Alors que le pays traverse une grave crise politique, des coups de feu ont retenti dans le camp militaire de Kati, d’où était parti le coup d’État de 2012.
Que se passe-t-il au juste ce mardi 18 août au Mali ? Alors que le calme semble être revenu ce mardi après-midi, après une matinée agitée aux alentours du camp militaire de la ville garnison Soundiata Keïta de Kati, à quelques kilomètres de Bamako, les questions se bousculent. Selon plusieurs témoins et médias, tout a commencé tôt ce matin : des soldats ont pris le contrôle des accès qui mènent vers la capitale et ont tiré des coups de feu en l’air pour une raison qui reste encore inconnue.
La situation inquiète, car c’est de là qu’était parti le coup d’État de 2012, alors que le Mali traverse depuis juin une profonde crise politique. « Ce matin, des militaires en colère ont pris les armes au camp de Kati et ont tiré en l’air. Ils étaient nombreux et très nerveux », a déclaré à l’AFP un médecin de l’hôpital de Kati, à une quinzaine de kilomètres de la capitale. « Ça tire, ça tire en l’air à Kati. Ce sont des militaires » du camp Soundiata Keita, a confirmé une source sécuritaire malienne sur place, citée par l’agence de presse française. Les raisons de ce coup de colère n’étaient pas immédiatement claires et aucun bilan officiel n’a été donné.
De l’autre côté plusieurs journalistes ainsi que des chancelleries occidentales ont fait état de l’arrestation de personnalités politiques, dont des ministres, mais elles n’ont pas pu être confirmées de source officielles, pas plus que celles concernant les hauts gradés.
#Mali Selon un militaire sur place, à #Kati, les généraux auraient tous été arrêté au niveau du ministère de la défense et devraient être amenés au camp de Kati
— Olivier Dubois (@LolivDubois) August 18, 2020
C’est seulement à 16 h GMT que le gouvernement malien a réagi à travers un communiqué par le Premier ministre Boubou Cissé demandant aux militaires de « faire taire les armes », et se disant prêt à engager avec eux un « dialogue fraternel afin de lever tous les malentendus ».
« Les mouvements d’humeur constatés traduisent une certaine frustration qui peut avoir des causes légitimes », a estimé le chef du gouvernement dans ce même texte.
Une nouvelle fronde des militaires maliens ?
À la mi-journée, la situation semblait de nouveau calme et on n’entendait plus de tirs, selon un correspondant de l’AFP présent à Kati. « Toute la zone est bouclée par les militaires, les bérets verts », a constaté le correspondant de l’AFP.
« Nous suivons attentivement la situation. La hiérarchie militaire est entrée en contact avec les troupes, on fera une déclaration officielle dans la journée », a déclaré à l’AFP une source au ministère de la Défense, qui s’est refusée à parler de « mutinerie ». « Il y a une tentative de mutinerie », a néanmoins indiqué à l’AFP une source diplomatique à Bamako.
Selon plusieurs médias locaux, le personnel de plusieurs administrations publiques, y compris plusieurs ministères, a été évacué. C’est notamment le cas à l’Office de radio et télévision du Mali (ORTM) qui continue d’émettre.
Il faut souligner que ce « mouvement d’humeur » intervient alors que vendredi, des experts de l’Onu ont accusé des hauts responsables maliens de l’armée et des services de renseignements de « compromettre » l’application de l’accord de paix d’Alger, en dépit d’appels pressants de la communauté internationale pour résoudre la crise. Ce rapport, remis au Conseil de sécurité de l’Onu le 7 août, n’est pas encore rendu public mais il a fuité jusque dans la presse internationale.
La communauté internationale inquiète
Dès les premiers éléments signalés, l’ambassade de France au Mali a recommandé la prudence. Il est « instamment recommandé de rester chez soi », a-t-elle indiqué sur Twitter.
— La France au Mali (@FranceauMali) August 18, 2020
Les États-Unis et les pays voisins du Mali se sont montrés plus inquiets encore quant à un éventuel renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta, déjà confronté depuis deux mois à une contestation sans précédent depuis le coup d’Etat de 2012. « Nous suivons avec inquiétude l’évolution de la situation aujourd’hui au Mali. Les USA s’opposent à tout changement extraconstitutionnel de gouvernement, que ce soit par ceux qui sont dans la rue ou par les forces de défense et de sécurité », a déclaré l’émissaire américain pour le Sahel, Peter Pham, sur Twitter.
La Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), médiatrice au Mali, a dit dans un communiqué suivre « avec une grande préoccupation » la situation, « avec une mutinerie déclenchée dans un contexte sociopolitique déjà très complexe ».
L’organisation régionale appelle « les militaires à regagner sans délai leurs casernes » et « rappelle sa ferme opposition à tout changement politique anticonstitutionnel », invitant les « militaires à demeurer dans une posture républicaine ».
La communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest « condamne vigoureusement la tentative en cours et prendra toutes les mesures et actions nécessaires à la restauration de l’ordre constitutionnel ».
— ECOWAS-CEDEAO (@ecowas_cedeao) August 18, 2020
Le même mot d’ordre a été partagé par le ministère français des Affaires étrangères en toute fin d’après-midi. La France « condamne avec la plus grande fermeté » la « mutinerie » engagée par des militaires maliens dans une garnison proche de Bamako et « réaffirme avec force son plein attachement à la souveraineté et à la démocratie maliennes », selon une déclaration du ministre Jean-Yves Le Drian publiée ce mardi.
Paris « partage pleinement la position exprimée par la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) (…) qui appelle au maintien de l’ordre constitutionnel et exhorte les militaires à regagner sans délai leurs casernes », est-il indiqué dans ce communiqué de Jean-Yves Le Drian. Quelque 5.100 militaires français sont déployés au Sahel, notamment au Mali, dans le cadre de l’opération antijihadiste Barkhane.
Manifestants anti-IBK
Après l’annonce de la prise de contrôle du camp de Kati, des manifestants se sont rassemblé sur la place de l’Indépendance de Bamako, épicentre de la contestation depuis juin, pour réclamer à nouveau le départ du président Keïta, a constaté un correspondant de l’AFP. Des manifestants ont incendié le cabinet d’avocats du ministre de la Justice, Kassoum Tapo, selon la même source.
Depuis juin, une coalition hétéroclite d’opposants politiques, de guides religieux et de membres de la société civile multiplie les manifestations pour réclamer le départ du président Keïta, accusé de mauvaise gestion. À cela s’ajoute une « situation sociale délétère », selon la dirigeante syndicale Sidibé Dédéou Ousmane.
Le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques du Mali (M5-RFP), qui mène la contestation, a refusé, jeudi dernier, une rencontre avec le président Keïta, fixant notamment comme préalable la fin de la « répression » contre ses militants. Le week-end du 10 juillet, une manifestation à l’appel du Mouvement du 5 juin a dégénéré en trois jours de troubles meurtriers.
La crise politique actuelle est partie de l’invalidation par la Cour constitutionnelle d’une trentaine de résultats des législatives de mars-avril, dont une dizaine en faveur de la majorité du président Keïta.
Souvenirs de la mutinerie de Kati en 2012
C’est du camp de Kati, le 21 mars 2012, alors que les rebelles touaregs avaient lancé une offensive majeure dans le nord du Mali et que les djihadistes affluaient en provenance des pays voisins, que des soldats s’étaient mutinés contre l’inaptitude du gouvernement à faire face à la situation.
Sous la direction du capitaine Amadou Sanogo, ils avaient chassé le président Amadou Toumani Touré.
Dans les mois qui ont suivi leur coup d’État, Kati a été le lieu de nombreuses violences commises contre des militaires considérés comme fidèles au président renversé, ainsi que contre des hommes politiques, des journalistes et des membres de la société civile.
Le coup d’État avait précipité la chute du nord du Mali aux mains de groupes islamistes armés, qui ont occupé cette région pendant neuf mois, avant d’en être en partie chassés par une intervention militaire internationale lancée par la France en janvier 2013 et toujours en cours.
Sous la pression internationale, la junte avait fini par céder le pouvoir à des autorités civiles intérimaires.
Malgré les interventions étrangères, les violences djihadistes, souvent mêlées à des conflits communautaires et à du banditisme, se poursuivent et se sont même étendues depuis 2015 au centre du Mali et aux pays voisins, Burkina Faso et Niger.