« La dépendance de l’Afrique aux importations russes et ukrainiennes de céréales est très forte, souligne
Nathalie Delapalme, directrice générale de la Fondation Mo Ibrahim. En raison de la guerre et des problèmes d’évacuation de ces produits, plusieurs pays du continent sont au bord de la famine. Ce qui pourrait aussi avoir d’importantes répercussions en termes de déplacements de populations et de migrations. »
La question est ultrasensible du nord au sud du Sahara. Les dirigeants ont encore en mémoire les émeutes de la faim avec la flambée mondiale des prix des denrées alimentaires en 2007-2008. Cette flambée a aussi contribué en partie au déclenchement des Printemps arabes.
Selon une note récente de la Fondation Mo Ibrahim, la Russie et l’Ukraine fournissent respectivement 27,4 % et 13 % des importations africaines de blé. C’est plus que les pays de l’Union européenne (33,1 %). Le Bénin achète presque la totalité de son blé à la Russie, et le Soudan, les trois quarts. En tout, 39 pays achètent chez les deux voisins en guerre.
Dépendance. Cette dépendance aux exportations agricoles russo-ukrainiennes concerne aussi les huiles de tournesol, l’orge, ou encore le maïs. Selon une note récente de l’Agence française de développement (AFD), les principaux pays exposés sont l’Egypte (près de la moitié des importations du continent pour les produits alimentaires), suivie du Soudan, du Nigeria, du Maroc, de la Tunisie, de l’Algérie, de la Libye, du Kenya et de l’Éthiopie.
La raréfaction de ces produits et la poussée des prix vont peser sur le panier des ménages, les denrées alimentaires représentent 40 % de leur budget de consommation.
Face au délitement de la situation alimentaire, Macky Sall devrait se rendre très prochainement à Moscou et Kiev pour rencontrer Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky. Il a reçu mandat de l’Union africaine, dont il exerce actuellement la présidence, pour négocier au nom des Etats membres.
« Le but n’est pas de figurer sur la photo et d’être instrumentalisés par les belligérants, confie un diplomate sénégalais. Notre président devrait probablement attendre la fin juin ou le début du mois de juillet en espérant que les négociations se décantent d’ici là sous l’égide de l’ONU. Son objectif est d’obtenir un engagement des acteurs pour mettre fin au blocus sur les exportations de céréales vers les pays africains. »
Extraterritorialité. Les céréales sont théoriquement exclues du régime de sanctions, mais les négociants et les armateurs internationaux rechignent à se fournir en Russie car ils craignent l’extraterritorialité des lois américaines, notamment s’ils passent des contrats en dollars. Et ils ne prennent pas le risque d’envoyer des navires à Odessa, les alentours du port étant minés et la marine russe contrôlant la Mer noire. La Turquie compte également jouer sa partition pour la sécurisation de la Mer noire. Des mines flottantes désamarrées ont été retrouvées dans le détroit du Bosphore, ce qui inquiète les autorités et est susceptible de perturber le trafic maritime.
« Il faut arriver à débloquer les céréales en levant certaines sanctions, plaide un diplomate africain. C’est aussi la position du secrétaire général des Nations unies, António Guterres. Dans le passé, les Etats-Unis ont bien demandé l’exclusion de la gomme arabique du régime de sanctions à l’égard du Soudan. Ce pays en était le premier producteur et fournissait des négociants américains comme Cargill. »
Le patron de l’ONU négocie actuellement avec la Russie, l’Ukraine, les Etats-Unis et l’Union européenne pour l’évacuation des stocks ukrainiens et le retour des engrais russes sur les marchés mondiaux afin de ne pas perturber les campagnes agricoles à venir. António Guterres met tous les acteurs en garde contre le spectre de malnutrition et de famine. « Cela pourrait durer des années », a-t-il prévenu récemment.
En attendant, les pays africains font face, tant bien que mal, à la flambée des prix et tentent de reconstituer des stocks alimentaires alors que la période de soudure approche, dès l’hivernage (juillet à octobre au Sahel).
Pour atténuer les hausses des prix, les Etats ont pris différentes mesures (baisse des taxes à l’importation, subventions ciblées, interdiction des exportations de céréales). Elles ont aussi accéléré les distributions de denrées alimentaires aux populations les plus vulnérables. Des mesures qui creusent actuellement les déficits. Et ne pourront pas être reconduites d’année en année.
Source : L’Opinion.fr