Derrière le projet grandeur nature de la société Douja promotion Groupe Addoha Côte d’Ivoire, se cache l’une des plus grandes expropriations de terres à l’insu des détenteurs des droits coutumiers. Un terrain de 31 hectares situé au Sud de Locodjoro entre ledit village été celui de Agbogon Doumin, actuel site du groupe Addoha, concédé provisoirement puis vendu loin des regards des propriétaires, aujourd’hui estimé à 4 milliards Frs Cfa.
Le terrain qu’occupe Addoha a été vendu frauduleusement
Les nuages se dissipent autour de la vente du site de 31 hectares du village de Locodjoro dans la commune d’Attécoubé. Si le groupe marocain Addoha peut se vanter de détenir un acte de vente, la vente frauduleuse de ce site qu’il occupe à ce jour requiert une attitude à l’endroit des populations autre que le mépris et le dédain dont se plaignent celles-ci. Les faits remontent au 25 novembre 1924. Date à laquelle des colons allemands approchent la chefferie de Locodjoro notamment le chef Akrandjro. Ceux-ci demandent une parcelle de 31 hectares pour la construction d’une scierie. Ces parcelles n’appartiennent pas à la chefferie car celle-ci n’a pas de terres. Les terres appartiennent aux familles. Les familles propriétaires de cette parcelle sont les familles Godouman, Atchado et Abromando. Lachmann, Robert Esnault, Péléri et Mme Martine Palescorse sont les colons venus à la rencontre de la chefferie pour le compte de la société Lachmann. Les familles propriétaires acceptent de donner provisoirement leurs terres, une forêt dense à l’époque, et demandent en retour une aide en termes de bois pour la confection des cercueils lors les différentes funérailles. La boisson est versée pour matérialiser l’accord. Toutefois, aucun acte ou document de vente entre la société Lachmann et les familles propriétaires n’existe dans les archives. Les services des recettes domaniales, du cadastre et de la conservation foncière précisent dans le courrier n°2061 du 7 avril 1962 que « Ce terrain a d’abord été concédé pro-vi-soi-re-ment à la société Lachmann suivant arrêté n°190 D du 12 novembre 1925…Le procès verbal de bornage dressé le 16 juillet 1929 par le service topographique mentionne la présence de M. Akrandjro, chef du village de Locodjro qui n’a pas signé étant illétré…Pour certains titres fonciers, les procès verbaux de bornage dressés par les services topographiques de l’opérateur Ogoun Marc mentionnent bien la présence de Nanan Akrandjro, chef du village de Locodjro ». Nulle part, il est mentionné que le terrain a été vendu par le village de Locodjoro ou que l’une des trois familles propriétaires a procédé à une quelconque vente. En ce qui relève de l’absence de la signature du chef, il convient de souligner que l’argument relatif au fait qu’il soit illetré ne tient nullement car il n’est pas handicapé des mains. Ses empruntes ou une simple croix auraient pu être apposées sur le procès verbal pour matérialiser son accord. Mais le terrain n’étant pas vendu, il ne pouvait apposer sa signature. Ainsi, si les détenteurs des droits coutumiers n’ont pas apposé leur signature, comment l’immatriculation de ce terrain de 31 hectares a pu être effective?
Comment s’est faite la concession définitive ?
Le courrier cité haut, en date du 7 avril 1962 ajoute que ce terrain, concédé provisoirement à la société Lachmann, sera transféré et concédé définitivement à la SEPC (Société d’exploitation de produits de la Côte d’Ivoire) par arrêté n°1697 D du 31 octobre 1927 après que la mise en valeur imposée eût été constatée le 15 octobre 1926 par une commission réglementaire. Les zones d’ombre démeurent relativement à la concession dudit terrain provisoirement par la société Lachmann puis définitivement par la SEPC sans la présence des détenteurs des droits coutumiers et sous le constat d’une pseudo commission réglementaire. En effet, en 1925, la société Lachmann dont l’acquisition temporaire de ce site de 31 hectares se reduit à un consentement verbal ponctué d’une bouteille de liqueur, cède le terrain à la SEPC. Les responsables de cette société anonyme au capital de 720 millions Frs Cfa, dont l’administrateur est Amaury Legras, se rendent le 27 août 1927 en France pour matérialiser le terrain par Me André Faroux, notaire à Paris. Celui-ci estime la valeur du terrain à 1 milliard 60 millions Frs Cfa.
Quels actes de vente detient la société Lachman pour s’autoriser à céder ce terrain de 31 hectares à la SEPC ? Il s’en suit un litige foncier entre la SEPC et le village de Locodjro. La thèse d’une vente frauduleuse est enrichie et fécondée par le courrier n°2061 du 7 avril 1962 du chef du service des domaines. « Le procès-verbal de bornage dressé le 16 juillet 1929 par le service topographique mentionne la présence de M. Akrandjro, chef du village de Locodjro, qui n’a pas signé, étant illetré…Le procès-verbal de bornage dressé le 9 juillet 1927 par le service topographique ne mentionne pas la présence des détenteurs de droits coutumiers. », précise-t-il. Du reste, les administrateurs de la société SEPC, toutes des personnalités se sont-elles acquoquinées à la société Lachmann pour obtenir frauduleusement un terrain ? Le cabinet de Me Marcelle Dénise Richmond, notaire à Abidjan lève le voile sur ces administrateurs lors de la vente des terrains et des immeubles de Locodjro effectuée le 30 novembre 1981. Au siège de la société, 22 boulevards carde, ils ont procédé à la vente dudit terrain à la Mutuelle agricole de Côte d’Ivoire et des régions tropicales, caisse d’assurance et de réassurances mutuelles agricoles (MACI) pour le montant de 1 milliard 60 millions Frs Cfa. Etaient présents à réunion Amaury Legras, administrateur délégué, Charles Donwahi, Jean Claude Delafosse, Maurice Binliche, Yves Hervé, société J. Lalanne. Etaient représentantés : Camille Alliali, Michel Botin, Michel Lalanne, Jean Marechaux, Georges Maurice, tous administrateurs de la société SEPC. Charles Donwahi présidait la réunion. Le site concédé à la SEPC, naturellement, aucun représentant de Locodjoro n’assistera à cette réunion vente d’une partie du village. 26 années plus tard, la génération Dougbô arrivée au pouvoir en 2007, tombe des nues lorsqu’elle découvre la vente dudit terrain à la société MACI. Lequel terrain, dédié à la jeunesse du village en vue de faire face à la pression démographique grandissante des deux nouvelles générations arrivées à maturité, faisait l’objet d’un lotissement. Dans son courrier n°01003 du 28 mars 1978 adressé au chef du village de Locodjro, Djama Boiboulo Abel, le ministère des travaux publics, des transports, de la construction et de l’urbanisme reconnait qu’un plan de lotissement avait en effet été étudié en 1973. Le tribunal saisi, les détenteurs de droits coutumiers, bien que propriétaires et en attente de l’approbation du lotissement, sont déboutés sous le prétexte qu’ils ne possèdent pas de titres de propriété contrairement à la MACI. Puis, le conservateur de la propriété foncière et des hypothèques d’Abidjan se déclare incompétent le 9 mars 2015. Quant à la chambre administrative de la Cour supprême, sa décision est attendue depuis le 21 novembre 2015, soit 3 ans.
Le terrain sera vendu le 8 janvier 2014 à Douja promotion groupe Addoha Côte d’Ivoire à 4 milliards Frs Cfa. 2 milliards 400 millions Frs Cfa reçus à la signature et 1 milliards 600 millions Frs Cfa à payer par tranche de 66 millions Frs Cfa sur 24 mois.
Mépris et dedain de Addoha pour Locodjro
Tenant le haut du pavé, le nouvel acquereur, Addoha, communie rarement à la table des règles du bon voisinage selon les autorités villageoises. Les relations entre Addoha et la chefferie se résument à une cohabitation forcée. Il faudra attendre le soulevement des jeunes en 2014 pour que Beugré Mambé, gouverneur du district d’Abidjan dépêche son chargé de mission et son chef de cabinet. La chefferie sera reçue par le gouverneur et Sidiki Diakité, ex-préfet d’Abidjan, actuel ministre de l’intérieur. La concession du site à Addoha étant définitive, la chefferie, reste camper sur sa décision. « La parcelle de terre de 31 hectares située à la sortie Sud entre Locodjro et Agbodan-Doulin n’a jamais fait l’objet ni de vente, ni de cession », indique l’attestation de propriété signée le 15 novembre 2007 par le chef du village Kokrasset Luc, le doyen du village, N’djampo Paul, le chef de guerre Akré Siméon et bien d’autres. Cette témérité coûte à Kokrasset Luc son poste de chef de village. Il est démis le 17 janvier 2017 par l’ex-préfet Sidiki Diakité et remplacé par Agouassy Emmanuel. Certains y voient la main du maire d’Attécoubé Danho Paulin. Les doléances des populations en guise de dédommagement chiffrées à 5 milliards Frs Cfa sont restées dans les tiroirs de l’oubli. Il n’empêche qu’il existe des vélléités de soulèvements des jeunes, entre le marteau et l’enclume. D’une part le rêve de devenir propriétaire terrien dans leur village se volatilise et d’autre part, ils plient l’échine sous le poids de la pression démographique interne et externe.
Cyrille NAHIN