Alors que le pays fait face à une augmentation du prix de certains produits, les Ivoiriens attendent des autorités le renforcement des contrôles.
À la veille de la Tabaski, commerçants comme clients étaient unanimes : les prix de certains produits ne font qu’augmenter depuis quelques mois. Pour un mouton qui se vendait à 80 000 F CFA l’année dernière, il faut débourser au moins 100 000 F CFA cette année. Il faudra donc se serrer la ceinture.
« C’est le Burkina Faso, le Mali et le Niger qui nous approvisionnent en bétail. Mais de 645 bœufs abattus tous les jours, nous sommes passés à environ 300. Cela fait que le prix de la viande a augmenté. La crise sécuritaire que vivent ces pays affecte également le marché du bétail », explique Mansa Ben N’Fally, président de la coalition nationale des organisations de consommation de Côte d’Ivoire. Le phénomène touche plusieurs secteurs. « Le coût de la tonne de ciment est passé de 70 000 F CFA à 130 000 F CFA à certains endroits. Nous avons saisi les autorités qui ont pris des mesures pour plafonner les prix. Mais cela n’est pas respecté partout », ajoute-t-il.
Pour Gohou Danon, sous-directeur de Bloomfield Intelligence, « l’augmentation que l’on constate n’est pas spécifique à la Côte d’Ivoire. Elle a lieu dans un contexte où le monde entier commence à sortir du Covid-19 et où il y a une hausse des prix à l’international, à cause notamment d’une forte demande des pays d’Asie. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, l’inflation s’élevait à 2,9 % en moyenne en juin, dont 4,2,% d’augmentation pour les prix des loyers. »
« Dans les années 2007-2008, il y a déjà eu une augmentation des prix qui a entraîné des manifestations dans les rues d’Abidjan. Mais cette fois-ci, la hausse des prix que nous constatons dans les marchés et boutiques de quartiers est plus élevée », détaille l’économiste.
Une croissance qui s’essouffle
En plus de la pandémie de coronavirus
qui fait augmenter les prix à l’importation, plusieurs raisons expliquent la cherté de la vie en Côte d’Ivoire, en particulier à Abidjan. Depuis avril, les entreprises ivoiriennes ont été confrontées à des délestages, réduisant leur capacité de production. La difficulté d’approvisionnement des villes depuis les zones de production souvent éloignées et enclavées constitue également un frein. L’économie ivoirienne connaît la croissance depuis 2012 et a montré sa résilience face à l’épidémie de Covid-19, avec un taux 1,8 % en 2020, selon la Banque mondiale. « Mais cette croissance commence à s’essouffler. De 10,7 % en 2012, elle est passée à 6,2 % en 2019. De plus, elle n’est pas inclusive. Seule une petite partie des nantis en profitent. La population qui est pour la plupart rurale, n’en bénéficie pas », analyse Gohou Danon pour qui le niveau de vie global de la population n’a pas augmenté.
Également pointés du doigt comme étant responsables de la cherté de la vie, en gonflant artificiellement certains prix, les commerçants se défendent. « La vie chère ne date pas d’aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Mais il faut prendre le problème à la racine. L’acquisition d’un étal ou d’un magasin est excessivement chère sur les marchés. Ajouter à cela les impôts et taxes douanières qui augmentent : le commerçant, qui n’est pas un philanthrope, augmente aussi ses prix », justifie Falikou Soumahoro, président de la Fédération nationale des acteurs du commerce de Côte-d’Ivoire.
« Nous avons saisi les autorités il y a trois mois par rapport à l’annexe fiscale 2021 pour les alerter sur le fait que la proposition d’augmenter la TVA sur certains produits comme le riz de luxe pourrait avoir comme conséquence la hausse des prix. Nous avons fait des propositions sur les tarifs douaniers. En plus de cela, les petits commerçants qui voyageaient dans la sous-région pour ravitailler les petits marchés doivent désormais faire des dépenses supplémentaires à cause de la fermeture des frontières. Tout cela concourt à augmenter les prix », ajoute-t-il.
Mauvaise foi des commerçants ?
Autant d’arguments que réfute le Conseil national de lutte contre la vie chère, restructuré en 2017 et assure une veille sur l’ensemble des prix des produits de grande consommation, les loyers et les transports. « C’est de la mauvaise foi de la part des commerçants, car il n’y pas eu d’augmentation des taxes en 2021. Il y avait effectivement un projet de soumettre à la TVA le riz de luxe. Mais cette annexe fiscale n’est pas encore entrée en vigueur, car nous en discutons encore avec le gouvernement. De plus, cela ne concerne qu’une infime partie du riz», insiste Ranie-Didice Bah-Koné, secrétaire exécutive du Conseil. Accompagnée d’une équipe, elle a effectué du 13 au 18 juillet une tournée sur la « route du bétail », jusqu’à la frontière avec le Burkina Faso, afin de faciliter l’acheminement des bêtes avant la fête de la Tabaski.
« Le Ghana, le Nigeria et le Togo sont également des importateurs et il y avait une petite bataille pour être le plus attractif. Avec la crise au Sahel qui concerne exactement les zones agro-pastorales, des villages ont disparu, et le bétail est devenu un enjeu pour les djihadistes. L’offre est moindre dans ce contexte et le prix à l’origine est plus élevé dans la zone d’achat. En plus de cela il faut prendre en compte les coûts liés aux transporteurs. Nous avons donc pris attache avec les autorités des pays concernés, afin de faciliter la circulation des commerçants dans les deux sens », détaille Ranie-Didice Bah-Koné.
Colères en ligne
Tandis que certains regrettent la faiblesse des organisations de consommateurs, la colère face à l’augmentation des prix a surtout été relayée sur les réseaux sociaux. Mercredi, certains Abidjanais se sont donné rendez-vous pour une manifestation. A-t-elle été autorisée ? L’annonce même de ce rassemblement a fait réagir le gouvernement. Lors d’une conférence de presse dimanche, le ministre du Commerce et de l’Industrie, Souleymane Diarrassouba a assuré que les autorités prendraient les choses en main. Outre l’intensification des contrôles, le gouvernement met l’accent sur la sensibilisation des populations et des commerçants.
NOUS NE POUVONS PAS METTRE UN CONTRÔLEUR DANS CHAQUE BOUTIQUE
« On peut décider de plafonner les prix. Mais nous ne pouvons pas mettre un contrôleur dans chaque boutique. C’est pour cela que nous informons les populations sur les prix et les invitons à faire respecter leurs droits », regrette Ranie-Didice Bah-Koné. « Lorsqu’on fait face à un commerçant qui ne respecte pas les tarifs, nous avons aussi notre rôle à jouer. Nous devons être solidaires et ne pas acheter des produits plus qu’au prix normal. Il faut également alerter le ministère du Commerce ou les organisations de consommateurs, afin que des sanctions soient prises », ajoute Mansa Ben N’Fally.
Le lundi 19 juillet, une rencontre a eu lieu à la Primature entre plusieurs départements ministériels et le Conseil afin d’examiner le niveau des prix. Des représentants du ministère du Commerce et de l’Industrie, mais aussi ceux de l’Agriculture, du Logement, des Transports, des Finances et du Budget et de la Communication étaient présents.
Ces efforts permettront-ils de stabiliser les coûts ? Pour Gohou Danon, il est indispensable que le gouvernement agisse pour contrôler l’application des décisions qu’il prend. Malgré l’encadrement des loyers, à travers logement la loi sur le bail à usage d’habitation en 2018 qui limite le nombres de loyer d’avance et la caution à verser, certains bailleurs ne respectent pas la loi. « Un cadre opérationnel a été établi par le gouvernement avec plusieurs organes comme l’unité de lutte contre le racket. Mais tout cela reste des slogans qui n’ont pas encore eu d’application pratique. Le gouvernement pourrait atténuer la cherté de la vie en rendant opérationnelles toutes ces organisations et en luttant contre la corruption », estime-t-il.