Est-ce un énième coup d’Etat raté ou un coup de bluff diplomatique ? Lundi soir, dans un communiqué fleuve au ton véhément, les autorités maliennes ont annoncé avoir arrêté la veille 49 militaires ivoiriens à l’aéroport de Bamako. Accusés d’être des mercenaires entrés illégalement sur le territoire afin de «briser la dynamique de la refondation et de la sécurisation du Mali», ils ont été confiés aux autorités judiciaires. Si l’accusation d’«atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat» est retenue, ils encourent des peines de cinq à dix ans de prison.
Alors que les relations entre le Mali et ses voisins semblaient s’être pacifiées suite à la levée des sanctions imposées par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le 3 juillet, cet incident aux contours flous menace de faire rechuter la région dans l’instabilité. Il est pourtant peu probable que ces 49 soldats ivoiriens soient des mercenaires. Ils feraient plutôt partie du 8e détachement des Eléments nationaux de soutien (NSE), des effectifs déployés par les pays contributeurs de troupes à la mission de stabilisation de l’ONU au Mali (Minusma), venus relever leurs camarades. Un processus qui a lieu tous les six mois depuis 2019, jusqu’alors sans encombre.
Selon Olivier Salgado, porte-parole de la Minusma, ces soldats sont «déployés depuis plusieurs années au Mali dans le cadre d’un appui logistique pour le compte de l’un de nos contingents», bien qu’ils ne soient pas comptabilisés parmi les casques bleus ivoiriens officiant dans le pays. Une pratique «communément appliquée dans les missions de maintien de la paix», précise-t-il.
Un millier de mercenaires de Wagner présents au Mali
Alors que s’est-il passé pour qu’une simple relève tourne à l’incident diplomatique ? Selon les autorités maliennes, leur ministère des Affaires étrangères n’aurait pas été prévenu par les canaux officiels de l’arrivée de ce détachement, violant ainsi selon eux l’article 38 du Code pénal malien qui incrimine «les atteintes à la sûreté de l’Etat dont l’atteinte à l’intégrité du territoire». Une infraction suffisante pour que Bamako les considère comme des mercenaires, «tels que définis par la Convention de l’OUA [l’Organisation de l’unité africaine, ndlr] sur l’élimination du mercenariat en Afrique», appuie le communiqué. Une position d’autant plus étonnante que le Mali, signataire de cette convention en 1978, fait appel depuis décembre aux services de la société militaire privée russe Wagner, dont un millier de ses mercenaires sont actuellement en opération sur le territoire.
Par ailleurs, le récit officiel du gouvernement malien, dénonçant une entreprise de déstabilisation du pouvoir, ne correspond pas aux révélations du sergent-chef Lassana Diarra, chef de poste aux arrivées de l’aéroport de Bamako. Dans un enregistrement audio qu’a pu se procurer Libération, il affirme qu’à la descente des deux avions transportant les 49 militaires, un caporal ivoirien s’est présenté de lui-même aux douanes. «Il est venu avec cinquante passeports, accompagné d’un civil, un Belge de la compagnie aérienne SAS (Sahel Aviation Service)». Le caporal a produit le manifeste de vol et une note expresse du ministère ivoirien de la Défense signifiant la relève du 7e détachement. Sans ordre de mission signé du gouvernement malien, le policier a averti ses supérieurs. La gendarmerie et la Sécurité d’Etat (les services de renseignement maliens) s’en sont mêlées, remontant l’information jusqu’au ministre. La décision a été prise de détenir les militaires.
L’Allemagne nie être impliquée
Selon la version des soldats ivoiriens, ils seraient venus au Mali dans le cadre de la sécurisation de sites logistiques de la compagnie SAS, elle-même mandatée par le contingent allemand de la Minusma. Cette dernière conteste avoir fait appel aux éléments ivoiriens. «Les détachements NSE sont embauchés par les contingents pour réaliser des tâches hors mandat, comme garder des entrepôts, explique Olivier Salgado. La Minusma n’intervient pas dans ces contrats.»
Du côté de l’ambassade d’Allemagne, on nie être à l’origine du recrutement. «Il n’y a pas de lien direct entre ces soldats ivoiriens et nous», assure un diplomate allemand. La société SAS n’a pas encore communiqué sur l’affaire, mais le cadre légal des NSE n’autorise pas des entreprises à faire appel à ce mécanisme dévolu aux Etats. Quant aux autorités ivoiriennes, elles ont demandé mardi soir au Mali de libérer «sans délai» ses militaires incarcérés «injustement». «Aucun militaire ivoirien de ce contingent n’était en possession d’armes et de munitions de guerre», indique un communiqué de la présidence ivoirienne publié à l’issue d’un conseil national de sécurité extraordinaire. Selon Abidjan, la présence de ces soldats est «bien connue» des autorités maliennes.
Ce n’est pas la première fois que les autorités maliennes déclarent faire l’objet d’une tentative de renversement sans en apporter les preuves. Arrivées eux-mêmes au pouvoir par deux putschs successifs en août 2020 et mai 2021, les colonels de Bamako ont clamé être la cible de quatre coups ratés depuis leur accession au pouvoir. Dernier en date, en mai, les autorités maliennes annonçaient avoir déjoué un putsch organisé par «des militaires soutenus par un Etat occidental», sans préciser lequel.
Climat de terreur
Ce n’est pas la première fois non plus qu’elles s’appuient sur des irrégularités juridiques et techniques pour faire d’une affaire de coulisses un scandale d’Etat. En janvier, Bamako avait ordonné aux Danemark de retirer ses forces spéciales du territoire, suite à un problème d’accord relatif à leur déploiement. Une rupture de protocole contribuant au déclin de la force française Takuba, que le contingent danois devait rejoindre.
Bamako semble vouloir entretenir un climat de terreur et de paranoïa pour raffermir ses soutiens, mobiliser sa base et renforcer le sentiment patriotique. Ainsi, l’arrestation de ces soldats en situation irrégulière pourrait être un levier diplomatique inespéré pour faire pression sur le président ivoirien Alassane Ouattara. Lors des négociations pour la levée des sanctions contre le Mali, ce dernier était réputé tenir la ligne la plus dure face à la transition malienne.
Mais c’est une stratégie risquée. Depuis l’annonce des arrestations, les réseaux sociaux s’enflamment entre les soutiens du président malien Assimi Goïta et ceux de Ouattara, jusqu’à de dangereux extrêmes. Ainsi, dans un message parmi d’autres du même ton, un internaute menace de mort les Maliens installés en Côte d’Ivoire. «Si nos soldats ne sont pas libérés d’ici trois jours, ce sera à chacun son Malien», prévient-il.