La propagation du coronavirus dans les prisons est un vrai sujet de préoccupation pour les ONG qui appellent à, au moins, la libération des prisonniers de conscience.
Cela fait quatre semaines que Céline Lebrun-Shaath n’a pas de nouvelles de son mari. Depuis que le gouvernement égyptien, dans le cadre de la lutte contre la propagation du Covid-19, a suspendu les parloirs dans les prisons du pays, impossible de savoir si son époux, Ramy Shaath, 48 ans, est en bonne santé. Voix de la cause palestinienne et militant de la démocratie et des droits humains en Égypte, il est incarcéré depuis neuf mois dans la maison d’arrêt de Tora, en banlieue du Caire. Avant son arrestation, Ramy Shaath avait publiquement exprimé son opposition à « l’accord du siècle » de l’administration Trump, dont l’objectif officiel est de mettre fin au conflit israélo-palestinien. La goutte d’eau pour les autorités égyptiennes, qui viennent l’arrêter manu militari chez lui, dans la nuit du 4 au 5 juillet 2019.
Le cas des prisonniers de conscience
Pour sa famille, comme pour les organisations de défense des droits de l’homme, l’arrestation, puis la mise en détention du militant sont politiques. Ramy Shaath est un « prisonnier de conscience », à l’image des quelque 60 000 autres individus, d’après plusieurs ONG, détenus comme lui pour leurs opinions. Même si le président Abdel Fattah al-Sissi a réfuté leur existence dans une interview à la chaîne américaine CBS en octobre 2018, ces milliers de détenus viennent gonfler les cellules des prisons d’Égypte, déjà surpeuplées et, pour la majorité d’entre elles, insalubres. Une situation préoccupante encore plus dans le contexte actuel, en pleine épidémie de coronavirus. Avec officiellement 656 cas et 41 décès, le pays le plus peuplé de la rive méditerranéenne n’est pas épargné. Selon le Comité international de la Croix-Rouge, les populations carcérales sont particulièrement exposées aux maladies infectieuses, et le risque de transmission est très élevé.
Des conditions propices à « une catastrophe »
Alors, les familles de détenus, rejointes par les ONG, tirent la sonnette d’alarme. Et dénoncent les conditions de détention indécentes que subissent les prisonniers au quotidien. Ramy Shaath « partage une cellule avec 18 codétenus, raconte Céline Lebrun-Shaath. Dans cette pièce de 25 mètres carrés, ils ont à leur disposition un réchaud, ainsi qu’une douche avec un trou, qui fait aussi office de toilettes. Inutile de vous dire que, dans ces conditions, respecter des mesures d’hygiène est tout simplement impossible. Tous les codétenus de mon mari ont contracté la gale. » D’autant plus que l’accès à des soins médicaux n’est pas forcément assuré. « Ramy a un fort taux de cholestérol et un ulcère à l’estomac depuis plusieurs mois. Il n’a jamais vu un médecin », s’inquiète la jeune femme. « Les prisons en Afrique ne sont pas toutes dotées de médecins ou d’infirmières. Et quand il y en a, ce sont bien souvent les oubliés des directives publiques. Le matériel médical vient rarement jusqu’à eux », confirme Marie Morelle, maître de conférences en géographie à l’université Paris-1-Panthéon-Sorbonne et spécialiste des prisons en Afrique.
Manque de médicaments
Quand le personnel ou les médicaments manquent, c’est aux familles, aux associations ou encore aux religieux que revient la charge de fournir des traitements, en même temps que de la nourriture et des vêtements propres. « Un accès à l’eau très limité et une évacuation des eaux usées pas toujours garantie sont autant de facteurs favorisant une épidémie. Ajoutez à cela le manque de savon et des problèmes de malnutrition… Toutes les conditions sont réunies pour une propagation massive d’un virus type Covid-19, explique Marie Morelle. Pour les détenus comme pour le personnel carcéral. Et le problème, c’est que les administrations pénitentiaires n’ont pas les moyens de remédier à ces problèmes. »
Dépeupler les prisons pour prévenir une propagation…
Pour les familles comme pour les ONG, il y a bien une solution. Dans un communiqué, Amnesty International appelle à la libération « immédiate et sans condition » des prisonniers d’opinion en Égypte. « Les conditions carcérales sont déjà très mauvaises en temps normal, mais l’épidémie qui menace nous force à les dénoncer d’autant plus, affirme Katia Roux, chargée de plaidoyer Libertés pour l’organisation. Si un seul cas de nouveau coronavirus venait à se confirmer dans une prison, ce serait catastrophique. » « L’Égypte doit absolument dépeupler les prisons, abonde Céline Lebrun-Shaath. Les autorités pourraient libérer les milliers de personnes en détention préventive qui occupent les cellules du pays. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une situation exceptionnelle. Le gouvernement doit en prendre la mesure. »
Pour Marie Morelle, la libération de prisonniers dans ce contexte est « une évidence ». « Dans la plupart des prisons africaines, comme du monde, on manque de moyens. On ne peut pas dépister les gardiens, ce qui pourrait, en soi, être une solution. Il faut donc dépeupler : les mineurs, les personnes âgées ou malades, les détenus en fin de peine, doivent sortir. C’est impératif. » La mesure a d’ailleurs été appliquée dans certains pays du continent. La semaine dernière, le gouvernement éthiopien a annoncé la libération et l’amnistie prochaine de plus de 4 000 prisonniers, pour faire de la place dans des prisons surpeuplées. La plupart sont incarcérés pour des « infractions mineures » ou pour consommation de drogues, et ont moins d’un an à purger avant la fin de leur peine, a déclaré le ministre de la Justice, Adanech Abebe.
… comme c’est déjà le cas ailleurs
Le Niger a fait de même en graciant 1 540 détenus, « pour désengorger les maisons d’arrêt », a affirmé le président nigérien Mahamadou Issoufou. Les bénéficiaires ont été sélectionnés d’après plusieurs critères, tels que l’âge, la durée de la peine ou l’état de santé. La décision présidentielle a même fait libérer un opposant historique au pouvoir, Hama Amadou. Ailleurs dans le monde, l’Iran et l’Afghanistan ont pris des mesures similaires. De quoi donner du poids à l’appel des familles égyptiennes ? « C’est possible, la pression diplomatique peut influencer le gouvernement », espère Katia Roux. Le 19 mars, le Parquet de la sécurité de l’État a ordonné la remise en liberté de quinze activistes, sans toutefois en donner la raison. « À cause du contexte actuel, d’une question politique, ce débat sur la libération des prisonniers de conscience est devenu une question de santé publique, affirme Marie Morelle. On ne peut pas avoir de vrais politiques de lutte contre le Covid-19 si on ne prend pas en compte les prisons ».