Élu dans un scrutin contesté, le président Alassane Ouattara recherche un compromis avec ses opposants en vue des prochaines élections législatives.
Il y a cinq jours, Alassane Ouattara voyait son élection à la tête de la Côte d’Ivoire entérinée par le Conseil constitutionnel, sans grande surprise. Mais cette validation n’empêche pas que ce troisième mandat, contesté par l’opposition qui a choisi de boycotter le scrutin, s’annonce compliqué. Ce nouveau quinquennat, obtenu au prix d’un changement de Constitution, n’est pas accepté par une partie du pays.
En dépit d’un score plébiscitaire, près de 94 % des voix, le président ivoirien a, en fait, été mal élu. La participation officielle, fixée à 54 %, ne le cache que très mal. Le chiffre n’a été obtenu par la commission électorale que par un tour de passe-passe, alors qu’il s’établissait en fait à environ 42 %. «L’objectif était d’éviter un score trop bas qui rappellerait des mauvais souvenirs», glisse un observateur. Ce mauvais souvenir n’est autre de l’élection de Laurent Gbagbo en 2000, avec une participation de 37 %, alors vue comme un signe de désaveux par l’opposition conduite par ce même Alassane Ouattara.
Début novembre, la villa de HKB à Cocody, un quartier chic d’Abidjan, est entourée par la police. Une dizaine de proches de l’ex-chef d’État sont arrêtés, et HKB lui-même est placé de facto en résidence surveillée chez lui
Privée de véritable stratégie, l’opposition d’aujourd’hui a adopté le même discours et joué le jeu du pire: la confrontation et la rue. À peine les résultats provisoires du scrutin présidentiel connus, Pascal Affi N’Guessan, l’un des candidats, a appelé à la «résistance» et annoncé la création d’un Conseil national de transition (CNT) pour prendre un pouvoir qu’il estimait «vacant». Ce CNT devait être conduit par l’ancien président Henri Konan Bédié (HKB), lui aussi candidat.
Face à ce qu’il considère comme une «sédition», le gouvernement a réagi par la force. Début novembre, la villa de HKB à Cocody, un quartier chic d’Abidjan, est entourée par la police. Une dizaine de proches de l’ex-chef d’État sont arrêtés, et HKB lui-même est placé de facto en résidence surveillée chez lui. Dans les jours suivants, Pascal Affi N’Guessan est à son tour appréhendé. Il est toujours détenu dans une prison d’Abidjan. «On ne pouvait laisser faire des appels à la guerre civile», explique-t-on dans l’entourage présidentiel. L’opposition, elle, crie à la «dérive dictatoriale» du pouvoir.
Des conséquences sanglantes
Cette montée des tensions politiques, comme toujours en Côte d’Ivoire, a rapidement des conséquences sanglantes. Dans ce pays où les partis sont essentiellement communautaires, des rixes éclatent entre partisans des uns et des autres, envenimées par des vidéos et les réseaux sociaux qui colportent des rumeurs anxiogènes et des bilans aussi lourds que fantasmés. Le 9 novembre, à M’Batto des affrontements en marge de mouvements de l’opposition ont ainsi fait six morts dans les populations agni, censées être pro-Bédié et dioula, supposées être favorables à Ouattara. Au total, depuis août, les émeutes ethniques ont fait officiellement 85 morts. Un chiffre provisoire. Pour Indigo, une mission d’observation électorale, soutenue par l’association américaine National Democratic Institut (NDI), le danger est bien de voir cette crise politique «dériver sur le terrain communautaire».
Conscient de ce risque comme des réalités d’une élection mal admise, Alassane Ouattara joue désormais l’apaisement. En coulisses, les chancelleries poussent aussi à la main tendue. Mercredi, le président a ainsi rencontré, dans un hôtel d’Abidjan, Henri Konan Bédié. Les deux hommes, qui ne s’apprécient guère, auraient ébauché un compromis. Contre l’abandon du CNT, le gouvernement serait prêt à des concessions en vue des élections législatives qui doivent se tenir dans les mois à venir. En parallèle, des ouvertures ont été faites à Laurent Gbagbo, toujours en exil à Bruxelles. «La discussion entre Ouattara et Bédié s’est bien passée et ça a permis d’apaiser un peu les choses. Mais rien n’est gagné», raconte un diplomate.
Il faut que le dialogue entre tous les partis s’établisse très vite, sans quoi le pays est encore à la merci d’un dérapage
Un diplomate
Dans les deux camps, les durs continuent à prôner le bras de fer. Autour du président, une frange pousse à profiter de la désorganisation de leurs adversaires pour accélérer le calendrier électoral. Dans l’opposition, la situation est plus délicate encore. «Bédié s’est pas mal avancé car il ne s’est pas concerté avec ses alliés avant de parler avec Alassane Ouattara», souligne un observateur. L’ancien chef d’État doit aussi compter avec les jusqu’au-boutistes, à commencer par Guillaume Soro. En exil en Europe, l’ancien premier ministre, devenu opposant radical, continue d’appeler ouvertement à l’insurrection. Si le crédit de l’ancien rebelle est aujourd’hui faible, comme l’a montré sa demande aussi solennelle que vaine de coup d’État militaire le 4 novembre, sa capacité à pourrir les débats demeure. «Il faut que le dialogue entre tous les partis s’établisse très vite, sans quoi le pays est encore à la merci d’un dérapage», estime le diplomate.