps n’a pas eu de candidat Ensemble ! face à elle. La macronie attend désormais un geste de réciprocité. Son homologue des Ardennes, Jean-Luc Warsmann, est une autre cible potentielle, réélu sans le soutien d’aucun parti politique. Il fait partie de ces professionnels du Palais Bourbon – il démarre son septième mandat ! – dont la majorité va cruellement manquer. « Je serai constructif », promet-il.
Réélu facilement dans les Vosges, Christophe Naegelen revendique aussi une « attitude constructive ». Il est depuis ces derniers jours à la manœuvre, cherchant à construire un groupe où les territoires seraient représentés, la liberté de vote et l’amélioration des textes la règle. Guy Bricout (Nord) et Pierre Morel-A-L’Huissier (Lozère) sont les deux derniers. En revanche, avec le sixième UDI élu, Meyer Habib, rien ne sera possible. Ce proche d’Eric Ciotti pourrait rejoindre le groupe LR.
Les Républicains, premier espoir de la majorité
Avec 62 élus, Les Républicains constituent le plus gros vivier sur lequel la macronie peut fonder des espoirs. Mais quelles sont réellement les marges de manœuvre ? La majorité des députés LR ne veut pas entendre parler du moindre accord avec la majorité présidentielle.« Nous sommes dans l’opposition et nous resterons dans l’opposition », a affirmé dès dimanche soir Christian Jacob, soutenu par la quasi-unanimité des ténors du parti .
Avant les législatives, le camp présidentiel avait néanmoins entamé des discussions avec certains d’entre eux. Quatre des cinq députés LR sortants qui l’ont rejoint et se sont présentés sous ses couleurs ont été élus (Damien Abad, Robin Reda, Constance Le Grip et Jean-Carles Grelier).
Avec une poignée d’autres, les négociations n’avaient alors pas abouti. Mais certains n’ont pas changé d’état d’esprit et conservent une ligne constructive. « La priorité, c’est l’intérêt du pays et d’éviter la paralysie. Le problème, ce n’est pas 2027, assure Nicolas Forissier, réélu dans l’Indre. Il faut qu’on soit ouvert et qu’en échange la majorité nous respecte. En espérant s’en sortir dans un an avec une dissolution illusoire, on ne gagnera pas une once de responsabilité. » « Je suis constructif sans être dans l’alliance », confie un autre. Mais combien sont-ils exactement ? Cinq ? Dix ? L’attitude d’Alexandre Vincendet, élu dans le Rhône, sera également scrutée. Dans l’entre-deux tours, le maire de Rilleux-la-Pape a eu droit à une vidéo de soutien d’Edouard Philippe…
Dans cette équation, le profil du président de groupe (très antimacroniste comme Olivier Marleix, qui sera sur la ligne de départ, ou plus modéré) sera déterminant. Il sera élu mercredi.
Les députés d’outre-mer, une catégorie à part
C’est une catégorie de députés qui n’apparaît évidemment pas dans le découpage de l’Assemblée nationale, car l’outre-mer ne correspond pas à une sensibilité politique. Mais elle est traitée comme telle par le pouvoir parisien. Ces 26 députés, élus sous des étiquettes parfois difficilement déchiffrables, sont très convoités en cas de majorité relative. Un ancien député PS se souvient ainsi d’avoir vu, sous Michel Rocard, les ministres « faire la danse du ventre devant nos collègues d’outre-mer en permanence, alors que nous, nous avions uniquement le droit de lever le bras ». Le type de scène qui pourrait bien se reproduire dans les mois qui viennent pour les députés Ensemble!.
Source : L’Opinion.fr