Les faits – Un rassemblement sur le sort des étudiants africains bloqués en Ukraine est organisé le 5 mars Place de république à Paris à l’initiative du mouvement SOS étudiants africains. Certains acteurs publics et privés se mobilisent pour accueillir les ressortissants du continent afin qu’ils puissent poursuivre leur cursus universitaire en France.
Au terme d’un périple de près de six jours, Emile (*) a pu retrouver des proches à Lyon. Cet étudiant ouest-africain étudie l’ingénierie informatique à l’Université radio-électrique de Kharkiv, ville de l’Est de l’Ukraine ciblée par les bombardements russes. Il était au milieu de sa deuxième année quand il s’est retrouvé pris au piège d’un conflit qui le dépasse comme beaucoup de ses camarades. Au deuxième jour des combats, il a décidé de quitter la ville. « J’ai attendu 48 heures avant de partir en me disant que ça allait peut-être se calmer, confie Emile. Mais les combats s’intensifiaient, l’université se vidait après que la direction de l’établissement nous ait signifié la suspension des cours. La vie devenait stressante avec le bruit des détonations. »
L’étudiant a rejoint un groupe d’amis à la gare ferroviaire de Karkiv. Direction Lviv, près de la frontière polonaise. Une journée plus tard, il arrive dans la ville de l’ouest. Mais les passages en Pologne sont difficiles. Varsovie accepte en priorité les femmes, les enfants et les personnes âgées. Des milliers d’Africains tentent de fuir mais se font refouler. Plusieurs témoignages publiés sur les réseaux sociaux dénoncent des discriminations dans les gares et les postes-frontières, déclenchant une polémique comme s’ils étaient des « citoyens de seconde zone ». « Les rapports selon lesquels les Africains sont l’objet d’un traitement différent inacceptable seraient choquants et racistes et violeraient le droit international », pointe alors le président sénégalais Macky Sall, à la tête de l’Union africaine.
De peur d’être refoulés à la porte de la Pologne, Emile et ses amis décident de tenter leur chance à Uzhhorod à la frontière slovaque. Après quatre longues heures d’attente, ils la franchissent et se voient remettre un laissez-passer. Ensuite, Emile empruntera les bus et les trains pour rejoindre Košice, Vienne, Francfort et enfin Lyon. Un de ses compagnons de voyage camerounais, Gideon, est lui aujourd’hui à Paris.
120 nationalités. D’autres étudiants sont passés par la Hongrie ou la Roumanie. La Pologne, quant à elle, travaille dorénavant avec les chancelleries africaines pour favoriser les rapatriements. « Tous les réfugiés sont pris en charge dès leur arrivée sur le territoire polonais et chacun reçoit un traitement égal », assurent les autorités de ce pays. Selon elles, 453 000 ressortissants de 120 nationalités ont franchi leur frontière.
« Nous avons pu voyager gratuitement à partir du moment où l’on pouvait justifier d’un visa ou d’une carte de séjour ukrainiens, témoigne Emile. Personnellement, je n’ai pas été victime de racisme. »
Les pays du Maghreb ont commencé leur rapatriement via les aéroports polonais et roumains en acheminant des vols de leurs compagnies nationales. Des pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria, l’Afrique du Sud ont été assez réactifs pour sortir leurs compatriotes de l’étau de la guerre. Mais beaucoup d’autres chancelleries les laissent livrés à eux-mêmes.
« Ce n’est pas faute de les avoir prévenus, confie un diplomate européen. Quant aux accusations de racisme, beaucoup d’Européens se sont aussi montrés très solidaires pour favoriser leur évacuation et distribuer de l’aide. La meilleure preuve est que les étrangers ne sont pas allés se réfugier en Biélorussie ou en Russie. »
Recensement. Des milliers d’étudiants africains ont déjà réussi à passer dans l’espace Schengen. Certains ont ensuite rejoint leur pays d’origine. D’autres restent chez des proches au sein de la communauté européenne. Beaucoup sont soulagés mais restent inquiets pour leur avenir. Repartir une fois la guerre terminée ? Achever ses études ailleurs ? Le choix n’est pas facile.
Le Conseil présidentiel pour l’Afrique, boîte à idées de l’Elysée, en partenariat avec CAAP Education, a lancé une campagne de recensement des étudiants africains vivant en Ukraine. Objectif : leur proposer de continuer leurs études dans des universités françaises partenaires de l’opération. « Nous essayons de les identifier, vérifier leur parcours et fédérer les universités françaises pour préparer leur accueil », explique Wilfrid Lauriano do Rego, coordinateur du CPA. Les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur seront ensuite approchés pour leur accorder des visas et des titres de séjour. Et l’UE devrait être sollicitée pour aider au financement de leurs études via un programme de type Erasmus qui pourrait s’étendre à l’UE.
« Je n’ai pas très envie de retourner en Ukraine après ce qu’il s’est passé, analyse, encore à chaud, Emile. S’il y a une possibilité de poursuivre mon cursus en France, je vais l’étudier attentivement. »
(*) Le prénom a été modifié à la demande de l’étudiant qui souhaite conserver l’anonymat.